C’est l’histoire d’un édifice aux divers offices.
D’une prison dans un donjon. D’une tour sans coiffe recevant des criminels et
des boit-sans-soif. Une histoire qui décoiffe !
Moulins, en Auvergne, qui tient son nom de la
présence de moulins à eau implantés le long de la berge de l’Allier, est le
rendez-vous de chasse des ducs de Bourbon qui en font leur capitale. Ils y érigent au Moyen Âge un château.
Vers l’an 1400 (des
études dendrochronologiques des poutres permettent de retenir cette date), une
tour, sorte de donjon, y est adjointe. Construite en grès provenant des proches
carrières de Coulandon, haute de 45 mètres, comportant 10 niveaux
dont 3 souterrains, elle en impose. Mais son joli toit-terrasse est remplacé par un toit plat. Le duc, contemplant sa tour,
s’écrie alors : « c’est une belle tour,
mais elle est mal coiffée ! ». Le duc… ou le roi ? Car une légende attribue
la même expression à Louis XIV. Dès lors, la tour est ainsi nommée au
long des siècles. On l’orthographie Mal-Coiffée, Mal Coiffée, ou encore
Malcoiffée.
À l’origine, elle sert de
bibliothèque pour les ducs. Dans la nuit du 2 au 3 juin 1755, un violent
incendie se déclare au premier étage dans l’appartement d’un officier de
marine, le marquis des Gouttes. La fumée est intense et on n’y voit
goutte ! L’incendie atteint rapidement la Mal-Coiffée, dont les structures
sont toutefois préservées. Le palais du duc se retrouve caduc. On abandonne le
château, et on transforme dès le XVIIIe siècle la tour en prison.
Cette prison, disposant au XXe siècle de 50 places, mais recevant des
détenus plus nombreux (dont l’histoire ne dit pas s’ils étaient bien coiffés),
surveillés par une équipe allant de 11 à 16 surveillants, ne ferme définitivement ses portes que 200 ans après
son ouverture, en 1983.
Jusqu’à cette fermeture bien tardive (au regard de sa
vétusté), on n’y trouve pas de cellules individuelles mais seulement des
chauffoirs, où les personnes écrouées passent la journée, et des dortoirs. Les
détenus sont en moyenne 8 par
chauffoir, mais l’effectif peut grimper à 15 ! L’absence de toilettes
impose l’usage de sceaux, vidés tous les matins dans un trou dans la cour. Le
quartier des mineurs se trouve en haut de la tour, et il faut monter
100 marches pour y accéder. Le manque de place interdit l’installation
d’ateliers. C’est dire si la construction d’un centre pénitentiaire moderne
était attendue (actuellement la maison d’arrêt et la centrale de Moulins-Yzeure).
Évidemment,
surveillants, prisonniers, visiteurs et surtout le coiffeur ne se
privent pas de jouer avec les mots. On raconte qu’il aurait suffi qu’un
habitant de Martigny-Courpierre (dont les habitants, dans l’Aisne, se nomment
les Mal-Peignés, ce gentilé est authentique) soit incarcéré à Moulins pour
qu’un Mal-Peigné se retrouve à la Mal-Coiffée !
Après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte en
1851, des anti-bonapartistes y sont enfermés.
La prison connaît une période douloureuse de son
histoire pendant la Seconde Guerre mondiale. Lors de l’invasion allemande en
1940, une ligne de démarcation coupe la France en deux. Elle passe au cœur de
Moulins. La Mal-Coiffée se retrouve en zone occupée. Les Allemands l’utilisent
aussitôt, en particulier pour incarcérer ceux qui tentent de franchir
clandestinement la ligne de démarcation afin de passer en zone libre. Puis ils
y internent dès 1941 les
personnes qui tentent de fuir les persécutions antisémites. La Mal-Coiffée devient
un centre de transit pour ceux qui vont se retrouver à Drancy. En avril 1941,
les détenus de droit commun la quittent, et la Mal-Coiffée devient la prison de
la Wehrmacht. En novembre 1942, après le débarquement des Alliés en Afrique du
nord, elle est utilisée par les services de sécurité de la Schutzstaffel (les
tristement célèbres SS) pour regrouper les Résistants. En janvier 1943, le
personnel pénitentiaire français est licencié et les Allemands assurent seuls
la surveillance intégrale (cas unique en France). Les cachots sont surpeuplés,
la torture est courante. Les départs en déportation vers les camps
d’extermination sont nombreux. On compte 185 détenus en février 1944, plus de 400 en août 1944. Le grand
cachot peut « héberger » 100 détenus ! Fin août, après
le débarquement de Provence, devant la pression des Alliés, les Allemands
quittent l’Allier. Ils libèrent des prisonniers, en déportent d’autres. La
Mal-Coiffée est vidée de tous ses occupants (c’est le cas de le dire…), ce qui
provoque une liesse populaire. Parmi les libérés, le Résistant Robert Fleury va
être nommé préfet de l’Allier dès la Libération, le Résistant Maurice Tinland,
avocat, deviendra maire de Moulins. À partir de septembre 1944, la prison
moulinoise retrouve sa vocation initiale par le retour des détenus de droit
commun et accueille de nouveaux pensionnaires, les collaborateurs. Après les
hystériques coups de trique de la Gestapo, la colérique réplique pour les
collabos ! Le donjon construit par les Bourbon reste bien la prison qui
donne le bourdon.
Après la guerre, la guillotine n’y est installée
qu’une fois, dans la cour, pour une dernière exécution en 1948.
De nombreux graffitis, dont certains très anciens,
témoignent de la souffrance et de l’attente des condamnés.
Livres rares et incendie, mitards et graffitis,
maquisards et nazis… la Mal-Coiffée, fierté d’un duché, puis abri de
prisonniers, demeure un riche concentré de leur passé pour les Moulinois
passionnés.
Étienne Madranges,
Avocat à la cour,
Magistrat honoraire