Les amateurs de
sensations fortes connaissent tous les montagnes russes. Mais savent-ils qu’elles
existaient dès le début du 19e siècle en France ? Les brevets
déposés à l’époque témoignent de la créativité des inventeurs pour satisfaire
les envies de divertissement des Parisiens.
Théâtres, concerts, bals et guinguettes… les lieux de
divertissement n’ont jamais manqué à Paris. Toutefois, au début du 19e
siècle, de nouvelles distractions font leur apparition : les montagnes
russes.
Même si les Russes les appellent paradoxalement les
montagnes américaines, c’est bien en Russie qu’elles sont inventées. Des
gravures attestent de la construction de ces plaisirs récréatifs dans la région
de Saint-Pétersbourg dès le 16e siècle. À l’époque, les grandes
structures en bois servant de pistes ne sont qu’une forme extrêmement primitive
de ce que l’on connaît aujourd’hui. Certaines mesurent tout de même près de 20 mètres de haut et sont
bien sûr recouvertes d’une couche de glace. Les clients montent au sommet à
l’aide d’escaliers puis descendent une pente généralement inclinée à près de
50°, assis sur des petits sièges en osier. Âmes sensibles s’abstenir !
Constatant le succès rencontré, un homme d’affaires
décide d’importer le concept en France. Et pour pallier l’absence de la glace
que l’on trouve sous le climat russe, il la remplace par une matière à base de
cire sur laquelle glissent de petites luges en bois. Mais cela ne fonctionne
pas aussi bien et il faut perfectionner ces machines infernales afin d’aller
plus haut, plus vite et en toute sécurité… ou presque !
Les barrières de Paris sont le lieu idéal pour y
construire les montagnes. Situées aux portes de la ville, elles sont les sites
de perception des taxes douanières des marchandises rentrant dans la cité. Ces
bâtiments, ouvrant sur la campagne autour de la capitale, proposent
suffisamment d’espace pour permettre de grandes installations. Les terres
environnantes sont déjà souvent dédiées à la fête et l’établissement des
montagnes russes va en faire des lieux à la mode pour la jeunesse. Les
premières sont installées à la barrière du Roule, sur l’actuelle place des
Ternes dans le 17e arrondissement, et sur les collines de
Belleville. Elles consistent en de grands toboggans que l’on descend à bord de
chariots, hissés au sommet de la construction que l’on appelle le belvédère.
Certains chars dans lesquels on prend place sont tirés par des chevaux fictifs
sur lesquels il est également possible de monter. Au fur et à mesure des
progrès techniques, des systèmes permettent de faire revenir les chars à leur
point de départ sans avoir à les sortir de la piste pour les remonter. Mais la
grande nouveauté technologique est l’apparition des charriots équipés de roues,
vers 1804.
Les premières constructions sont vite suivies par de
nombreuses autres qui envahissent littéralement la ville à partir des années
1810. Dès lors, les constructeurs et promoteurs rivalisent d’imagination,
déposant de nombreux brevets parmi lesquels on trouve d’autres
appellations : montagnes suisses, bordelaises, italiennes, promenades de
santé ou encore courses ou promenades aériennes. En 1817, des montagnes dites
françaises sont construites dans les jardins Beaujon, près des Champs-Élysées,
qui ne sont à l’époque qu’une simple allée au milieu de rangées d’arbres. Elles
se démarquent de la simple descente en toboggan et préfigurent les attractions
modernes : deux descentes semi-circulaires partent du même point à 25 mètres de hauteur et
arrivent à un autre point à la vitesse proche de 60 km/h. Elles sont l’objet
d’un engouement certain, mais l’affaire périclite et ferme ses portes en 1824.
Montagnes russes,
françaises, suisses, bordelaises ou encore italiennes, quelques-unes des
illustrations tirées des nombreux brevets déposés au cours du 19e siècle
dans ce domaine.
En 1818, des montagnes, égyptiennes cette fois, sont
construites dans le jardin du Delta, situé rue du Faubourg-Poissonnière. Un
haut pylône d’inspiration égyptienne soutient, comme le pilier d’un pont
suspendu, des câbles sur lesquels glissent les chars de style antique,
dépourvus de garde-corps, élevés au départ par un treuil. Ces montagnes ne sont
cependant exploitées que deux ans en raison de leur conception défectueuse.
Car question sécurité, pour le client, c’est une
simple sangle qui sert de ceinture anti-chute ! La réclame de l’époque se
veut pourtant rassurante : « quoique ce voyage soit sans nul
danger, et que la perfection du mécanisme, que l’œil ne voit point, et la
solidité des constructions doivent rassurer la timidité des belles, peut-être
s’en trouvera-t-il quelques-unes qui n’oseront pas l’entreprendre, mais elles
ne seront pas privées pour cela du délicieux coup d’œil dont on jouit dans le
pavillon élevé sur le sommet de la montagne ». Malgré tout, les
accidents sont nombreux et certaines personnes succombent même à leurs
blessures. Pourtant, c’est grâce à ces sorties de piste que des systèmes
brevetés tentent d’améliorer la sécurité. En 1817, les rails sont adoptés et
l’ingénieux système encore connu aujourd’hui sous le nom d’upstop wheel
est inventé : c’est un système à trois roues, prises dans des gorges et
guidées le long de la piste, qui empêche le chariot de dérailler.
Les premières montagnes russes, à la conception plus
empirique que scientifique, ne resteront finalement debout qu’une vingtaine
d’années. Vers 1825, la plupart ferment leurs portes : elles sont devenues
trop dangereuses. Dans le même temps, la valeur des terrains augmente et ils
sont vendus à des promoteurs. Elles reviendront pourtant à Paris, une vingtaine
d’années plus tard. Le premier looping, appelé le chemin de fer
centrifuge dans la presse de l’époque, est probablement construit à Paris en
1846 : un traîneau est lancé dans une boucle d’environ quatre mètres de
diamètre. Néanmoins, aucune de ces voies ne forme un circuit complet. Le
premier de ce type apparaît plus tard aux États-Unis en 1884, sur le site de
Coney Island dans le quartier de Brooklyn à New York. Aujourd’hui encore, Coney
Island accueille la fameuse Wonder Wheel et le Luna Park.
Fruits de perfectionnements techniques et
d’inventions brevetées depuis le début du 19e siècle, les montagnes
russes ne cessent d’évoluer pour proposer des concepts à sensations toujours
plus fortes pour un public qui en redemande !
Steeve Gallizia,
Chargé de la valorisation des archives patrimoniales de l’INPI