À l’approche
des fêtes de fin d’année, les juristes ne peuvent s’empêcher de s’interroger
quant à l’encadrement juridique du travail du Père Noël et de ses lutins. Déformation
professionnelle sans doute, le professeur émérite de l’Université Toulouse
1 Capitole, Deen Gibirila, a accepté de
répondre à nos questions, pour le plus grand plaisir des curieux qui se
demandent encore si Noël et Droit sont compatibles.
Pouvez-vous nous éclairer
sur le statut du Père Noël ? Est-ce une profession réglementée ?
Il convient d’attribuer au Père Noël un statut
identique à celui d'ambassadeur permanent et itinérant de l'UNICEF (United Nations International Children’s Emergency Fund, ou Fonds des Nations Unies pour l’Enfance, en français). Son action bénévole lui permet de veiller au respect du « droit aux jouets » à Noël pour tous les enfants du monde, sans distinction d’origine, de condition sociale, de sexe ou d’âge. Bien loin d’être une « or dure », le Père Noël est un
bienfaiteur de l’enfance, voire de l’humanité ; encore faut-il que tout le
monde, notamment les décideurs de ce monde, lui en donnent les moyens, de sorte
que les 24 et 25 décembre, tous les enfants du monde puissent trouver un jouet
dans leurs chaussures placées au pied du sapin. À n’en point douter, il s’agit
d’une profession réglementée, parce que placée sous l’égide de l’UNICEF, qui
est un organisme international.
Le Père Noël bénéficie du concours de nombreux lutins qui constituent
des travailleurs bénévoles et reçoit de nombreux dons destinés à financer
l’achat des jouets distribués aux enfants.
De temps à autres, le Père Noël est remplacé par la Mère Noël. Reste à
savoir si celle-ci est tenue de revêtir un des statuts dévolus au conjoint du
chef d’entreprise : conjoint associé, collaborateur ou salarié.
« Les
données personnelles des enfants récupérées par le Père Noël sont
nécessairement soumises au RGPD
qui offre un cadre protecteur ».
À l’heure où l’égalité
femmes-hommes est au cœur des débats, pourquoi les emplois de lutins
tardent-ils encore tant à s’ouvrir aux femmes ? Le « Name and
Shame » pourrait-il changer les choses ?
De toute évidence, le retard
d’ouverture aux femmes des emplois de lutins est absolument inadmissible. Il
est le reflet de la discrimination salariale entre les femmes et les hommes qui
perturbent encore le monde du travail. En dépit des appels incessants des politiques
et des associations pour mettre fin à cette situation intolérable, gageons tout
de même que cette situation ne restera pas figée et évoluera positivement très
rapidement. Le « Name and Shame », traduction française de
« nommer et couvrir de honte », autrement dit « montrer
du doigt », doit être proscrit, pour ne pas succomber aux méfaits du
« procès médiatique ». Dès lors, plutôt que de faire savoir ce
qu’une personne, un groupe ou une entreprise a fait de mal par l’injonction, il
vaut mieux faire évoluer les mentalités en éduquant les esprits, notamment
en soulignant les bienfais de l’égalité « femmes – hommes »,
source de cohésion et de paix sociale.
Le Père Noël sait si les
enfants ont été sages durant l’année, et connaît la nature des cadeaux qu’ils
espèrent recevoir. Les données personnelles des enfants récupérées par le Père
Noël sont-elles soumises au RGPD (Règlement Général sur la Protection des
Données) ?
Les données personnelles des
enfants récupérées par le Père Noël sont nécessairement soumises au RGPD qui
offre un cadre protecteur. Cette mesure est destinée à répertorier tous les
enfants du monde, sans distinguer ceux qui ont été sages et ceux qui ne l’ont
pas été. Par l’attribution de jouets à tous, il s’agit de récompenser les premiers
et d’encourager les seconds à devenir sages.
En dehors du Père Noël, personne
ne saurait avoir accès à ces données qui restent confidentielles. Les lettres
innombrables qui sont adressées à ce dernier chaque année par les enfants, ne
sont conservées que le temps nécessaire pour y répondre et sont détruites
ensuite.
