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Pantoufle de verre … ou pantoufle de vair ?

Pantoufle de verre … ou pantoufle de vair ?
Publié le 08/11/2020 à 11:30


 


Futile polémique ? Ou controverse homophonique  ? Querelle académique ? Ou bataille lexicographique ? Dispute historique ? Ou chaussure mal écrite ?


C’est l’amusante histoire du verre à moitié plein ou du vair à moitié vide. L’histoire d’une peu banale homophonie.


Cendrillon perd-elle une pantoufle de verre, ou bien perd-elle une pantoufle de vair ?


Prenons le pari que nos lecteurs sont partagés et que certains, à l’école, ont été attraits dans un piège.


Verre et vair… En prose comme en vers, à Vaires-sur-Marne comme à Vair-sur-Loir, à Vert-Saint-Denis comme à Vert-le-Petit, à Ver-sur-Mer comme à Veyre-Monton, des mots courts qui parfois tournent court, que l’on peut utiliser dans la cour ou pendant le cours, ou même pendant la chasse à courre si l’on n’est pas à court d’idées.


Des mots qui rappellent la fameuse dictée impossible où un sot sur un âne tient dans sa main gauche un seau et dans sa main droite un sceau, et qui chute au moment où l’animal fait un saut, ce qui fait tomber tous les « ço » (sceauts ?... ou comment comprimer en un seul mot sot, seau, sceau…).


Charles Perrault, en publiant Cendrillon en 1697, met, sans le savoir, ses futurs lecteurs dans l’embarras. Que n’a-t-il eu l’idée de remplacer la pantoufle par un simple soulier vert ! Sans préciser s’il était en verre ou en vair, car il aurait toujours été vert !


Les frères Grimm, dans « Aschenputtel » (en allemand, Asche signifie cendre), version germanique de Cendrillon, ne suscitent aucune querelle puisqu’ils évoquent des souliers d’or.


Si Charles Perrault avait été un conteur du XXIe siècle, il est probable que Cendrillon aurait perdu un escarpin imaginé par Louboutin ! D’ailleurs, le célèbre chausseur Christian Louboutin a conçu en 2012, à la demande de Disney, une paire d’escarpins intitulés « Cendrillon » (illustration). Ni en verre ni en vair, ces escarpins de rêve sont en dentelle de guipure et comportent des papillons strassés et des cristaux multicolores Swarovski, ainsi qu’une semelle célèbre donnant un petit côté… rougissant… à la célèbre héroïne.


Ce qui est certain, c’est que, dans la version originale écrite par Perrault, il est question d’une pantoufle de verre (voir incrustation dans l’illustration). Et le titre exact et complet du conte publié en 1697?est : « Cendrillon ou la petite pantoufle de verre ». Cendrillon avait donc bien des pantoufles de verre. La version occitane utilise le mot veire… qui est du verre. Il faut préciser qu’à l’époque de Perrault, le mot pantoufle ne signifie pas chausson fermé mais mule ouverte avec le talon découvert (ce qui explique la perte de ce demi-soulier dans la précipitation).


Et le verre (qui, dans l’esprit, peut être du cristal) est au XVIIe siècle suffisamment rare et précieux pour en faire, malgré sa fragilité, le matériau d’un chausson somptueux.
Un matériau qui, en outre, laisse voir le joli pied de l’héroïne ! Les artisans du verre sont des « gentilshommes verriers
 » qui forment une noblesse particulière. Le vair quant à lui est utilisé, outre en représentation héraldique au même titre que l’hermine, dans la garniture ou la doublure de vêtements. On distingue d’ailleurs le vair proprement dit, peau d’un écureuil nommé petit-gris, le gros vair, le menu-vair, le contre-vair…


D’où viennent alors les torrents d’encre sur la controverse byzantine entre les deux matériaux ?


D’interprétations personnelles de grands auteurs qui ne sont pas des pantouflards !




