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Retour sur les dernières évolutions en droit de la publicité des vins

Retour sur les dernières évolutions en droit de la publicité des vins
Publié le 27/09/2018 à 11:57



Emblématique de la loi française, le terme de « propagande » désigne encore la publicité des boissons alcooliques dans le Code de la santé publique (CSP, art. L. 3323-2).


Le droit de la publicité des boissons alcooliques est marqué par la sévérité, avec comme principe, celui de la liste positive exclusive des mentions et supports autorisés (CSP, art. L. 3323-2 et L. 3323-4) :
tout ce qui n’est pas autorisé est interdit. Le Code de la santé publique énonce de façon exhaustive ce qui est permis. Le Code ne fait ici aucune distinction suivant les catégories de boissons alcooliques, à la différence du régime des licences pour les débits de boisson.


Malgré sa sévérité, la législation française a été depuis longtemps jugée conforme au droit européen tant par le juge européen (1) que par la jurisprudence française qui a tranché dans le même sens au regard de la Constitution française ainsi qu’à l’aune de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme protégeant le droit à la liberté d’expression (2).


Les dernières évolutions du droit de la publicité des boissons alcooliques peuvent être examinées, en distinguant le domaine de la législation restrictive (I) et le contenu de celle-ci (II).


 


Les évolutions récentes du domaine  du droit de la publicité des vins


La jurisprudence a récemment clarifié la définition même de l’acte publicitaire (A) alors que le législateur a restreint en 2016 le champ d’application de la législation relative à la publicité des boissons alcooliques (B).


 


Une définition jurisprudentielle  plus précise de l’acte publicitaire


La jurisprudence française a longtemps retenu une définition très large de la notion de publicité en faveur d’une boisson alcoolique comme tout acte ayant pour effet, quelle qu’en soit la finalité, de rappeler une boisson alcoolique. Les juges du fond en ont fait une application à des reportages parus dans la presse au sujet de certains produits viticoles. La Cour de cassation vient toutefois de poser une limite importante à une telle définition extensive de la publicité dans un arrêt du 21 février 2017 (3) relatif à la publicité du tabac, mais dont la solution est transposable à la publicité des boissons alcooliques, car il s’agissait de publicités télévisées, interdites pour les deux produits. Ainsi, ayant eu à se prononcer sur la licéité d’une émission de télévision (diffusée par la société Paris première) qui avait mis en scène un dîner réunissant des participants dont certains s’étaient mis à fumer, la chambre criminelle rend un arrêt de cassation dans lequel elle affirme « que ne peut être considéré comme une publicité en faveur du tabac la diffusion d’une émission ne comportant aucune image ou aucun propos ayant pour but ou pour effet de promouvoir directement ou indirectement le tabac ou un produit du tabac ». Désormais, on ne pourra plus qualifier de publicité une action qui n’a pas pour but ou pour effet la promotion d’un produit ou d’un service.


 


Une limitation récente du domaine  de la législation restrictive


Le législateur a adopté une très importante réforme, aux termes de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, qui a restreint de façon très substantielle le domaine de la législation restrictive en matière de publicité des boissons alcoolisées.


En effet, en vertu du nouvel article L. 3323-3-1 du Code de la santé publique, échappe désormais aux limites posées par le Code de la santé publique le contenu des actions d’information et de promotion relatifs à :


une région de production,


une toponymie,


une référence ou une indication géographique et un terroir,


un itinéraire,


une zone de production,


un savoir-faire,


l’histoire et le patrimoine culturel, gastronomique ou paysager liés à une boisson alcoolique disposant d’une identification de la qualité ou de l’origine, ou protégée (AOP/IGP/Agriculture biologique).


Il est encore un peu tôt pour savoir quelles limites posera la jurisprudence à ce nouveau domaine de liberté publicitaire. Il est toutefois relativement évident que cette nouvelle liberté concerne les démarches collectives de promotion des terroirs, des indications géographiques (AOP/IGP), et plus largement des régions viticoles, notamment via l’œnotourisme. Cette loi pourrait peut-être aussi fonder l’admission d’une chaine de télévision dédiée au monde et à la culture du vin, précédemment interdite par le Conseil d’état (4). Il semble en revanche assuré que cette disposition ne permet pas d’échapper aux restrictions du Code de la santé publique en matière de promotion des marques de boissons alcooliques.


