Alors que le taux de syndicalisation est
de 8% dans le secteur privé et de 18% dans le secteur public, les conseillers
d'État ont voulu se concentrer sur la place des organisations professionnelles
dans l'élaboration du droit du travail.
Afin de cerner le sujet, le 5 avril
dernier, le Palais royal a réuni différents acteurs du monde de l'emploi pour
le colloque « État et partenaires sociaux : organisation et régulation du
monde du travail ».
« Nous
avons une défiance révolutionnaire envers les corps intermédiaires » a
énoncé Didier Rolland-Tabuteau, Vice-Président du Conseil d'État, en guise
d’introduction. Cette défiance proprement française, fait la particularité du
droit du travail à la française. La Révolution a aboli les corporations et les
coalitions ouvrières (Loi Le Chapelier et Décret D'Allarde en
1791), laissant ainsi à la loi une place centrale pour l'établissement des
normes. Francis Lamy, président de la section sociale du conseil d’État,
explique en effet que nous sommes partis d'un système « légicentré »
qui a laissé, depuis quarante ans, plus d'importance aux conventions
collectives et aux accords d'entreprise. Le nombre d'accords d'entreprises a
doublé de 2015 à 2022 ajoute par ailleurs le directeur général du travail au
ministère, Pierre Ramain.
L’autre révolution, l'industrielle, voit
éclore une organisation du travail différente. Le paritarisme a été institué dans
les conseils des Prud'hommes (1848), cogérés par les représentants des salariés
et ceux des employeurs à nombre égal. La reconnaissance du droit de grève en
1864, est aussi un tournant dans l’évolution des négociations, avant même que
ne soit autorisée la création de syndicats professionnels par la loi
Waldeck-Rousseau en 1884.
Les organisations professionnelles ont pris
une place importante au cours du 19ème siècle, avec l’avènement du tripartisme.
Ce système de gestion partagée interroge également sur la place de l'État dans
la réglementation du droit du travail.
Ce régime, ailleurs que dans l’hexagone, n'existe
qu'en Espagne selon l'avocat au conseil d'État, Antoine Lyon-Caen. Les branches
se sont auto-constituées à partir de la loi de 1951 précise encore Pierre
Ramain. Aujourd’hui, l'État intervient dans la création des branches
professionnelles, opérant ainsi une rupture dans la normalisation du travail
entre le passé et le présent. L'État doit-il impulser la norme, ou doit-il
intervenir uniquement en cas de carence ?
« Le ministre s'est vu
attribué la création de branche »
Jean-Denis Combrexelle, président de
section honoraire, explique que « le ministre s'est vu attribué la
création de branche ». La mise en œuvre de cette création est
désormais imposée par l'État aux secteurs concernés et aux organisations
professionnelles qui les représentent.
Néanmoins, « la particularité de
la situation française, c'est qu'il n'y a pas de définition de la
branche » selon Maître Lyon-Caen. On sait seulement que la branche
professionnelle est un champ d'application d'une convention collective. C'est
donc par voie ministérielle que ce champ est fixé. L'arrêté de représentativité
définit alors les acteurs appelés à négocier. Florence Sautejeau, déléguée
générale de l'Union des transports publics et ferroviaires, ajoute que c'est
ensuite aux partenaires sociaux que l'État confie l'élaboration du cadre
social.
La CMP (commission mixte paritaire) est
l'organe qui délibère sur l'extension d'une convention collective à un secteur
entier. La commission est composée des syndicats de salariés et des
organisations patronales représentants la branche qui la concerne. Mais, elle
est présidée par un fonctionnaire du ministère. Le rôle de l'État peut être
facilitateur en CMP, lorsqu'il s'impose en modérateur. Il peut aussi exercer
une pression sur les partenaires sociaux. Florence Sautejeau en a été témoin,
au moment de la création de branche ferroviaire.
Le ministère du Travail décide s'il est
opportun de créer ou non une branche. Il détermine si elle est utile, avant d’inviter
les partenaires sociaux à la table des négociations, afin de créer une
convention collective. Le ministre soumet les organisations professionnelles à
des objectifs fixés par l'État. En conséquence, les partenaires sociaux doivent
satisfaire des intérêts qui dépassent leurs fonctions initiales. Ceux-ci incluent
par exemple des critères de compétitivité des entreprises et l'absence de
concurrence déloyale entre elles.
Cette situation pose parfois des
problèmes, notamment concernant le domaine ferroviaire dont la branche a été
créée depuis quelques années. Ce secteur avait déjà son cadre réglementaire
souligne Florence Sautejeau. Avant 2019, subsistait un monopôle.
Il a donc fallu changer complètement le
cadre conventionnel antérieur en composant avec les nouveaux entrants sur le
marché – des entreprises privées et publiques de tailles variables –. Le
législateur a alors laissé aux organisations professionnelles le soin de définir
des normes supplémentaires par le jeu de la négociation entre les partenaires
sociaux.
