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Les relations contractuelles entre les galeries et les foires : vers un meilleur équilibre ?

Les relations contractuelles entre les galeries et les foires : vers un meilleur équilibre ?
Publié le 29/12/2022 à 12:47

Événements emblématiques de la scène artistique, plus de 300 foires d’art rythment l’agenda des galeries d’art tout au long de l’année. Elles représentent pour les galeries des leviers économiques puissants. Indéniablement considérées comme des outils face à la concurrence des maisons de ventes aux enchères, les foires demeurent incontournables dans l’écosystème du marché de l’art comme lieux de tissage de réseaux. Disposant d’une force de frappe médiatique considérable, elles sont vues comme une étape nécessaire pour accéder à une reconnaissance. Vecteurs de promotion, les salons sont aussi visés par les artistes afin que leur travail soit valorisé à l’international. L’occasion aussi pour ces mêmes artistes de produire spécifiquement des pièces pour une foire.

Pour ces raisons, les foires sont en situation de poser, voire d’imposer, leurs conditions contractuelles, que les galeries exposantes ne sont pas toujours en position de refuser. Isabelle Alfonsi, vice-présidente du Comité professionnel des galeries d’art, indique qu’il existe « une forte demande de participation des galeries pour les foires d’envergure mondiale, celles pour lesquelles se déplace systématiquement une clientèle en provenance de toutes les régions du monde. Le nombre de demandes excédant de beaucoup le nombre de stands disponibles dans ces foires, cela crée évidemment une asymétrie de pouvoir favorable à ces foires globales ».

Une part significative du chiffre d’affaires des galeries d’art se constitue à l’occasion de ces foires. On estime généralement que le CA généré est de 20 à 30 % du CA annuel pour celles situées dans les grandes métropoles, et de 60 % pour certaines enseignes de province.

Selon une étude de l’économiste Nathalie Moureau, 65 % des galeries déclarent rencontrer en foire des collectionneurs qui leur permettent de faire des affaires dans des gammes de prix supérieures à celles de leurs clients et clientes usuelles. Les foires sont ainsi une forme de prospection autant qu’une opération financière donnant naissance à des opportunités commerciales immédiates ou différées.

Les frais avancés pour participer à une foire étant régulièrement revus à la hausse – du fait de la renommée grandissante de la foire ou de l’inflation –, le chiffre d’affaires généré par la présence d’une galerie sur une foire, même s’il est élevé, ne permet pas toujours de dégager des bénéfices.

Entre négociation et adhésion : l’équilibre contractuel à optimiser

La nature des relations entre les foires et les galeries d’art participantes sont contractuelles ; il s’agit surtout de savoir si la nature des contrats qui les lient relève de l’adhésion ou de la libre négociation. La participation d’une galerie à un salon se traduit juridiquement en un corpus de règles qui se déploient à travers un dossier de candidature, des conditions générales de ventes, ainsi qu’à travers un guide exposant, voire d’autres documents annexes. En France, certaines conditions générales des ventes de foire prévoient que le Règlement général des foires et salons de France (document qui n’est pas en accès libre) est applicable aux galeries exposantes. Examiner la nature des relations contractuelles entre les foires et les galeries doit se faire à la lumière de cet ensemble qui varie bien évidemment d’une foire à l’autre.

Le document de candidature, (« contrat de réservation », « demande de participation »), une fois rempli et signé par la galerie, est constitutif d’un engagement contractuel unilatéral complet du corpus de documents. Après acceptation de sa candidature, il lui est régulièrement demandé d’apporter une liste de VIP. Une fois réceptionnés, les précieux contacts de la galerie viennent enrichir les bases de données de l’événement qui se les approprie et les convie d’année en année. Cette transmission de contacts n’est pas sans incidences sur les règles de protection des données personnelles.

Dans cette course à la reconnaissance, les galeries n’ont parfois pas d’autres choix que de faire ce sacrifice, en mettant en jeu leur économie fragile et leur réseau volatil. Sur la notion de contrat d’adhésion, la définition légale a fait l’objet de discussions dans le cadre de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, puis en 2018 lors de sa ratification. En 2016, le contrat de gré à gré était défini comme « celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties » et le contrat d’adhésion comme « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ». Désormais, le contrat de gré à gré est « celui dont les stipulations sont négociables entre les parties », et le contrat d’adhésion est défini comme « celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties » (article 1110 du Code civil).

Cette dernière définition vient modifier le champ d’application de l’article 1171 du Code civil permettant de réputer non écrite toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat d’adhésion. Pour les dossiers de candidature des galeries aux foires, la balance penche vers une qualification de contrat d’adhésion dans le cadre duquel le déséquilibre significatif peut être invoqué, même par un professionnel. Au sein des conditions générales de vente (CGV) des foires et salons, certaines clauses couramment utilisées mettent à mal l’équilibre contractuel. C’est notamment le cas de clauses relatives aux annulations de l’événement et aux (non) remboursements des frais de participations. Des clauses qui sont fondées, selon les foires, sur des usages de la profession notamment rappelées par UNIMEV (Union française des métiers de l’événement).

