Jean-Louis
Chambon, président fondateur du cercle Turgot, a invité Nathalie Loiseau à
s’exprimer au cours d’un déjeuner-débat. La ministre chargée des Affaires
européennes brosse un portrait de l’Union européenne, de ses périls, de ses
ambitions, et de l’action du gouvernement en la matière.
La relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne a été
annoncée. Personne, dans l’Union, ne soutient ce départ. Chacun le regrette
mais se doit de le respecter et de le mettre en œuvre de manière ordonnée en
protégeant au mieux les intérêts des citoyens européens et de leurs entreprises.
Suite à un accord de retrait, nulle célébration, on ne fête pas un divorce. La
relation future entre l’Europe et le Royaume-Uni sera choyée mais constituera
malgré tout une dégradation par rapport à la situation antérieure, celle que
connaissent les 27 : étroite, fluide, profitable. Les négociateurs se sont
avant tout entendus sur les conditions de la séparation : définition du
statut des Européens établis dans le Royaume-Uni et réciproquement ;
règlement par les Britanniques des sommes nécessaires aux engagements qu’ils
ont pris avant le Brexit ; sort de la paix et de la frontière en Irlande.
L’intégralité du Royaume-Uni pourrait rester dans une forme d’union douanière
européenne, ce qui justifierait un minimum de contrôle (sanitaires,
réglementaires) en mer d’Irlande. Les états
membres font preuve d’unité dans ce dossier quand, dans le même temps, les
Britanniques se déchirent.
Les fondements de l’Union européenne ne sont pas négociables, à savoir
l’intégrité du marché intérieur, l’indivisibilité des quatre libertés et son
autonomie de décision. La ratification par le Parlement européen de l’accord
sur les relations prochaines semble être une formalité, alors qu’en Angleterre,
les discussions à la Chambre des communes paraissent houleuses. Les Britanniques
négocient entre eux. Le parti travailliste s’intéresse davantage à l’agenda
politique intérieur qu’au Brexit. Le parti conservateur connaît de fortes
divisions internes. Theresa May traverse une période périlleuse. Le risque d’un
refus existe. Dans cette hypothèse, la France légifèrerait par ordonnance pour
éviter tout chaos le 30 mars 2019 au matin.
Les Français qui reviendraient du Royaume-Uni verraient leurs diplômes, leurs
qualifications, leurs années de cotisation pris en compte en France. Un statut
serait défini pour les Britanniques qui vivent sur notre sol. La fluidité de
circulation des biens et des personnes serait assurée à travers la Manche. Tous
les contrôles administratifs, douaniers, sanitaires d’avant 1973 renaîtraient. Depuis longtemps, les pays de l’Union dépensent leur
énergie pour se rapprocher et bâtir ensemble une zone pacifique. L’excentrique
divergence britannique fera peut-être exception.
L’action de l’Union européenne n’a pas été accaparée par le Brexit.
Elle a continué à relever des défis considérables. L’Union est attaquée à
l’extérieur par des grandes puissances. Donald Trump nous qualifie d’adversaire
des États-Unis. Il a pris des mesures sur les importations d’acier et
d’aluminium européens en utilisant une réglementation se référant à des
considérations de sécurité nationale US. Il semble que, depuis un moment, les
USA se désintéressent du sort de l’Europe. Le peuple russe, pour sa part, a la
nostalgie de sa grandeur passée. Vladimir Poutine retourne à une géographie
disparue, comme on peut le constater en Crimée ou au Dombass. Les partis dits
nationalistes en Europe, antieuropéens, se précipitent régulièrement à
Washington et à Moscou, en quête de soutien. La menace intérieure provient donc
de dirigeants politiques, amateurs de « Bruxelles bashing ».
Pire, les défenseurs d’égoïsmes nationaux, casseurs d’Europe, cherchent à
s’entendre et à prendre la tête des prochaines élections européennes.
Le clivage entre nationalistes et progressistes ne doit pas être
occulté. La ministre rappelle qu’en 2014, pour la France, le Front National a
obtenu le plus de voix pour siéger au Parlement européen. Depuis, il y vote
régulièrement contre les projets. Sans bilan, il espère faire mieux au prochain
scrutin et rallier la ligue italienne, l’extrême droite autrichienne, l’AfD
allemande. Une ombre plane sur l’avenir de plusieurs pays de l’Union :
menace sur la justice, corruption, attaque du pluralisme des médias. Les
relations entre les 27 s’en trouvent fragilisées. Comment faire de la
coopération en matière de police et de justice quand leur indépendance n’est
pas garantie ? Comment user du mandat d’arrêt européen quand on doute de
la façon dont la justice est rendue quelque part ? Comment défendre des
entreprises qui investissent dans des régions où elles peuvent être victimes de
déni de justice ? Comment accepter les assassinats de journalistes qui
enquêtent sur des détournements de fonds européens ?
Paradoxalement, Donald Trump nous aide et nous flatte. Il voit une
Europe pas si naïve commercialement, en excédent. Il se heurte à un continent
uni face à lui, prêt à parler de stratégie militaire européenne, mais pas comme
il l’espérait. Le président américain demandait à l’Europe une augmentation des
financements publics consacrés à la défense pour nous vendre plus d’armes.
L’Union acquiesce à cette augmentation mais pour plus d’autonomie. Cette
tension nouvelle a même amené Angela Merkel à aborder le point d’une armée
européenne à la tribune du Parlement à Bruxelles.
Aujourd’hui, les grands défis se remportent à une échelle
supranationale : écologie, sécurité, énergie, migration. Groupée, l’Europe
réussit à juguler l’immigration. La réponse est nécessairement globale. De la
même façon, pour dialoguer aujourd’hui avec les GAFA, une nation seule est trop
petite, mais l’Union, elle, peut imposer des règles.
L’incompréhension entre les populations et les instances européennes
perdure. Une vaste consultation sur la Refondation de l’Europe a été diligentée
dans tous les pays membres, hormis l’Italie où le parti de Matteo Salvini a
choisi de parler au nom du peuple sans le consulter préalablement. Pour
Nathalie Loiseau, obtenir l’adhésion des Européens à un projet commun paraît
plus que souhaitable.
Emmanuel Macron est un européen convaincu. Europe de la défense,
crédits pour la recherche, travailleurs détachés, investissement extra européen
dans les secteurs stratégiques, défense du commerce, université européenne,
etc., le chef de l’État a fait 49 propositions
pour l’Europe. 22 sont d’ores et déjà en cours de mise en œuvre.
C2M