Où se règlent les
différends entre les lutins et leur employeur ? Recommandez-vous le
recours aux modes alternatifs de règlement des différends (MARD) ?
Je recommande fortement le
recours obligatoire aux MARD. Ainsi, toute saisine judiciaire devra
obligatoirement être précédée d’une tentative de règlement amiable du différend
impliquant les trois modes suivants : négociation, conciliation et
médiation.
Ce n’est donc qu’en cas d’échec
de ce règlement amiable que pourrait se réunir une juridiction qui statuerait
selon une procédure, là encore pacifique, excluant toute invective. Il
s’agirait simplement de régler les questions liées aux commandes non honorées
ou non conformes, aux retards de livraisons, aux colis égarés ou détériorés…
Sont exclues les questions tenant à la nature des commandes (tels que les jeux
vidéos considérés comme dangereux en raison de leur caractère belliqueux), qui
ne relèvent pas de la responsabilité du Père Noël. Les types de jouets
commandés relèvent du libre choix des enfants, éventuellement conseillés par
leurs parents.
Les litiges doivent être réglés
rapidement, afin d’éviter la déperdition des preuves, et, en tout cas, avant la
fonte des neiges, qui empêcherait les déplacements en traîneau du Père Noël,
qui serait obligé de recourir à d’autres moyens de déplacement inappropriés
(utilisation prohibée de l’espace aérien…) susceptibles de polluer
l’environnement. Par ailleurs, bien que pour l’instant, les rennes ne figurent
pas parmi les espèces en danger de l’UICN (Union internationale pour la
conservation de la nature), ils pourraient l’être assez rapidement. Vivant
au-delà du cercle arctique, ils sont particulièrement dépendants de la qualité
de leur habitat soumis aujourd’hui à un réchauffement climatique trop rapide
pour eux.
Justement, comment le
traitement des rennes du Père Noël est-il encadré par le droit ?
À l’instar de tous les animaux,
domestiques et sauvages, les rennes du Père Noël doivent être protégés. Sans
être des « personnes » au sens juridique du terme, ils ne sont
plus considérés par le droit comme des objets, mais comme des « êtres
vivants » doués de sensibilité, donc réceptifs à la douleur, dignes de
respect et de protection.
À cet
égard, on pourrait concevoir un contrat « symbolique » dit contrat « domestique
» passé entre leur propriétaire et eux. Ce contrat serait une sorte de «
contrat de travail » ou d’« échange de services » conclu entre l’éleveur ou le propriétaire et les rennes. L’éleveur ou le propriétaire prodigue des
soins aux rennes qui, en contrepartie, louent leur capacité de travail. La
difficulté réside dans l’accord et l’échange de consentements entre les
parties, le consentement des rennes étant purement hypothétique.
Qu’en est-il de
l’utilisation de l’espace aérien par le Père Noël et son traîneau ?
L’utilisation de l’espace aérien
doit être interdite au Père Noël. Il convient en effet de préserver la « magie
de Noël », plus précisément l’image féérique du Père Noël revêtu de
son manteau rouge et blanc, se déplaçant dans les différentes contrées
d’origine en traîneau, afin de livrer les jouets aux enfants du monde entier.
En outre, l’utilisation des
moyens modernes tels qu’avions ou hélicoptères encombrerait et polluerait
l’espace aérien, déjà suffisamment perturbé par différentes nuisances…
Il est vrai que dans l’imaginaire
sans bornes lié à la féérie et à la magie de Noël, on parle de traîneau volant
tiré par les rennes. Seul ce traîneau pourrait être admis dans l’espace aérien.
Si un jour, hélas, l’espèce des
rennes disparaissait ou était en nombre insuffisant, impliquant leur
protection, peut-être faudrait-il envisager l’utilisation d’un véhicule
autonome par le Père Noël, ce qui éviterait les accidents de déplacement et
ferait échapper celui-ci à la taxe carbone.
Lorsque le Père Noël
s’introduit chez les gens par la cheminée, ne commet-il pas une violation de
domicile ?
