Le concept d’économie
circulaire, dont les contours ont émergé au XXe siècle, peu
après la publication du rapport du Club de Rome en 1972 s’intitulant « The
Limits to Growth », se définit comme « un système économique d’échange et de production
qui, à tous les stades du cycle de vie des produits (biens et services), vise à
augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à diminuer l’impact
sur l’environnement tout en développant le bien-être des individus » (selon l’ADEME). Ce nouveau
concept économique vise à changer de paradigme par rapport à l’économie
linéaire et consiste à partager, réutiliser, réparer, rénover et recycler les
produits et les matériaux existants le plus longtemps possible, afin qu’ils
conservent leur valeur.
L’une
des composantes de l’économie circulaire porte sur la valorisation des déchets
dans un contexte où le nombre de déchets par habitant ne cesse d’augmenter, et
où l’interdiction posée le 1er janvier dernier par la Chine
d’importer sur son territoire de nombreux déchets recyclables met notre vieux
continent face à l’insuffisance de ses capacités de valorisation de millions de
tonnes de déchets qu’il produit.
En 2014,
2,5 milliards de tonnes de déchets ont été produits par les différentes
activités économiques (construction, mines et carrières, industrie) et les
ménages dans l’Union européenne. En 2016, la quantité de déchets municipaux
générés dans l’Union européenne s’élève à 482 kg/habitant, dont 47 %
sont recyclés ou compostés. La gestion des déchets varie fortement d’un État
membre à un autre : en Allemagne, 66 % des déchets municipaux sont
recyclés, contre 42 % en France et seulement 8 % à Malte.
L’enjeu
est désormais de produire le plus possible de matières recyclées de qualité,
comparables à la matière première, et d’en augmenter la production en diminuant
l’impact sur l’environnement. L’objectif est donc de permettre à une matière de
vivre plusieurs vies au sein de produits de qualité.
Le
paquet « économie circulaire », adopté par l’Union européenne
le 22 mai 2018, définit des objectifs ambitieux et constitue « la
législation en matière de déchets la plus moderne au monde ».
La
directive n° 2018/851 du 30 mai 2018 modifiant la directive cadre
déchet de 2008, relève que pour que l’économie devienne réellement circulaire,
il est nécessaire de prendre des mesures supplémentaires relatives à la
production et à la consommation durables, en mettant l’accent sur l’ensemble du
cycle de vie des produits, de manière à préserver les ressources et à « boucler
la boucle ». La reconnaissance des déchets comme ressources contribue
à la transition vers un modèle d’économie circulaire, tout en permettant
d’atteindre les objectifs d’une croissance durable, inscrite dans la stratégie
Europe 2020.
Dans
cette optique, la directive n° 2018/851 fixe des objectifs louables en
matière de recyclage. D’ici 2025, au moins 55 % des déchets municipaux
(provenant des ménages et des entreprises) devront être recyclés, et l’objectif
passera à 60 % d’ici 2030 puis à 65 % d’ici 2035. En outre, 65 %
des matériaux d’emballage devront être recyclés d’ici 2025 et 70 % d’ici
2030. Par ailleurs, la part de déchets municipaux qui pourront être mis en
décharge sera limitée à maximum 10 % d’ici 2035.
L’augmentation
de la quantité de déchets recyclés ou valorisés dépend notamment des moyens mis
en place pour qu’ils perdent leur statut de déchet ou que la matière qui les
compose puisse être valorisée, permettant ainsi leur réintroduction dans un
processus de production. Les outils de la réglementation déchets sont-ils
suffisamment efficaces pour favoriser l’économie circulaire ?
Si la
réglementation déchets comporte des outils pour permettre à un déchet d’être
réintroduit dans un processus de production ou éviter qu’un produit ne passe
par la case déchets (I.), des freins demeurent à l’avènement d’une société de
recyclage qui pourraient obérer l’atteinte des objectifs fixés par le paquet
économie circulaire (II.).
