Futile
polémique ? Ou controverse homophonique ? Querelle académique ? Ou
bataille lexicographique ? Dispute historique ? Ou chaussure mal
écrite ?
C’est l’amusante
histoire du verre à moitié plein ou du vair à moitié vide. L’histoire
d’une peu banale homophonie.
Cendrillon
perd-elle une pantoufle de verre, ou bien perd-elle une pantoufle de
vair ?
Prenons le
pari que nos lecteurs sont partagés et que certains, à l’école, ont été
attraits dans un piège.
Verre et
vair… En prose comme en vers, à Vaires-sur-Marne comme à Vair-sur-Loir, à
Vert-Saint-Denis comme à Vert-le-Petit, à Ver-sur-Mer comme à Veyre-Monton, des
mots courts qui parfois tournent court, que l’on peut utiliser dans la cour ou
pendant le cours, ou même pendant la chasse à courre si l’on n’est pas à court
d’idées.
Des mots
qui rappellent la fameuse dictée impossible où un sot sur un âne tient dans sa
main gauche un seau et dans sa main droite un sceau, et qui chute au moment où
l’animal fait un saut, ce qui fait tomber tous les « ço »
(sceauts ?... ou comment comprimer en un seul mot sot, seau, sceau…).
Charles
Perrault, en publiant Cendrillon en 1697, met, sans le savoir, ses
futurs lecteurs dans l’embarras. Que n’a-t-il eu l’idée de remplacer la
pantoufle par un simple soulier vert ! Sans préciser s’il était en verre
ou en vair, car il aurait toujours été vert !
Les frères
Grimm, dans « Aschenputtel
» (en allemand, Asche signifie cendre), version germanique de Cendrillon,
ne suscitent aucune querelle puisqu’ils évoquent des souliers d’or.
Si Charles
Perrault avait été un conteur du XXIe siècle, il est probable que Cendrillon
aurait perdu un escarpin imaginé par Louboutin ! D’ailleurs, le célèbre chausseur
Christian Louboutin a conçu en 2012, à la demande de Disney, une paire d’escarpins intitulés « Cendrillon » (illustration). Ni en verre ni en vair, ces escarpins de rêve sont en
dentelle de guipure et comportent des papillons strassés et des cristaux
multicolores Swarovski, ainsi qu’une semelle célèbre donnant un petit côté…
rougissant… à la célèbre héroïne.
Ce qui est
certain, c’est que, dans la version originale écrite par Perrault, il est
question d’une pantoufle de verre (voir incrustation dans l’illustration). Et
le titre exact et complet du conte publié en 1697?est : « Cendrillon ou la petite pantoufle de verre ».
Cendrillon avait donc bien des pantoufles de verre. La version occitane
utilise le mot veire… qui est du verre. Il faut préciser qu’à l’époque
de Perrault, le mot pantoufle ne signifie pas chausson fermé mais mule ouverte
avec le talon découvert (ce qui explique la perte de ce demi-soulier dans la
précipitation).
Et le verre
(qui, dans l’esprit, peut être du cristal) est au XVIIe siècle suffisamment
rare et précieux pour en faire, malgré sa fragilité, le matériau d’un chausson
somptueux.
Un matériau qui, en outre, laisse voir le joli pied de l’héroïne ! Les
artisans du verre sont des « gentilshommes verriers » qui forment une noblesse particulière. Le vair quant à lui est utilisé, outre en représentation héraldique au
même titre que l’hermine, dans la garniture ou la doublure de vêtements. On
distingue d’ailleurs le vair proprement dit, peau d’un écureuil nommé
petit-gris, le gros vair, le menu-vair, le contre-vair…
D’où
viennent alors les torrents d’encre sur la controverse byzantine entre les deux
matériaux ?
D’interprétations
personnelles de grands auteurs qui ne sont pas des pantouflards !
