Jean-Pierre
Raffarin, représentant spécial pour la Chine, s’est vu attribuer la délicate
mission d’aider les entreprises de l’Hexagone désireuses d’échanges économiques
avec le pays. Invité par Jean Castelain, président du Cercle, et Danielle
Monteaux, déléguée générale, il livre son sentiment de l’importance d’accentuer
notre entente avec les Chinois.
« Mon premier livre, en 1977, a été un
livre sur la Chine, “La vie en jaune”. Lorsque
le Cercle m’a demandé de venir parler de la Chine, je me suis dit : enfin,
quelqu’un a lu ce livre. Ma méprise était profonde ! »
Jean-Pierre Raffarin continue son propos par une anecdote : « Paul Claudel, diplomate en Chine, lorsqu’on
lui demandait ce qu’il pensait des Chinois, répondait invariablement : “votre
question m’embarrasse, je ne les connais pas tous” ». Le Premier ministre
reste modeste, mais il en sait beaucoup sur l’Empire du milieu avec lequel il
fêtera ses 50 ans d’échanges en 2020. Témoin perspicace des modifications
du pays sous divers angles, il a le privilège d’y partager de nombreuses
relations de poids.
De
son point de vue, la situation est largement aussi grave au plan international
que national. La déconstruction de l’Europe peut davantage affecter notre
avenir que nos mouvements d’agitation internes. Actuellement, les régimes
autoritaires deviennent les plus puissants de la planète. Ils imposent une
gouvernance mondiale. L’unilatéralisme, la négation du dialogue, devient la
dominante. Pendant longtemps se sont construits des rapports plus ou moins
équilibrés voulus par l’Ouest.
Ce
modèle décline, entrainant la défaillance de la paix internationale et de la
stabilité sociale.
L’Europe
se retrouve extrêmement fragilisée du fait des États-Unis. Nos alliés
historiques deviennent des adversaires. Leur considération à notre égard a
changé. Leur soutien au Brexit semble bien montrer que le démantèlement de
l’Europe sert leur stratégie. Par ailleurs, Wall Street attaque la zone euro en
permanence. En 2011, lors de la crise de la dette, le salut est venu par le
soutien des Chinois qui ont racheté des euros, pas par les Américains. De plus,
le système de sanctions des USA nous pénalise lourdement, notamment pour les
secteurs cruciaux du nucléaire et du spatial. Simultanément, les pays de l’Est
de l’Europe craignent pour leur sécurité quand ils observent les actions de la
Russie. Certains se préparent au pire. Les États-Unis ne participent pas, là
non plus, à l’apaisement de cette tension, au contraire. Les Européens
conservent malgré tout des sujets de coopération avec un Vladimir Poutine
menaçant. Nos entreprises sont également contraintes de fermer en Iran, cédant
à la menace de représailles de l’administration américaine. Pour finir, les
pays du Maghreb connaissent des difficultés et les soucis de migrations
massives vont encore se poser pendant longtemps.
Dans
ce contexte sombre, d’Europe affaiblie, de partenaire transformé en adversaire,
l’inquiétude se propage. N’est-il pas temps d’avoir pour la Chine un regard
différent ? Jean-Pierre Raffarin préconise de suivre le principe gaulliste
d’équilibre des relations internationales. Celui-ci devrait nous orienter vers
l’Eurasie, vers l’Est. Nous nous accordons avec la Chine sur de multiples
sujets et nous partageons des intérêts. Avec quelle Nation défendre un Monde
multipolaire, une forme de multilatéralisme et inventer des scénarios
vierges ?
Notre
industrie automobile n’est pas en situation de succès. Elle a refusé le partage
technologique avec la Chine.
Les
équipementiers ont fait l’inverse, ce qui leur a bénéficié. Les progrès de
demain seront pour partie sino-français. Il faut s’y préparer même s’il est
difficile de comprendre la langue, la culture, ou encore la psychologie
chinoise. L’Europe doit se montrer plus audacieuse dans ses relations avec
Pékin. Le Premier ministre est catégorique, l’Eurasie constitue un projet
valable, notamment avec les routes de la soie. Les négociations sur ses lignes
directrices sont accessibles et il importe de se trouver autour de la table.
« La Chine peut être un allié. Ce pays est le
plus grand commerçant du Monde. Il est difficile d’y mener des affaires. Les
Chinois sont aussi intelligents que nous et ils travaillent plus, si bien
qu’ils vont plus vite que nous. Les domaines dans lesquels nous avons encore de
l’avance vont se raréfier. » Notre intérêt serait d’investir sur la
matière grise commune. Aujourd’hui, discuter avec la Chine fait partie de la recherche
d’une stabilité dont nous avons besoin des deux côtés. Avec nos sanctions qui
l’ont isolé, nous avons poussé Vladimir Poutine vers Xi Jin Ping. Nous l’avons
incité à aller chercher des alliés. Il y a beaucoup de coopération entre eux,
mais leur relation est complexe et ne s’apparente pas à une alliance
stratégique. Restent des rivalités historiques, un scepticisme partagé, les
choses ne sont pas figées.
Aujourd’hui,
l’OMC ne suffit plus. Nous devons parler avec la Chine des règles
multilatérales, des règles internationales. Tandis que le bilatéralisme
s’impose partout, la République populaire fait plutôt de la résistance. Elle
s’engage maintenant à l’ONU dans les opérations de maintien de la paix dont
elle s’excluait auparavant. Pour l’instant, elle joue la carte du
multilatéralisme. Naturellement, elle défend ses intérêts… nous faisons de
même.
Le
point capital est d’organiser une discussion pour réformer les grandes
institutions auxquelles il faut impérativement associer la Chine. L’alliance
transatlantique ne doit pas paraître exclusive. Sur l’échiquier mondial, ce
sont les Chinois qui parlent de coopération en ce moment, d’autant que leur
pays a encore besoin de paix pour assurer son propre développement durablement.
Alors, vu la spirale de violence de l’environnement courant, l’empire du milieu
constitue apparemment un partenaire sérieux pour la cohésion internationale à
long terme. Cependant, n’oublions pas que le président
Xi
Jin Ping souffle aussi le chaud et le froid sur l’Asie, craignant par exemple
un blocus, et faisant défendre âprement son emprise en mer de Chine, au grand
dam de ses voisins.
L’attitude
de Donald Trump inquiète la République populaire, et provoque une période
houleuse. Le président américain offre deux visages, celui du patron de
l’immobilier, négociateur avisé, et celui du chef politique qui, comme ses
prédécesseurs, a diabolisé la Chine sur les médias d’information durant la
campagne électorale.
« Les Européens ne sont pas assez
proactifs contrairement aux Chinois. Ils ne nous attendent pas ! C’est à
nous de faire des propositions, de présenter des projets sino-français et de
formuler les règles adéquates. Notre attentisme nous dessert »,
martèle Jean-Pierre Raffarin. Les Chinois ont de la considération pour la
culture française, et accuser leur pays de pillage technologique, quand, par
ailleurs, on cherche à s’en rapprocher, semble inapproprié.
« On
atteint une solution après avoir franchi une série de portes dont la première
est le respect », aurait dit Jacques Chirac.
Le
Premier ministre relève qu’auparavant, le président chinois ne s’exposait pas,
n’agissait pas directement. C’était un penseur qui faisait faire. De même,
souvent, dans une délégation chinoise, il faut découvrir qui est le meneur. Xi
Jin Ping ne suit pas ce schéma habituel. Il annonce ce qu’il va faire et il se
montre.
Il
s’intéresse à la communication, à l’opinion publique. Le pays ne se dérobe plus
à sa position de puissance majeure.
C2M