Les outils
juridiques au service de l’économie circulaire
Avant que le déchet ne cesse
d’être un déchet en application de la procédure de sortie du statut de déchet,
il existe des opérations permettant à une substance ou un produit issu d’un
processus de production de ne pas constituer un déchet.
Par
exemple, l’opération de réemploi permet aux produits ou aux composants qui ne
sont pas des déchets d’être utilisés de nouveau pour un usage identique à celui
pour lequel ils avaient été conçus. Dans ce cadre, la catégorie du « sous-produit »
qui est promis à être réemployé constitue une notion juridique pouvant jouer un
rôle important dans le développement de l’économie circulaire. Le sous-produit
se définit comme la substance ou l’objet issu d’un processus de production dont
le but premier n’est pas la production de cet objet ou de cette substance, dès
lors que les conditions cumulatives portant sur le processus de production et
sur l’utilisation ultérieure de la matière sont respectées.
Cette
opération doit se distinguer des opérations de valorisation ou de recyclage
énoncées dans la hiérarchie de gestion des déchets. L’opération de
valorisation, qui englobe plusieurs opérations allant du recyclage à la
transformation de matériaux, se définit comme « toute opération dont le
résultat principal est que des déchets servent à des fins utiles en remplaçant
d’autres matières qui auraient été utilisées à une fin particulière, ou que des
déchets soient préparés pour être utilisés à cette fin, dans l’usine ou dans
l’ensemble de l’économie ».
Le déchet
valorisé ou recyclé peut être réintégré dans un processus de production et
redevenir un produit, sous réserve de respecter les conditions de sortie du
statut de déchet, définies par l’article 6 de la directive cadre déchet du
19 novembre 2008 et transposées à l’articleL. 541-4-3 du Code de
l’environnement (voir également les articles D. 541-22-4
et suivants du Code de l’environnement).
Hormis la
liste des déchets exclus de la directive cadre déchet (article 2), tous
les déchets peuvent potentiellement être concernés par la sortie du statut de
déchet. Ainsi, tant au niveau de l’Union européenne qu’au niveau national, des
critères de sortie du statut de déchet pour certaines catégories de déchets
peuvent être définis, tant qu’ils respectent le cadre général et assurent un
niveau élevé de protection de l’environnement et de la santé humaine. À titre
d’illustration, les règlements européens ont établi les critères permettant de
déterminer à quel moment les débris métalliques, le calcin de verre ou les
débris de cuivre cessent d’être des déchets.
En France, des critères de sortie du statut de déchet ont été définis pour les
broyats d’emballages en bois, les déchets graisseux et huiles alimentaires
usagées, ou encore les résidus de la distillation des huiles usagées.
En
application de l’article 6 de la directive cadre déchet, modifié par la directive
de 2018, certains déchets cessent d’être des déchets lorsqu’ils ont subi une
opération de valorisation ou de recyclage et s’ils respectent les conditions
cumulatives suivantes :
• la
substance ou l’objet doit être utilis(e)é à des fins spécifiques ;
• il
existe un marché ou une demande pour une telle substance ou un tel objet, étant
précisé que cette condition a été supprimée depuis la modification de la
directive en 2018 ;
• la
substance ou l’objet remplit les exigences techniques aux fins spécifiques et
respecte la législation et les normes applicables aux produits ;
•
l’utilisation de la substance ou de l’objet n’aura pas d’effets globaux nocifs
pour l’environnement ou la santé humaine.
La
première condition permet de s’assurer que le déchet valorisé ou recyclé fera
l’objet d’une nouvelle utilisation et qu’il ne sera pas abandonné. Dans ce
cadre, la personne souhaitant bénéficier de la procédure de sortie du statut de
déchet devra démontrer qu’il existe un réel marché sur lequel le déchet valorisé
ou recyclé a une certaine valeur économique.
