Emblématique de la loi française, le terme de « propagande »
désigne encore la publicité des boissons alcooliques dans le Code de la santé
publique (CSP, art. L. 3323-2).
Le droit de la publicité des boissons alcooliques est
marqué par la sévérité, avec comme principe, celui de la liste positive
exclusive des mentions et supports autorisés (CSP, art. L. 3323-2 et L. 3323-4) :
tout ce qui n’est pas autorisé est interdit. Le Code de la santé publique énonce
de façon exhaustive ce qui est permis. Le Code ne fait ici aucune distinction
suivant les catégories de boissons alcooliques, à la différence du régime des
licences pour les débits de boisson.
Malgré sa sévérité, la législation française a été depuis longtemps
jugée conforme au droit européen tant par le juge européen (1) que par la jurisprudence française qui a tranché dans le
même sens au regard de la Constitution française ainsi qu’à l’aune de la Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne et à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme protégeant le droit à
la liberté d’expression (2).
Les dernières évolutions du droit de la publicité des boissons
alcooliques peuvent être examinées, en distinguant le domaine de la législation
restrictive (I) et le contenu de celle-ci (II).
Les
évolutions récentes du domaine du droit
de la publicité des vins
La jurisprudence a récemment clarifié la définition même de l’acte
publicitaire (A) alors que le législateur a restreint en 2016 le champ d’application de la législation relative à la publicité des
boissons alcooliques (B).
Une définition jurisprudentielle plus
précise de l’acte publicitaire
La jurisprudence française a longtemps retenu une définition très large
de la notion de publicité en faveur d’une boisson alcoolique comme tout acte
ayant pour effet, quelle qu’en soit la finalité, de rappeler une boisson
alcoolique. Les juges du fond en ont fait une application à des reportages
parus dans la presse au sujet de certains produits viticoles. La Cour de
cassation vient toutefois de poser une limite importante à une telle définition
extensive de la publicité dans un arrêt du 21 février 2017 (3) relatif à la publicité du tabac, mais dont la solution
est transposable à la publicité des boissons alcooliques, car il s’agissait de
publicités télévisées, interdites pour les deux produits. Ainsi, ayant eu à se
prononcer sur la licéité d’une émission de télévision (diffusée par la société
Paris première) qui avait mis en scène un dîner réunissant des participants
dont certains s’étaient mis à fumer, la chambre criminelle rend un arrêt de
cassation dans lequel elle affirme « que ne peut être considéré
comme une publicité en faveur du tabac la diffusion d’une émission ne
comportant aucune image ou aucun propos ayant pour but ou pour effet de
promouvoir directement ou indirectement le tabac ou un produit du tabac ».
Désormais, on ne pourra plus qualifier de publicité une action qui n’a pas pour
but ou pour effet la promotion d’un produit ou d’un service.
Une limitation récente du domaine de la législation restrictive
Le législateur a adopté une très importante réforme, aux termes de la
loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, qui a restreint de façon très
substantielle le domaine de la législation restrictive en matière de publicité
des boissons alcoolisées.
En effet, en vertu du nouvel article L. 3323-3-1 du Code de la santé publique, échappe désormais aux limites posées par
le Code de la santé publique le contenu
des actions d’information et de promotion relatifs à :
• une région
de production,
• une
toponymie,
• une
référence ou une indication géographique et un terroir,
• un
itinéraire,
• une zone de
production,
• un
savoir-faire,
• l’histoire
et le patrimoine culturel, gastronomique ou paysager liés à une boisson
alcoolique disposant d’une identification de la qualité ou de l’origine, ou
protégée (AOP/IGP/Agriculture biologique).
Il est encore un peu tôt pour savoir quelles limites
posera la jurisprudence à ce nouveau domaine de liberté publicitaire. Il est
toutefois relativement évident que cette nouvelle liberté concerne les
démarches collectives de promotion des terroirs, des indications géographiques
(AOP/IGP), et plus largement des régions viticoles, notamment via
l’œnotourisme. Cette loi pourrait peut-être aussi fonder l’admission d’une
chaine de télévision dédiée au monde et à la culture du vin, précédemment
interdite par le Conseil d’état (4). Il semble en revanche
assuré que cette disposition ne permet pas d’échapper aux restrictions du Code
de la santé publique en matière de promotion des marques de boissons
alcooliques.
