Quatre arrêts destinés à
clarifier la question de ces délais ont été rendus récemment par la Cour de
cassation, avec l’objectif d’assurer une meilleure sécurité juridique.
Toutefois, si ces décisions étaient particulièrement attendues, pour Aurélien Gazel,
avocat chez Swift Litigation, le revirement de
jurisprudence opéré est « regrettable tant d’un point de vue pratique
qu’économique ».
La Chambre mixte de la Cour
de cassation a rendu le 21 juillet 2023 quatre arrêts
destinés à clarifier la question des délais dans lesquels l’action en garantie
des vices cachés peut être engagée, qui ont donné lieu à l’émission d’un
communiqué de ladite Cour qui démontre l’importance que revêt ces décisions à
ses yeux, dont l’objectif est d’assurer une meilleure « sécurité
juridique » en mettant fin aux incertitudes antérieures et aux
divergences entre ses différentes chambres.
Concrètement, la Cour de
cassation s’était fixé l’objectif de préciser la nature du délai de deux ans dans
lequel l’acquéreur doit agir (délai de prescription susceptible
d’interruption et de suspension du fait d’une expertise – ou bien délai de
forclusion, insusceptible en principe de suspension en cas de demande de
mesure d’instruction présentée avant tout procès en application de l’article
2220 du Code civil) ; l’existence d’un délai butoir à compter de la vente, dans
lequel l’action en garantie des vices cachés devrait être engagée ; la durée du délai butoir si son
existence était retenue (délai de 20 ans prévu par l’article 2232 du Code
civil ou délai de cinq ans prévu par l’article L.110-4 du Code de commerce).
Avant de dévoiler les
solutions adoptées par la Cour de cassation, il convient de rappeler que
l’article 1641 du Code civil dispose que le « vendeur est tenu de la
garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre
à l’usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que
l’acheteur ne l’aurait pas acquise ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il
les avait connus » et que l’acquéreur dispose en principe d’un délai
de deux ans à compter de la découverte du vice pour agir.
Enfin, il résulte de
l’article 1644 du Code civil que l’acquéreur peut obtenir l’annulation du
contrat de vente ou bien la diminution du prix de vente, de sorte qu’il s’agit
évidemment d’un sujet capital pour les producteurs / vendeurs qui ont besoin
d’anticiper les risques auxquels ils sont exposés dans le cadre de leur
activité.
Un revirement de nature à
créer un déséquilibre de concurrence
Ces arrêts de la Cour de
cassation étaient ainsi particulièrement attendus par les professionnels
(vendeurs, avocats) tant les litiges en matière de vices cachés sont complexes
et incertains.
Finalement, aux termes de ces
décisions, la Cour de cassation a rappelé que l’action en garantie des
vices cachés doit être engagée dans un délai de deux ans à compter de la
découverte du défaut et précisé que ce
délai de deux ans est un délai de prescription qui peut être interrompu
par une assignation même en référé, conformément à l’article 2241
du Code civil, mais également suspendu lorsque le juge a fait droit à une
demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès en application de
l’article 2239 du
Code civil, le délai recommençant à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée.
Ceci paraît logique et souhaitable pour que les acquéreurs puissent exercer
leurs recours dans des conditions sécurisantes ; et
que cette action peut être engagée dans
un délai butoir de 20 ans à compter de la vente du bien, même en présence de
vente entre commerçants.
La Cour revient ainsi sur sa
jurisprudence antérieure ayant, dans ce cas, enfermé l’action dans un délai de
cinq ans à compter de la vente du bien, en tenant compte du délai de
prescription quinquennale de l’article L110-4 du Code de commerce.
Cette dernière solution peut
se justifier au regard des textes mais elle est regrettable tant d’un point de
vue pratique qu’économique, d’une part car elle crée une insécurité économique
pour le vendeur qui pourra, le cas échéant, être amené 20 ans après la vente
d’un bien à rembourser son acheteur suite à l’annulation de ladite vente au
motif que le bien vendu aurait été affecté d’un vice caché, ce qu’il n’aura évidemment
pas pu anticiper !
D’autre part, elle est de
nature à créer un déséquilibre de concurrence au détriment des
producteurs/vendeurs Français. Ainsi à titre d’exemple, en droit Allemand, aux
termes de l'article 438 du BGB, les actions relatives à un défaut du bien
vendu, qu'il s'agisse d'un défaut de conformité ou d'un vice caché, se
prescrivent par deux ans à compter de la livraison de la chose à l'acquéreur,
sauf en cas de dol du vendeur auquel cas la prescription est trentenaire, en
Espagne, l’article 1490 du Code civil prévoit que les actions en garantie des
vices cachés « s’éteignent six mois après la livraison de la chose
vendue », en Italie, l’article 1495 du Code civil fixe un délai de
déchéance de huit (8) jours de la découverte des défauts et un délai de
prescription d’un an à compter de la livraison.
Ce déséquilibre n’est pas admissible et une uniformisation au niveau européen
est bien évidemment indispensable.
Par ailleurs, l’utilisation
d’une machine / d’un bien pendant près de deux décennies semble difficilement
conciliable avec l’existence d’un défaut antérieur à la
vente qui rendrait la machine / le bien acheté impropre à l'usage auquel on le
destine. On ne voit donc pas l’intérêt de retenir un délai butoir aussi long
qui, à l’évidence, est inadapté à ce type d’action et qui sera souvent sans
rapport avec la durée d’utilisation attendue des biens.
Enfin, il y a peu de
chance qu’une expertise puisse être utilement menée, après une période
d’exploitation prolongée d’une machine / d’un bien, pour déterminer si le
sinistre résulte d’un vice caché ou d’un défaut d’entretien ou bien encore d’un
accident, ce qui risque d’ajouter de la confusion.
En conclusion, l’objectif
affiché par la Cour de cassation d’assurer une meilleure sécurité juridique ne
semble ainsi pas atteint, et c’est fort dommage. Espérons que la réforme à
venir du droit spécial des contrats apportera la clarté souhaitée et posera une
solution pragmatique en matière d’action en garantie des vices cachés.
Exemples :
1e Civ, 20 octobre 2021,
n°20-15070 : le délai de l’article 1648 du Code civil est un délai de
prescription et la suspension prévue par l’article 2239 de ce code lui est
applicable versus 3e Civ, 5 janvier 2022, n°20-22670 : le délai
de deux ans prévu pour les vices rédhibitoires est un délai de forclusion qui
ne peut être suspendu en application de l’article 2239 du Code civil.
1e Civ. 6 juin 2018, n°17-17438 :
le point de départ du délai de prescription de l’article L.110-4 du Code de
commerce court à compter de la vente initiale (l’action en garantie des vices
cachés intentée par le sous-acquéreur huit ans après la vente initiale a donc
été jugé prescrite) versus 3e Civ. 6 décembre 2018,
n°17-24111 : casse un arrêt de cour d’appel ayant retenu comme point de
départ de la prescription de l’action de l’entrepreneur contre son fournisseur
la date de livraison de la chose, la Cour estime que le demandeur à l’action
récursoire, lui-même acquéreur de la chose, n’a connaissance du vice que
lorsqu’il est lui-même assigné sur le fondement des articles 1641 et s. du Code
civil.