Cette absence totale de négociation doit néanmoins être nuancée. Les foires souhaitant s’assurer la participation de grands noms à leur événement, peuvent proposer des conditions particulières de participation à certaines galeries. Ce pouvoir de négociation est dans les faits réservé aux galeries d’art les plus importantes.

Face à ces puissances économiques importantes, qui posent (ou imposent) leurs conditions contractuelles, une adaptation est nécessaire au regard des spécificités de l’écosystème culturel ; l’objectif majeur de ces rendez-vous, d’ordre économique, ne permettant pas toujours de garantir une diversité de représentation de la création artistique contemporaine.

Une adaptation nécessaire au regard des spécificités de l’écosystème culturel

Le marché de la création contemporaine est un marché hybride, à mi-chemin entre commerce et culture, représentatif de l’exception culturelle française. Le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA), qui fédère aujourd’hui plus de 320 galeries françaises, se donne notamment pour mission de valoriser le métier de galeriste de promotion, investi à la fois dans la production, la commercialisation mais aussi la diffusion des œuvres d’art. Les galeries d’art, espaces gratuits ouverts à tous, contribuent au rayonnement culturel de la France. Les galeries, par le dynamisme de leur programmation, sont partenaires des artistes et de leurs ayants droit en participant largement à leur rémunération.

Le CPGA veille au respect de la place des galeries dans la relation d’interdépendance indispensable à leur pérennité qui les lie avec les foires, et relève les conditions de participation qui s’exercent au désavantage des galeries.

La représentativité du CPGA permet la tenue d’un dialogue collectif entre foires et galeries, indispensable au maintien d’un relatif équilibre dans la collaboration entre galeries et foires.

La crise covid a permis de mettre à jour certaines conditions contractuelles déséquilibrées, notamment concernant les conditions de remboursement en cas d’annulation, jusque-là peu remarquées.

Face aux politiques des foires, les galeries font valoir leurs droits devant les tribunaux. Ce fut notamment le cas de dizaines de galeries du CPGA, participantes à la foire Art Paris Art Fair 2020 (édition reportée puis annulée), foire qui s’est vue condamnée par les juges à rembourser les acomptes de l’édition 2020 versés par les galeries, ainsi que les frais d’avocats avancés.

Autre élément important, les ventes générées à l’occasion des foires font l’objet d’une exception au droit de rétractation des consommateurs. En application de la directive européenne de 2011 relative aux droits des consommateurs, transposée dans le Code de la consommation, les règles sont claires et la jurisprudence constante : si le droit commun prévoit un délai de 14 jours permettant au consommateur de se rétracter lorsqu’il ou elle a signé un contrat conclu à distance ou hors établissement et ce sans avoir à motiver sa décision (art. L 221-18 alinéa 1 du Code de la consommation), les contrats conclus dans les foires et salons font l’objet d’exceptions, et ce délai de rétractation ne s’applique pas. La jurisprudence prévoit néanmoins que cette absence de délai de rétractation doit être indiquée dans le contrat et qu’une information spécifique doit être donnée au consommateur suivant un formalisme particulier.

L’application du droit de la consommation, dans le cadre des foires, est à relativiser, étant donné la grande proportion de professionnels connaisseurs, advisors, courtiers, qui concluent dans les foires pour nourrir leurs activités. L’exception de règle constante sera soumise aux débats parlementaires car elle est sous la critique d’une double proposition de loi visant à instaurer un délai de rétractation au bénéfice des consommateurs dans les foires et salons.

Si UNIMEV donne la possibilité aux organisateurs de foires d’inciter les galeries exposantes à pratiquer l’échange ou le remboursement durant la période de la manifestation, les galeries d’art s’inquiètent de cette idée qui serait un coup dur supplémentaire face à la rude concurrence des maisons de ventes aux enchères qui, par principe, n’appliquent pas de droit de rétractation. Cette tendance viendrait considérablement compliquer le travail des galeries et donner une toute autre temporalité aux ventes d’œuvres d’art en foires.

Si les galeries disposent de règles de déontologie établies par le CPGA, les foires pourraient également être vectrices d’éthique. Certes isolés, certains comportements inappropriés des foires envers les galeries exposantes donneraient raison à l’établissement d’une charte des bonnes pratiques des relations galeries-foires. Un outil collectif qui unifierait galeries et foires autour d’un même objectif, l’établissement d’une relation équilibrée qui favoriserait la préservation de l’exception culturelle française en protégeant la diversité de ses protagonistes.

 

Gaëlle de Saint-Pierre

co-déléguée générale du CPGA

Membre de l’Institut Art & Droit

 

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