Les évolutions
récentes du contenu du droit de la
publicité des vins
Nous distinguerons ici la publicité directe (A), de la publicité
indirecte (B).
La publicité directe
Depuis la loi n° 2009-879?du
21 juillet 2009, la publicité en faveur des boissons alcooliques peut être
réalisée par des « services de communication en ligne » (CSP,
art. L. 3323-2), c’est-à-dire par Internet (5). À cet égard, la Cour de cassation a rejeté, le 3 mai 2016, une
demande de QPC (Question prioritaire de constitutionnalité) portant sur le 9°
de l’article 3323-2?du Code de la santé publique qui définit les limites de
la publicité des vins en ligne, au motif que « la disposition
critiquée est rédigée en des termes suffisamment clairs et précis pour
permettre au juge, dans l’exercice de son office, de déterminer, sans risque
d’arbitraire, quels sont les services de communication en ligne qui, par leur
caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement
destinés à la jeunesse ».
La Cour de cassation a aussi apporté des précisions sur la publicité
directe d’une affaire jugée en 2013 (6) dans laquelle la Cour de cassation a censuré la campagne publicitaire
« Un Ricard des rencontres » considérant d’une part,
que le
slogan renvoie dans l’esprit du consommateur au rapprochement entre
personnes, associant la boisson alcoolique avec la possibilité de nouer des
relations inattendues et fortuites, et d’autre part, que l’utilisation du sigle
« # », qui signifie dièse dans l’esprit du
consommateur, associé à un chiffre dont le sens est incompréhensible vise un
public de jeunes consommateurs sensible aux nouvelles technologies (en fait, il
s’agissait d’un code indiquant la nature du cocktail dont la recette est
indiquée par ailleurs). Cet arrêt confirme qu’il est toujours illicite de jouer
sur le registre de la convivialité, de l’évasion, ou plus généralement du
bonheur humain sous toutes ses formes. La création publicitaire originale n’est
pas impossible, comme en a témoigné l’affaire Jameson, même s’il a fallu
attendre un troisième arrêt de la Cour de cassation (7) pour y parvenir.
Une autre affaire manifeste que malgré les limites, il existe un espace
de liberté. Il s’agissait d’une campagne publicitaire réalisée par
l’interprofession bordelaise en faveur de la promotion des vins de Bordeaux
mettant en scène sur des affiches des personnes présentées comme appartenant à
la filière vitivinicole. Dans un premier temps, la Cour de cassation avait
estimé que la publicité comportait « des références visuelles
étrangères aux indications légales » (8). Cependant, dans un second temps, devant la résistance habile des
juges de la cour d’appel de Versailles qui, dans un arrêt de renvoi du
3 avril 2014, ont refusé de s’incliner en considérant que la présentation
de personnages désignés comme membres de la filière se rattache « directement
au facteur humain qui est légalement au cœur de la notion d’appellation
d’origine », la Cour de cassation, dans un arrêt du 1er juillet
2015 (9), a finalement refusé de censurer cette
campagne publicitaire. Elle a, en définitive, estimé que les personnages,
expressément désignés comme des membres de la filière des vins de Bordeaux, ne
sont pas assimilables aux consommateurs et se rattachent au facteur humain visé
par l’article L. 115-1 du Code de
la consommation (qui définit l’appellation d’origine) auquel fait référence
l’article L. 3323-4 du Code de
la santé publique. Elle ajoute que la représentation de ces personnages avec un
verre à demi plein à la main ne dépasse pas les limites fixées par la loi et
que l’image donnée de professions investies par des jeunes, ouvertes aux femmes
et en recherche de modernité, est enfin en accord avec les dispositions légales
autorisant une référence aux facteurs humains liées aux appellations d’origine.
La représentation de personnes présentées comme membre de la filière
vitivinicole a depuis cette décision fait florès, dès lors qu’elle permet de
rattacher le contenu publicitaire à la promotion objective de la nature, des
qualités et caractéristiques du produit.