Le titre du conte Cendrillon de Charles Perrault
varie selon les époques et les imprimeurs ; en incrustation, la
reproduction d’une page de la
première édition originale ; en bas,
l’escarpin « Cendrillon » réalisé en 2012 à la demande de Disney
par
Christian Louboutin, ici photographié pendant la féérique exposition qu’il
organise au palais de la porte dorée à Paris
Le doute
est tout d’abord instillé par Honoré de Balzac dans son roman historique Sur
Catherine de Médicis en trois parties, qu’il publie à partir de 1830. L’un
des personnages de ce roman, pelletier de son état (la pelleterie est la
préparation des peaux destinées à la fourrure ainsi que leur commerce), évoquant le vair,
qui est pour lui une
sorte de « zibeline impériale », précise : « Ce mot, depuis cent ans, est si bien tombé en désuétude que, dans un
nombre infini d’éditions de contes de Perrault, la célèbre pantoufle de
Cendrillon, sans doute de menu vair, est présentée comme étant de verre ».
Pierre
Larousse, dans son Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle publié en 1867,
page 700 du tome 3, impose son point de vue et
titre d’emblée l’occurrence « Cendrillon » ainsi : « Cendrillon ou la Petite pantoufle de vair ». En seconde colonne de son exposé, Larousse
consacre un long paragraphe au conte de Perrault : « Beaucoup de ceux qui n’ont lu le joli conte de Cendrillon que dans les
livres qu’on mettait entre leurs mains pour les amuser quand ils étaient
enfants seront surpris sans doute de ne plus retrouver ici cette pantoufle de
verre qui avait frappé, plus que tout le reste peut-être, leur imagination
naissante. Quoi de plus joli qu’une pantoufle transparente qui laissait voir,
comme s’il eût été nu, ce charmant petit pied dont le fils du roi se montre si
amoureux ! Et quelle devait être la légèreté de cette jeune fille, qui
pouvait marcher et danser avec des pantoufles si fragiles sans qu’elles se
brisent ! Il semble que le conte de Perrault perd beaucoup de son prix dès
que la pantoufle de Cendrillon n’est plus qu’une pantoufle de vair c’est-à-dire
une pantoufle ornée d’un peu de fourrure.
Les éditeurs de contes de fées ont-ils mis verre à la place de vair par ignorance ou pour augmenter le merveilleux du récit ? Nous ne savons pas. Mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’au temps de Perrault
l e vair était bien connu comme une des fourrures d
u blason et que, malgré son goût
pour le merveilleux, il n’a point eu la pensée de chausser sa petite Cendrillon
avec du verre. On peut supposer que, plus tard, la science du blason étant
tombée dans l’oubli, un imprimeur aura cru corriger une véritable faute en
remplaçant vair, mot qui lui était inconnu, par verre ; et c’est ainsi que le
nom de Cendrillon se sera trouvé associé avec l’idée d’une chaussure
fantastique que la vérité historique est forcée de reléguer parmi les simples
coquilles typographiques ».
Dès lors, le
ver est dans le fruit !
Ainsi, à la
fin du XIXe siècle, le vair remplace peu à peu le verre dans de
nombreuses éditions.
Fort heureusement, le Grand Larousse encyclopédique du XXe siècle revient à la vérité historique et ne retient
que le verre. Une solution devenue très « tendance », le
verre étant recyclable et la fourrure faisant l’objet d’attaques incessantes de
la part des défenseurs des animaux.
Les adeptes du vair, criant à l’erreur typographique originelle, se
croyaient logiques. Ils oubliaient tout simplement le côté poétique du conte.
Ils oubliaient que Perrault, frère de l’architecte du Louvre, s’était d’autant moins trompé qu’il était membre de l’Académie
française depuis 1671, occupant le siège 23 (actuellement occupé par Pierre
Rosenberg, ancien président du musée du Louvre), qu’il avait rédigé l’Épître
dédicatoire de la première édition du Dictionnaire de l’Académie, et
qu’il pratiquait une langue châtiée.
Perrault
aurait sans doute été vert d’étonnement d’apprendre la naissance d’une
controverse envers et contre tout. Les pantoufles de son conte étaient
incontestablement de verre… Mais il n’est pas interdit de penser que les
sentiments de son héroïne avaient la douceur du vair !
Étienne Madranges
Avocat à la cour,
Magistrat honoraire