Le titre du conte Cendrillon de Charles Perrault varie selon les époques et les imprimeurs ; en incrustation, la reproduction d’une page de la

 première édition originale ; en bas, l’escarpin « Cendrillon » réalisé en 2012 à la demande de Disney

par Christian Louboutin, ici photographié pendant la féérique exposition qu’il organise au palais de la porte dorée à Paris





Le doute est tout d’abord instillé par Honoré de Balzac dans son roman historique Sur Catherine de Médicis en trois parties, qu’il publie à partir de 1830. L’un des personnages de ce roman, pelletier de son état (la pelleterie est la préparation des peaux destinées à la fourrure ainsi que leur commerce), évoquant le vair, qui est pour lui une sorte de « zibeline impériale », précise : « Ce mot, depuis cent ans, est si bien tombé en désuétude que, dans un nombre infini d’éditions de contes de Perrault, la célèbre pantoufle de Cendrillon, sans doute de menu vair, est présentée comme étant de verre ».


Pierre Larousse, dans son Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle publié en 1867, page 700 du tome 3, impose son point de vue et titre d’emblée l’occurrence « Cendrillon » ainsi : « Cendrillon ou la Petite pantoufle de vair ». En seconde colonne de son exposé, Larousse consacre un long paragraphe au conte de Perrault : « Beaucoup de ceux qui n’ont lu le joli conte de Cendrillon que dans les livres qu’on mettait entre leurs mains pour les amuser quand ils étaient enfants seront surpris sans doute de ne plus retrouver ici cette pantoufle de verre qui avait frappé, plus que tout le reste peut-être, leur imagination naissante. Quoi de plus joli qu’une pantoufle transparente qui laissait voir, comme s’il eût été nu, ce charmant petit pied dont le fils du roi se montre si amoureux ! Et quelle devait être la légèreté de cette jeune fille, qui pouvait marcher et danser avec des pantoufles si fragiles sans qu’elles se brisent ! Il semble que le conte de Perrault perd beaucoup de son prix dès que la pantoufle de Cendrillon n’est plus qu’une pantoufle de vair c’est-à-dire une pantoufle ornée d’un peu de fourrure. Les éditeurs de contes de fées ont-ils mis verre à la place de vair par ignorance ou pour augmenter le merveilleux du récit ? Nous ne savons pas. Mais ce quil y a de certain, cest quau temps de Perrault l e vair était bien connu comme une des fourrures d u blason et que, malgré son goût pour le merveilleux, il n’a point eu la pensée de chausser sa petite Cendrillon avec du verre. On peut supposer que, plus tard, la science du blason étant tombée dans l’oubli, un imprimeur aura cru corriger une véritable faute en remplaçant vair, mot qui lui était inconnu, par verre ; et c’est ainsi que le nom de Cendrillon se sera trouvé associé avec l’idée d’une chaussure fantastique que la vérité historique est forcée de reléguer parmi les simples coquilles typographiques ».


Dès lors, le ver est dans le fruit !


Ainsi, à la fin du XIXe siècle, le vair remplace peu à peu le verre dans de nombreuses éditions.


Fort heureusement, le Grand Larousse encyclopédique du XXe siècle revient à la vérité historique et ne retient que le verre. Une solution devenue très « tendance », le verre étant recyclable et la fourrure faisant l’objet d’attaques incessantes de la part des défenseurs des animaux.


Les adeptes du vair, criant à l’erreur typographique originelle, se croyaient logiques. Ils oubliaient tout simplement le côté poétique du conte. Ils oubliaient que Perrault, frère de l’architecte du Louvre, s’était d’autant moins trompé qu’il était membre de l’Académie française depuis 1671, occupant le siège 23 (actuellement occupé par Pierre Rosenberg, ancien président du musée du Louvre), qu’il avait rédigé l’Épître dédicatoire de la première édition du Dictionnaire de l’Académie, et qu’il pratiquait une langue châtiée.


Perrault aurait sans doute été vert d’étonnement d’apprendre la naissance d’une controverse envers et contre tout. Les pantoufles de son conte étaient incontestablement de verre… Mais il n’est pas interdit de penser que les sentiments de son héroïne avaient la douceur du vair !


 

Étienne Madranges

Avocat à la cour,

Magistrat honoraire


 


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