DROIT

Les délais d’action en garantie des vices cachés, un casse-tête français ?

Les délais d’action en garantie des vices cachés, un casse-tête français ?
Publié le 25/07/2023 à 14:15

Quatre arrêts destinés à clarifier la question de ces délais ont été rendus récemment par la Cour de cassation, avec l’objectif d’assurer une meilleure sécurité juridique. Toutefois, si ces décisions étaient particulièrement attendues, pour Aurélien Gazel, avocat chez Swift Litigation, le revirement de jurisprudence opéré est « regrettable tant d’un point de vue pratique qu’économique ».

La Chambre mixte de la Cour de cassation a rendu le 21 juillet 2023 quatre arrêts[1] destinés à clarifier la question des délais dans lesquels l’action en garantie des vices cachés peut être engagée, qui ont donné lieu à l’émission d’un communiqué de ladite Cour qui démontre l’importance que revêt ces décisions à ses yeux, dont l’objectif est d’assurer une meilleure « sécurité juridique » en mettant fin aux incertitudes antérieures et aux divergences entre ses différentes chambres[2].

Concrètement, la Cour de cassation s’était fixé l’objectif de préciser la nature du délai de deux ans dans lequel l’acquéreur doit agir (délai de prescription susceptible d’interruption et de suspension du fait d’une expertise – ou bien délai de forclusion, insusceptible en principe de suspension en cas de demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès en application de l’article 2220 du Code civil) ; l’existence d’un délai butoir à compter de la vente, dans lequel l’action en garantie des vices cachés devrait être engagée ; la durée du délai butoir si son existence était retenue (délai de 20 ans prévu par l’article 2232 du Code civil ou délai de cinq ans prévu par l’article L.110-4 du Code de commerce).

Avant de dévoiler les solutions adoptées par la Cour de cassation, il convient de rappeler que l’article 1641 du Code civil dispose que le « vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus » et que l’acquéreur dispose en principe d’un délai de deux ans à compter de la découverte du vice pour agir[3].

Enfin, il résulte de l’article 1644 du Code civil que l’acquéreur peut obtenir l’annulation du contrat de vente ou bien la diminution du prix de vente, de sorte qu’il s’agit évidemment d’un sujet capital pour les producteurs / vendeurs qui ont besoin d’anticiper les risques auxquels ils sont exposés dans le cadre de leur activité.

Un revirement de nature à créer un déséquilibre de concurrence

Ces arrêts de la Cour de cassation étaient ainsi particulièrement attendus par les professionnels (vendeurs, avocats) tant les litiges en matière de vices cachés sont complexes et incertains.

Finalement, aux termes de ces décisions, la Cour de cassation a rappelé que l’action en garantie des vices cachés doit être engagée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du défaut et précisé que ce délai de deux ans est un délai de prescription qui peut être interrompu par une assignation même en référé, conformément à l’article 2241[4] du Code civil, mais également suspendu lorsque le juge a fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès en application de l’article 2239[5] du Code civil, le délai recommençant à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée[6]. Ceci paraît logique et souhaitable pour que les acquéreurs puissent exercer leurs recours dans des conditions sécurisantes ; et que cette action peut être engagée dans un délai butoir de 20 ans à compter de la vente du bien, même en présence de vente entre commerçants[7].

La Cour revient ainsi sur sa jurisprudence antérieure ayant, dans ce cas, enfermé l’action dans un délai de cinq ans à compter de la vente du bien, en tenant compte du délai de prescription quinquennale de l’article L110-4 du Code de commerce[8].

Cette dernière solution peut se justifier au regard des textes mais elle est regrettable tant d’un point de vue pratique qu’économique, d’une part car elle crée une insécurité économique pour le vendeur qui pourra, le cas échéant, être amené 20 ans après la vente d’un bien à rembourser son acheteur suite à l’annulation de ladite vente au motif que le bien vendu aurait été affecté d’un vice caché, ce qu’il n’aura évidemment pas pu anticiper !