La
seconde condition implique que le déchet recyclé ou valorisé sera prêt à
l’usage sans autre étape de traitement ou de manipulation. C’est la
règlementation relative aux produits qui s’appliquera, et l’objet ou la
substance qui a cessé d’être un déchet devra être conforme aux standards
techniques équivalents à ceux applicables aux matières premières. En d’autres
termes, les déchets valorisés/recyclés doivent pouvoir se conformer, tant en
matière de qualité, de marquage, de transport, de stockage, de limitation de
leurs utilisations et de préconisations d’usage.
Enfin, la
dernière condition vise à ce que l’utilisation de l’objet ou la substance qui a
cessé d’être un déchet n’aura pas d’effets nocifs pour l’environnement ou la
santé humaine. L’évaluation des impacts environnementaux et sanitaires
nécessite l’étude de l’impact environnemental et sanitaire induit par le
traitement du déchet par rapport à leur élimination et l’évaluation de
l’impact environnemental et sanitaire induit par l’utilisation du déchet
valorisé par rapport à l’utilisation du produit auquel il se substitue.
Au-delà
des conditions générales posées par le droit européen, en droit français, seul
un exploitant d’une installation classée pour la protection de l’environnement
(ICPE) ou d’une installation loi sur l’eau (IOTA) peut faire sortir un déchet
de son statut de déchet. En outre, il existe deux types de procédure de sortie
du statut de déchets : la procédure explicite, qui impose à l’exploitant
d’adresser un dossier au ministre chargé de l’environnement comprenant les
informations permettant d’établir que le déchet satisfait les conditions
définies à l’article L. 541-4-3 du Code de l’environnement ; et la
procédure implicite, qui permet à un déchet de sortir de son statut par le
biais d’un procédé de production, sans que cette interprétation ne puisse
s’étendre aux sous-produits.
Les
outils développés depuis 2008 dans le cadre de la législation relative aux
déchets participent au développement de l’économie circulaire en favorisant
leur réintégration dans un processus de production, sous réserve que ceux-ci
soient conformes aux différentes réglementations relatives aux produits.
Par
ailleurs, des freins persistent pour permettre à nos déchets de boucler la
boucle de l’économie circulaire.
Les freins
demeurant à la mise en œuvre d’une
économie circulaire
Une fois les déchets
traités, les matières valorisées sont en concurrence directe avec les matières
premières.
Aussi, pour être concurrentielles,
ces matières premières secondaires doivent se rapprocher autant que faire se
peut de la matière première, aussi bien en termes de qualité que de
performance, afin d’obtenir la confiance du producteur de produit et du
consommateur, et de répondre aux exigences des réglementations qui trouvent à
s’appliquer au produit.
Les réglementations
relatives aux déchets et aux produits n’ont pas été conçues à l’origine pour
qu’un élément puisse passer de l’un à l’autre, il en résulte une certaine
imperméabilité qui peut présenter des obstacles au développement de l’économie
circulaire.
La Commission européenne a
ainsi identifié quatre difficultés tenant à l’articulation des règles de
l’Union européenne relatives aux déchets, aux substances chimiques et aux produits
qui peuvent bloquer la réintroduction du déchet dans le processus de
production.
Ces réglementations
européennes ont été transposées dans le droit des États membres ou y sont
directement applicables. Les difficultés identifiées par la Commission dans sa
communication en date du 16 janvier 2016 « concernant la mise en
œuvre du paquet “économie circulaire” : solutions possibles pour
les questions à l’interface entre les textes législatifs relatifs aux
substances chimiques, aux produits et aux déchets » (COM (2018) 32 final)
y sont donc transposables.
La première difficulté
identifiée par la Commission tient aux informations relatives à la présence de
substances préoccupantes qui ne sont pas facilement accessibles à ceux qui se
chargent de la gestion des déchets et de leur préparation en vue de la
valorisation.