 


Les évolutions récentes du contenu  du droit de la publicité des vins


Nous distinguerons ici la publicité directe (A), de la publicité indirecte (B).


 


La publicité directe


Depuis la loi n° 2009-879?du 21 juillet 2009, la publicité en faveur des boissons alcooliques peut être réalisée par des « services de communication en ligne » (CSP, art. L. 3323-2), c’est-à-dire par Internet (5). À cet égard, la Cour de cassation a rejeté, le 3 mai 2016, une demande de QPC (Question prioritaire de constitutionnalité) portant sur le 9° de l’article 3323-2?du Code de la santé publique qui définit les limites de la publicité des vins en ligne, au motif que « la disposition critiquée est rédigée en des termes suffisamment clairs et précis pour permettre au juge, dans l’exercice de son office, de déterminer, sans risque d’arbitraire, quels sont les services de communication en ligne qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse ».


La Cour de cassation a aussi apporté des précisions sur la publicité directe d’une affaire jugée en 2013 (6) dans laquelle la Cour de cassation a censuré la campagne publicitaire « Un Ricard des rencontres » considérant d’une part, que le


slogan renvoie dans l’esprit du consommateur au rapprochement entre personnes, associant la boisson alcoolique avec la possibilité de nouer des relations inattendues et fortuites, et d’autre part, que l’utilisation du sigle « # », qui signifie dièse dans l’esprit du consommateur, associé à un chiffre dont le sens est incompréhensible vise un public de jeunes consommateurs sensible aux nouvelles technologies (en fait, il s’agissait d’un code indiquant la nature du cocktail dont la recette est indiquée par ailleurs). Cet arrêt confirme qu’il est toujours illicite de jouer sur le registre de la convivialité, de l’évasion, ou plus généralement du bonheur humain sous toutes ses formes. La création publicitaire originale n’est pas impossible, comme en a témoigné l’affaire Jameson, même s’il a fallu attendre un troisième arrêt de la Cour de cassation (7) pour y parvenir.


Une autre affaire manifeste que malgré les limites, il existe un espace de liberté. Il s’agissait d’une campagne publicitaire réalisée par l’interprofession bordelaise en faveur de la promotion des vins de Bordeaux mettant en scène sur des affiches des personnes présentées comme appartenant à la filière vitivinicole. Dans un premier temps, la Cour de cassation avait estimé que la publicité comportait « des références visuelles étrangères aux indications légales » (8). Cependant, dans un second temps, devant la résistance habile des juges de la cour d’appel de Versailles qui, dans un arrêt de renvoi du 3 avril 2014, ont refusé de s’incliner en considérant que la présentation de personnages désignés comme membres de la filière se rattache « directement au facteur humain qui est légalement au cœur de la notion d’appellation d’origine », la Cour de cassation, dans un arrêt du 1er juillet 2015 (9), a finalement refusé de censurer cette campagne publicitaire. Elle a, en définitive, estimé que les personnages, expressément désignés comme des membres de la filière des vins de Bordeaux, ne sont pas assimilables aux consommateurs et se rattachent au facteur humain visé par l’article L. 115-1 du Code de la consommation (qui définit l’appellation d’origine) auquel fait référence l’article L. 3323-4 du Code de la santé publique. Elle ajoute que la représentation de ces personnages avec un verre à demi plein à la main ne dépasse pas les limites fixées par la loi et que l’image donnée de professions investies par des jeunes, ouvertes aux femmes et en recherche de modernité, est enfin en accord avec les dispositions légales autorisant une référence aux facteurs humains liées aux appellations d’origine.


La représentation de personnes présentées comme membre de la filière vitivinicole a depuis cette décision fait florès, dès lors qu’elle permet de rattacher le contenu publicitaire à la promotion objective de la nature, des qualités et caractéristiques du produit.


