La
loi Sapin II n° 2016-1691 du 9 décembre 2016[1]
portant réforme de la procédure de fixation de la rémunération des dirigeants
des sociétés cotées continue à faire couler beaucoup d’encre tant sa mise en
œuvre suscite encore de nombreuses interrogations, alors même que les principes
directeurs de ce dispositif, applicable depuis les assemblées générales 2017
ayant statué sur les comptes de l’exercice 2016, doivent maintenant être
assimilés et avoir été restitués correctement dans le cadre des assemblées
générales en cours des sociétés cotées en France.
Notamment,
beaucoup d’entreprises peinent encore à mettre en place la règle du
double vote des actionnaires, qui doit se formaliser par un
premier vote a priori sur
la politique de rémunération dit « vote ex ante » et un deuxième vote a posteriori pour valider le calcul de la rémunération
variable et exceptionnelle et autoriser son versement dit « vote ex post ».
À
l’aube du vote des actionnaires sur les résolutions qui leur sont présentées et
principalement celles qui viennent modifier la rémunération fixe ou variable
des dirigeants visés par le dispositif du Say on Pay[2],
quid d’un vote négatif des actionnaires sur le changement de la politique de
rémunération et de ses conséquences ?
L’alinéa 4
de l’article L. 225-37-2 du Code de commerce prévoit que « Si l'assemblée générale n'approuve pas la
résolution, les principes et critères précédemment approuvés dans les
conditions prévues aux trois premiers alinéas du présent article
continuent de s'appliquer. En l'absence de principes et critères approuvés, la
rémunération est déterminée conformément à la rémunération attribuée au titre
de l'exercice précédent ou, en l'absence de rémunération attribuée au titre de
l'exercice précédent, conformément aux pratiques existant au sein de la société. »
Force
est de constater que l’application de cet alinéa ne règle pas toutes les
questions qui se posent lors d’un vote négatif des actionnaires que ce soit la
question de son application selon que (i) le dirigeant est déjà en place ou
nouvellement nommé, (ii) ou que le vote négatif intervient durant la phase ex ante ou ex post, ou (iii) selon la nature même de la
rémunération : fixe, variable ou exceptionnelle.
Vote de la rémunération du dirigeant en fonction
S’agissant
du vote ex ante sur la
rémunération des dirigeants visés par le dispositif, il faut comprendre qu’en
cas de vote négatif des actionnaires sur les principes et critères de cette
rémunération, le dirigeant déjà en place conservera la rémunération fixe
attribuée au titre de l’exercice précédent et il lui sera appliqué les mêmes
objectifs quantitatifs et qualitatifs pour le calcul de sa rémunération
variable que ceux appliqués lors de l’exercice précédent.
Mais,
qu’en est-il du rejet du principe de l’attribution d’une rémunération
exceptionnelle (prime de bonne fin liée à la réalisation d’une opération,
indemnité de prise de fonction ou autres types d’avantages ou de rémunération
attribués exceptionnellement au titre d’un seul exercice…) ? Et s’agissant
de la rémunération variable, que faire lorsque les critères et éléments de
calcul propres à la rémunération variable appliqués lors de l’exercice
précédent ne sont pas applicables à l’exercice suivant (i.e., en raison de la
croissance naturelle de la société nécessitant d’adapter les objectifs voire du
changement de périmètre de la société rendant les objectifs de l’exercice
précédent inapplicables) ?
L’alinéa 4
de l’article L. 225-37-2 ne portant que sur le vote ex ante, le principe de
l’application de la rémunération versée au titre de l’exercice précédent n’est
pas transposable au vote négatif des actionnaires portant sur le versement de
la rémunération variable ou exceptionnelle lors du vote ex post. Si les actionnaires ne valident pas le calcul et le
versement de la rémunération variable, ladite rémunération ne sera pas versée
et il ne lui sera pas substituée le même montant de rémunération variable que
celui versé au titre de l’exercice précédent.
En
cas de rejet de la résolution portant sur un élément de rémunération variable
ou exceptionnel au titre du vote ex ante
en année N, cet élément ne serait alors pas à l’ordre du jour du vote ex post au titre de
l’année N+1 (sera alors soumis à l’ordre du jour, le versement de la
rémunération variable calculée selon les critères votés en N-1). Il en résulte
pour le conseil d’administration qui souhaite maintenir le principe d’une telle
rémunération, la nécessité de prendre en compte le vote des actionnaires et
leurs commentaires afin d’en améliorer les conditions de calcul, et ce, afin
d’éviter d’essuyer un nouveau refus des actionnaires ce qui aurait pour
conséquence de tendre les relations avec les dirigeants concernés.
La
question est plus complexe à résoudre encore s’agissant de l’incompatibilité
des critères de détermination de la rémunération variable d’une année sur
l’autre, le risque que le calcul soit erroné ou les définitions inapplicables,
sans compter la possible contestation par le dirigeant de ces éléments lors de
leur détermination par le conseil d’administration.
Vote de la rémunération du dirigeant entrant en
fonction
Quant
au dirigeant nouvellement nommé, le texte prévoit l’application d’une politique
de rémunération en fonction des pratiques usuelles au sein de la société. Mais,
que devient la proposition faite au dirigeant pour l’inciter à accepter de
rejoindre la société ?
Chacun
sait que la rémunération et les avantages sont des moyens incitatifs dont usent
les sociétés afin d’attirer les cadres clés et les dirigeants, que ce soit en
leur proposant une rémunération fixe et variable haute, ou une rémunération
fixe basse adossée à une rémunération variable potentiellement très
significative en cas d’atteinte des objectifs, ou en leur attribuant une
indemnité de prise de fonction[3] ou
enfin en leur permettant d’investir selon des conditions et des modalités
préalablement définies.
C’est
pourquoi, il est difficile de concevoir la pérennité de ce type d’engagements
incitatifs au recrutement des dirigeants visés par le dispositif sans avoir pu
leur garantir un vote positif des actionnaires sur leurs éléments de
rémunération sans compter que la valeur même de ces engagements en cas de
conflit postérieur avec l’actionnaire majoritaire est discutable. Or, toutes
les sociétés cotées ne peuvent pas garantir le vote de leurs actionnaires compte
tenu de certaines typologies d’actionnariat (actionnariat très dilué ou
mésentente entre les actionnaires atteignant ensemble la majorité)…
Quel dirigeant serait prêt à prendre de tels
risques ?
En
conséquence, il est à prévoir que le vote ne se fera plus au moment de
l’assemblée générale durant laquelle il sera uniquement formalisé
officiellement. En réalité, les discussions auront lieu bien en amont entre le
conseil d’administration et les actionnaires, et ce, afin d’éviter d’essuyer un
refus des actionnaires durant l’assemblée générale et éviter toute situation de
conflit avec les dirigeants.
Sandrine Gardel, Associée,
Pierre-Olivier Bernard, Associé,
Opleo Avocats
[1]
modifiée par l’ordonnance n°2017-1162 du 12 juillet 2017 modifiant les
articles L. 225-100, L. 225-37-2 et L. 225-82-2 du Code de
commerce et rendue applicable par le décret n° 2017-340 du 16 mars
2017 créant l’article R. 225-29-1 du Code de commerce.
[2]
présidents, directeurs généraux, directeurs généraux délégués des SA à conseil
d’administration, membres du directoire, directeur général unique et membres du
conseil de surveillance des SA à directoire.
[3]
Plus connue sous les termes anglophones de Golden hello ou welcome bonus