D’autre part, elle est de nature à créer un déséquilibre de concurrence au détriment des producteurs/vendeurs Français. Ainsi à titre d’exemple, en droit Allemand, aux termes de l'article 438 du BGB, les actions relatives à un défaut du bien vendu, qu'il s'agisse d'un défaut de conformité ou d'un vice caché, se prescrivent par deux ans à compter de la livraison de la chose à l'acquéreur, sauf en cas de dol du vendeur auquel cas la prescription est trentenaire, en Espagne, l’article 1490 du Code civil prévoit que les actions en garantie des vices cachés « s’éteignent six mois après la livraison de la chose vendue », en Italie, l’article 1495 du Code civil fixe un délai de déchéance de huit (8) jours de la découverte des défauts et un délai de prescription d’un an à compter de la livraison[9]. Ce déséquilibre n’est pas admissible et une uniformisation au niveau européen est bien évidemment indispensable.

Par ailleurs, l’utilisation d’une machine / d’un bien pendant près de deux décennies semble difficilement conciliable avec l’existence d’un défaut antérieur à la vente qui rendrait la machine / le bien acheté impropre à l'usage auquel on le destine. On ne voit donc pas l’intérêt de retenir un délai butoir aussi long qui, à l’évidence, est inadapté à ce type d’action et qui sera souvent sans rapport avec la durée d’utilisation attendue des biens.

Enfin, il y  a peu de chance qu’une expertise puisse être utilement menée, après une période d’exploitation prolongée d’une machine / d’un bien, pour déterminer si le sinistre résulte d’un vice caché ou d’un défaut d’entretien ou bien encore d’un accident, ce qui risque d’ajouter de la confusion.

En conclusion, l’objectif affiché par la Cour de cassation d’assurer une meilleure sécurité juridique ne semble ainsi pas atteint, et c’est fort dommage. Espérons que la réforme à venir du droit spécial des contrats apportera la clarté souhaitée et posera une solution pragmatique en matière d’action en garantie des vices cachés.



[1] Chambre mixte, 21 juillet 2023, Pourvois n°21-15809, n°21-17789, n°21-19936, n°20-10763

[2] Exemples :

1e Civ, 20 octobre 2021, n°20-15070 : le délai de l’article 1648 du Code civil est un délai de prescription et la suspension prévue par l’article 2239 de ce code lui est applicable versus 3e Civ, 5 janvier 2022, n°20-22670 : le délai de deux ans prévu pour les vices rédhibitoires est un délai de forclusion qui ne peut être suspendu en application de l’article 2239 du Code civil.

1e Civ. 6 juin 2018, n°17-17438 : le point de départ du délai de prescription de l’article L.110-4 du Code de commerce court à compter de la vente initiale (l’action en garantie des vices cachés intentée par le sous-acquéreur huit ans après la vente initiale a donc été jugé prescrite) versus 3e Civ. 6 décembre 2018, n°17-24111 : casse un arrêt de cour d’appel ayant retenu comme point de départ de la prescription de l’action de l’entrepreneur contre son fournisseur la date de livraison de la chose, la Cour estime que le demandeur à l’action récursoire, lui-même acquéreur de la chose, n’a connaissance du vice que lorsqu’il est lui-même assigné sur le fondement des articles 1641 et s. du Code civil.

[3] L’article 1648 alinéa 1er du Code civil dispose que « l’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur dans un délai deux ans à compter de la découverte du vice ».

[4] L’article 2241 du Code civil dispose que « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure ».

[5] L’article 2239 du Code civil précise que « La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ».

[6] cf. pourvoi n°21-15809.

[7] cf. pourvoi n°21-17789 et n°20-10763 : « l’encadrement dans le temps de l’action en garantie des vices cachés ne peut plus désormais être assuré que par l’article 2232 du code civil, de sorte que cette action doit être formée dans le bref délai, devenu un délai de deux ans, à compter de la découverte du vice, ou, en matière d’action récursoire, à compter de l’assignation, sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, lequel est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie ».

[8] 1e Civ. 6 juin 2018, n°17-17438 

[9] cf. le Rapport de Mme Fontaine Conseillère, arrêt n°290 du 21 juillet 2023 Chambre mixte, pourvoi n°21-15809, pages 28 et s.

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