Les personnes qui prennent
en charge les déchets, comme les recycleurs, ne disposent pas d’informations
sur la composition des articles devenus déchets en raison, soit de
l’inexistence de ces informations, soit parce qu’elles ne sont pas disponibles
ou non transmises. Ce manque d’informations peut limiter le recyclage des
produits. Ce sera par exemple le cas d’ajout d’encre contenant des huiles
minérales à des emballages papier ou carton qui peuvent se retrouver dans le
matériau recyclé à partir de ces emballages.
Il est donc nécessaire que
les informations appropriées sur les substances préoccupantes circulent des
acteurs de la chaîne d’approvisionnement aux professionnels de la gestion des
déchets.
La seconde difficulté tient
au fait que les déchets peuvent contenir des substances qui ne sont plus
autorisées dans les produits neufs.
La mise sur le marché des
substances chimiques peut être autorisée un temps, puis interdite. Des produits
contenant de telles substances peuvent donc être mis sur le marché et devenir
des déchets contenant une substance devenue interdite. La matière valorisée
pourra alors contenir une substance interdite et ne pas pouvoir être utilisée
ou interdite de mise sur le marché. Cela a pu être le cas par exemple des
produits en plastique contenant des retardateurs de flamme bromés.
La Commission envisage
d’élaborer à cet égard « un processus décisionnel spécifique afin de
faciliter la prise de décisions concernant la recyclabilité des déchets qui
contiennent des substances préoccupantes » (COM (2018) 32 final).
La troisième difficulté
réside dans l’absence d’harmonisation totale des règles de l’Union sur la fin
du statut de déchet, et dans le flou en résultant qui entoure la manière dont
un déchet devient une nouvelle matière, puis un produit.
Ainsi que cela ressort du
point I ci-dessus, il est difficile d’établir des critères de sortie du statut
de déchet qui seraient applicables à l’ensemble des flux de déchets. Il en
résulte notamment une commercialisation de matières valorisées dans des
conditions juridiques parfois floues et une impossibilité de tirer de
précieuses ressources de certains déchets produits en très petite quantité.
La Commission envisage tout
d’abord à cet égard de recenser dans un registre européen l’ensemble des
critères de sortie du statut de déchets et des sous-produits adoptés aux
niveaux européen et nationaux, puis de déterminer les flux de déchets pour
lesquels une harmonisation devrait être adoptée et de quelle manière.
La quatrième difficulté
tient à l’absence de cohérences des règles permettant de déterminer quels
déchets et quelles substances chimiques sont dangereux, est ce qui nuit à
l’acceptabilité des matières premières secondaires.
La Commission relève à cet
égard qu’il « arrive qu’une même matière, contenant une substance
dangereuse, puisse être considérée comme étant dangereuse ou comme étant non
dangereuse suivant que cette matière est un déchet ou un produit ».
Cela empêche par conséquent de « partir du principe que des matières
qui réintègrent l’économie à la suite de la valorisation de déchets non
dangereux donneront nécessairement des produits non dangereux ».
Afin de répondre à cette
difficulté, la Commission a publié en avril 2018 des « Recommandations
techniques concernant la classification des déchets »
(2018/C 124/01) afin d’adopter une approche commune de la caractérisation
et de la classification des déchets.
En conclusion, il existe
aujourd’hui des obstacles pour « boucler la boucle » de
l’économie circulaire, qui tiennent notamment au fait que les réglementations
relatives aux produits et aux déchets n’ont pas été pensées, à l’origine, pour
permettre le passage du statut de produit au statut de déchet et inversement.
Certains de ces obstacles
ont toutefois été identifiés et l’articulation de ces réglementations entre
elles apparaît être une priorité aussi bien au niveau national qu’européen. De
plus, l’input que constitue le refus de la Chine d’importer nombre de nos
déchets pourrait bien accélérer le passage de l’Europe vers une économie plus
circulaire.
Raphaëlle Jeannel,
Huglo Lepage Avocats,
Avocate à la Cour
Pauline Schaal,
Huglo Lepage Avocats,
Avocate à la Cour