Un autre souci est lié à la maitrise du
calendrier par les pouvoirs publics. L'État impose que les négociations aillent
vite au moment de la création d’une branche, alors qu'une telle naissance
devrait bénéficier d’un temps de dialogue social suffisant.
La restructuration des branches
professionnelles en 2020 a rebattu les cartes de la négociation collective et
des conventions qui s'en sont suivies. Pour Denis Gravouil, secrétaire général
de la confédération générale des travailleurs (CGT), les fusions de plusieurs
branches n'étaient pas opportunes alors que les organisations professionnelles
étaient en mesure d'assurer un dialogue social suffisant à la création d'un
cadre.
L'implication amoindrie des organisations
professionnelles dans la création des normes
Les partenaires sociaux ont montré leur pertinence
dans la conception du droit social. Pourtant dans les faits, leur implication
dans la transformation de ce même droit est amoindrie en raison de la maitrise sa
production par l'État. Pour maître Lyon-Caen, « la loi professionnelle
est moins que jamais le produit de l'activité des partenaires sociaux ».
Le dialogue social, qui se fait avec les
organisations professionnelles représentatives, permet de limiter l’incidence des
réformes au gré des différentes sensibilités politiques. En somme, la
négociation entre les partenaires sociaux apparait comme garante d'une forme de
sécurité juridique. Selon Francis Lamy, « L'avantage par rapport à la
norme étatique, c'est de créer une norme sociale durable ». De son
côté, « la loi fixe les effets des accords collectifs »,
plutôt que les règles contenues dans ces accords.
Gérard Larcher, Président du Sénat et
ancien Ministre du travail poursuit en évoquant l'article
L1 du Code du travail. Réformé en 2007, ce texte instaure le principe de
concertation préalable des partenaires sociaux avant de légiférer. L’article L1
a été porté par Gérard Larcher lui-même au Parlement. Il commente : « Je
crois à la liberté d'entreprendre mais avec le progrès social, ce qui sous-entend
l'intervention des partenaires sociaux ».
L'article L1 prévoit la construction d'un
agenda, un temps réservé aux partenaires, puis un vote fidèle au résultat de la
négociation. L'ancien ministre interroge les conseillers d'État : « Faut-il
aller plus loin et étatiser ? »
Les partenaires sociaux négocient les
conventions et cogèrent les organes qui ont une délégation de service public –
comme c'est le cas de France Travail – en application des conventions qu'ils
ont eux-mêmes signés. Ce sont eux qui négocient et qui gèrent majoritairement,
explique Pascal Lagrue, secrétaire confédéral au secteur du développement de force
ouvrière (FO), parce que ces organes sont financés par les cotisations sociales.
L'étatisation n'est donc pas à l'ordre du jour.
Une gouvernance de France Travail moins
dépendante de l'État que chez nos voisins
Le tripartisme français, en comprenant un
partage entre syndicats de salariés, organisations patronales et pouvoirs
publics, se distingue des systèmes de cogestions britannique et allemand. Pour le
président Lamy, concernant le paritarisme de gestion des organismes sociaux « ce
qui frappe, c'est le poids croissant de l'État ». Or « Qui,
mieux que nous, partenaires sociaux, est capable de connaître des spécificités
des métiers et des conditions de travail, de nos entreprises ? » rebondit
Florence Sautejeau.
Charline Nicolas, Directrice générale
adjointe de France Travail, voit un décalage entre le discours politique et la
réalité de l’agence pour l'emploi. Sa gestion tripartite, imaginée avant sa
création, ne serait que relative. Le conseil d'administration n'était que la « chambre
d'enregistrement » des décisions ministérielles selon l'ancien
directeur général de l'ANPE Michel Bernard. Cette gestion tripartite résulte de
la convention entre l'État, l'Unédic – l'organe de gestion de l'assurance
chômage administré par les partenaires sociaux –, et France Travail.
Pôle emploi, aujourd'hui remplacé par
France Travail, était né de la fusion de l'ASSEDIC (Association pour l'emploi
dans l'industrie et le commerce), géré paritairement par les représentants des
employeurs et ceux des salariés, et de l'ANPE (Agence nationale pour l'emploi)
en 2008. Après ce regroupement, Pôle emploi n’était pas placé sous la tutelle
du ministère du travail.
C’est pourquoi, le conseil
d'administration de France Travail est désormais moins lié aux exigences du
ministère dans l'exercice de ces attributions puisque l'État (minoritaire) y
possède cinq sièges sur dix-neuf. France Travail, tout comme Pôle emploi (comme
le souligne son rapport public de 2009), reste toutefois un établissement
public. La convention tripartite 2024-2027 est en passe d'être signée entre
l'Unédic, France Travail et l'État. Elle dessine notamment les enjeux de
formation et l'aide aux petites entreprises.
Antonio
Desserre