En revanche, ce défaut d’objectivité a récemment conduit le tribunal de grande instance de Paris à censurer une campagne publicitaire réalisée par la société Kronenbourg au profit de la marque de bière Grimbergen qui était articulée sur la légende du Phœnix, ce dernier étant l’emblème de cette marque (10). Les juges ont tout d’abord censuré des films publicitaires mettant en scène le Phœnix car « même s’il représente l’emblème de la marque Grimbergen, le Phœnix ne fait aucunement référence objective aux caractéristiques gustatives du produit ou à son origine historique, mais valorisent la consommation de cette boisson en l’associant un oiseau mythique, imaginaire aux pouvoirs exceptionnels ». Les juges ont également censuré un autre film publicitaire de cette campagne en lui reprochant d’utiliser un visuel qui rappelait sans équivoque ceux du générique d’une série télévisée « Games of Thrones ». Enfin, les mêmes juges ont, d’une part, censuré un jeu en ligne, en estimant qu’il n’avait « pour objectif que d’inciter principalement les jeunes à consommer la boisson, en s’adonnant à une activité ludique et dérivative » et, d’autre part, censuré le slogan « l’intensité d’une légende » en estimant que la référence à la notion de légende « ne renseigne pas sur l’origine historique de la bière de l’abbaye de Grimbergen » mais « crée une association d’idées chez le consommateur entre la consommation [de cette bière] et le fait de vivre un moment unique, magique, exceptionnel ».


La publicité indirecte


Le Code de la santé publique interdit la publicité indirecte en faveur des boissons alcooliques, c’est-à-dire toute publicité en faveur d’un produit non alcoolique qui rappelle une boisson alcoolique (CSP, art. L. 3323-3). Cela interdit donc à une marque désignant une boisson alcoolisée de décliner celle-ci pour des produits ou services différents.


Le Code de la santé publique interdit également, de façon expresse, le parrainage, lorsqu’il a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte en faveur des boissons alcoolisées (CSP, art. L. 3323-2).


La cour d’appel de Paris a apporté à ce sujet des précisions dans un arrêt rendu en 2016 dont le pourvoi en cassation a été rejeté le 5 juillet 2017. Pour la cour, le conditionnement d’un produit est un support de publicité. Elle estime ainsi que les références visuelles montrant des joueurs de football et les mentions « Barclays Première League. Bière Officielle » et « L’instinct de la Première League » constituent une opération de parrainage ayant pour objet ou pour effet la publicité directe ou indirecte en faveur d’une boisson alcoolique. Elle en conclut donc à l’interdiction de cette campagne publicitaire (11).


En définitive, on relèvera que le droit de la publicité des boissons alcooliques n’est pas un long fleuve tranquille, mais qu’il charrie des décisions, dont on peut patiemment discerner la cohérence, et par là même les critères objectifs permettant de développer des campagnes publicitaires sans encourir de censure, même si, de temps en temps, une décision pourrait faire douter de la rationalité de l’ensemble.



1) CJCE, 8 mars 2001, aff. C-405/98 et CJCE, 13 juillet 2004, aff. C-492/02.

2) CA Paris, pôle 1 – ch. 3, 9 févr. 2016, ANPAA c/ Brasseries Kronenbourg.

3) Cass. crim., 21 févr. 2017, n° 15-87688.

4) Voir affaire Deovino, CE, 11 juillet 2012, n° 351253. Cf. J.-M. Bahans, Actualité de la loi Evin : une évolution à l’horizon ?, Union girondine, mai 2013, p. 31.

5) Sur cette loi du 21 juillet 2009 et la publicité par Internet, voir J.-M. Bahans, Actualité de la loi Evin : une évolution à l’horizon ?, op. cit.

6) Cass. civ. 1°, 3 juillet 2013, 12-22633.

7) Cass. crim. 15 mai 2012, n° 11-83.686. Sur cette affaire, voir J.-M. Bahans, Actualité de la loi Evin : une évolution à l’horizon ?, op. cit., p. 32.

8) Civ. 1°, 23 févr. 2012, n° 10-17887.

9) Cass. civ. 1re, 1er juillet 2015, n° 14-17.368.

10) TGI Paris, 9 févr. 2017, n° RG : 15/14239.

11) CA Paris, pôle 1– ch. 3, 9 févr. 2016, ANPAA c/ Brasseries Kronenbourg et Civ. 1re, 5 juill. 2017, n° 16-14.978.


 


Jean-Marc Bahans,

Institut des Sciences de la Vigne et du Vin – ISVV,

(Université de Bordeaux)



Michel Menjucq,

Professeur à l’École de droit
de la Sorbonne (Université Paris I)







 


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