Si l’on s’en tient à la définition de la violation de
domicile donnée en droit français, par l’article 226-4 du Code pénal, il
s’agit d’un délit qui consiste à s’introduire ou à se maintenir dans « le
domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou
contrainte ». Les manœuvres recouvrent tout procédé astucieux ou ruse,
comme par exemple le fait de se présenter sous une qualité usurpée. Les menaces
correspondent à une attitude inquiétante ou à des paroles d’une personne prête
à accomplir des actes de violence. Ce n’est absolument pas le cas pour le Père
Noël. Bien au contraire, chaque année, dans la nuit du 24 au 25 décembre, il est
vivement attendu dans tous les foyers du monde où vivent des enfants, bien que
ces derniers ne le verront pas. Son image éminemment connue ne saurait susciter
la confusion. Il est aisément reconnaissable sous les traits d’une personne
âgée avec une barbe blanche et des cheveux blancs.
En outre, les guirlandes
illuminées et les sapins placés devant bon nombre de maisons constituent des
invitations à entrer en pourparlers avec la population.
Bientôt, les lettres au
Père Noël devront être entièrement dématérialisées et passeront par une
plateforme unique. La loi prévoit-elle des exceptions ?
Effectivement, d’aucuns le
regrettent peut-être, les lettres au Père Noël vont être dématérialisées.
Il existe désormais le site web du Père Noël. Cette dématérialisation semble
inévitable et correspondre au progrès de la société moderne. En effet, selon
une étude réalisée en septembre 2012 dans
18 pays européens et en Afrique du Sud, les cadeaux high-tech
sont trois fois plus demandés. Le souhait de produits innovants tels que les
tablettes et smartphones enregistre une progression constante, respectivement à
19 % et 17 %.
Pour autant, il faut constater
que le secrétariat du Père Noël à Libourne, assuré par les lutins, parvient
tout à fait à répondre au million quatre cent mille lettres reçues chaque
année.
La magie de
Noël doit être préservée autant que possible et le plus longtemps possible.
Aussi, faut-il
prévoir une exception à la dématérialisation du courrier. Il n’est donc point
besoin de remplacer absolument et complètement la plume par la souris, le
papier par le clavier, le voyage en traîneau et le passage par la cheminée, par
le voyage dans le « cloud ». Le traîneau du Père Noël est
aussi rapide qu’Internet. Il convient donc de laisser le choix aux
enfants : la voie postale ou la voie numérique, même si, fort
probablement, à court ou à moyen terme, cette dernière voie prendra le pas sur
la première.
Le Père Noël risque-t-il
d’être concerné par la réforme des retraites ?
En raison de son intemporalité et
de son immortalité, le Père Noël ne saurait être touché par la réforme des
retraites et son lot de propositions, notamment la fameuse « clause du
grand-père », qui est discriminatoire.
L’image du Père Noël appartient-elle
au domaine public ? Peut-on l’utiliser sans lui demander son
autorisation ?
L’image du Père Noël appartient
au domaine public. Bien que l’on puisse utiliser son image sans solliciter son
autorisation, il convient de ne pas en faire un usage intempestif ou abusif.
Son image doit être protégée, afin d’éviter les impostures.
Si un cadeau arrive
détérioré ou s’il comporte un vice caché, quelle est la responsabilité du
Père Noël ?
En pareilles circonstances, le
Père Noël doit bénéficier de l’immunité diplomatique que lui confère son statut
d’« ambassadeur permanent et itinérant » de l’UNICEF. Sa
responsabilité ne saurait être mise en jeu. Il suffirait de résoudre la
question par la voie amiable (négociation, conciliation et médiation)
préalablement évoquée.
Alors, peut-on dire que le
Père Noël est au-dessus des lois ?
Le Père Noël ne saurait se situer
au-dessus des lois, faute de quoi, il serait « hors-la-loi ».
Il doit avoir un statut légal protecteur de sa personne. Toujours est-il qu’il
dispose de la capacité juridique (de jouissance et d’exercice). Il a une
identité, bien que l’on ne sache distinguer son prénom de son nom de famille,
et un domicile élu, Libourne, où lui sont adressées toutes les lettres.
Propos recueillis par l’équipe du
JSS