En revanche, ce défaut d’objectivité a récemment conduit le tribunal de
grande instance de Paris à censurer une campagne publicitaire réalisée par la
société Kronenbourg au profit de la marque de bière Grimbergen qui était
articulée sur la légende du Phœnix, ce dernier étant l’emblème de cette marque (10). Les juges ont tout d’abord censuré des films publicitaires mettant en
scène le Phœnix car « même s’il représente l’emblème de la
marque Grimbergen, le Phœnix ne fait aucunement référence objective aux
caractéristiques gustatives du produit ou à son origine historique, mais
valorisent la consommation de cette boisson en l’associant un oiseau mythique,
imaginaire aux pouvoirs exceptionnels ». Les juges ont
également censuré un autre film publicitaire de cette campagne en lui
reprochant d’utiliser un visuel qui rappelait sans équivoque ceux du générique
d’une série télévisée « Games of Thrones ». Enfin, les
mêmes juges ont, d’une part, censuré un jeu en ligne, en estimant qu’il n’avait
« pour objectif que d’inciter principalement les jeunes à
consommer la boisson, en s’adonnant à une activité ludique et dérivative »
et, d’autre part, censuré le slogan « l’intensité d’une légende »
en estimant que la référence à la notion de légende « ne renseigne pas
sur l’origine historique de la bière de l’abbaye de Grimbergen »
mais « crée une association d’idées chez le consommateur entre la
consommation [de cette bière] et le fait de vivre un moment
unique, magique, exceptionnel ».
La publicité indirecte
Le Code de la santé publique interdit la publicité indirecte en faveur
des boissons alcooliques, c’est-à-dire toute publicité en faveur d’un produit
non alcoolique qui rappelle une boisson alcoolique (CSP, art. L. 3323-3).
Cela interdit donc à une marque désignant une boisson alcoolisée de décliner
celle-ci pour des produits ou services différents.
Le Code de la santé publique interdit également, de façon expresse, le
parrainage, lorsqu’il a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité
directe ou indirecte en faveur des boissons alcoolisées (CSP, art.
L. 3323-2).
La cour d’appel de Paris a apporté à ce sujet des précisions dans un
arrêt rendu en 2016 dont le pourvoi en cassation a été rejeté le
5 juillet 2017. Pour la cour, le conditionnement d’un produit est un
support de publicité. Elle estime ainsi que les références visuelles montrant
des joueurs de football et les mentions « Barclays Première League.
Bière Officielle » et « L’instinct de la
Première League » constituent une opération de parrainage ayant
pour objet ou pour effet la publicité directe ou indirecte en faveur d’une
boisson alcoolique. Elle en conclut donc à l’interdiction de cette campagne
publicitaire (11).
En définitive, on relèvera que le droit de la publicité des boissons
alcooliques n’est pas un long fleuve tranquille, mais qu’il charrie des
décisions, dont on peut patiemment discerner la cohérence, et par là même les
critères objectifs permettant de développer des campagnes publicitaires sans
encourir de censure, même si, de temps en temps, une décision pourrait faire
douter de la rationalité de l’ensemble.
1) CJCE, 8 mars 2001, aff. C-405/98 et CJCE, 13 juillet 2004, aff. C-492/02.
2) CA Paris, pôle 1 – ch. 3, 9 févr. 2016, ANPAA c/ Brasseries
Kronenbourg.
3) Cass. crim., 21 févr. 2017, n° 15-87688.
4) Voir affaire Deovino, CE, 11 juillet 2012, n° 351253. Cf.
J.-M. Bahans, Actualité de la loi Evin : une évolution à l’horizon ?,
Union girondine, mai 2013, p. 31.
5) Sur cette loi du 21 juillet 2009 et la publicité par Internet, voir J.-M. Bahans, Actualité de la loi
Evin : une évolution à l’horizon ?, op. cit.
6) Cass. civ. 1°, 3 juillet 2013, 12-22633.
7) Cass. crim. 15 mai 2012, n° 11-83.686. Sur cette affaire,
voir J.-M. Bahans, Actualité de la loi Evin : une évolution à
l’horizon ?, op. cit., p. 32.
8) Civ. 1°, 23 févr. 2012, n° 10-17887.
9) Cass. civ. 1re, 1er juillet 2015,
n° 14-17.368.
10) TGI Paris, 9 févr. 2017, n° RG : 15/14239.
11) CA Paris, pôle 1– ch. 3, 9 févr. 2016, ANPAA c/ Brasseries
Kronenbourg et Civ. 1re, 5 juill. 2017, n° 16-14.978.
Jean-Marc
Bahans,
Institut des
Sciences de la Vigne et du Vin – ISVV,
(Université
de Bordeaux)
Michel
Menjucq,
Professeur à
l’École de droit
de la Sorbonne (Université Paris I)