Le 7 mai dernier, le président de l’Autorité
des marchés financiers (AMF) Robert Ophèle a présenté le rapport d’activité
2018 de l’Institution (rapport qui couvre l’année 2018 et les premiers mois de
2019). Ce dernier a notamment évoqué les priorités pour la prochaine mandature
européenne, du point de vue du régulateur. Il est également revenu sur la mise
en œuvre de nombreuses nouvelles réglementations européennes, et sur les
récentes responsabilités confiées à l’AMF dans le cadre du projet de loi PACTE.
« Mise en œuvre effective de nouvelles réglementations européennes très
structurantes – en particulier la directive MIF 2 –, préparation de la sortie
du Royaume-Uni de l’Union européenne, finalisation avant la fin de la mandature
européenne de projets sensés donner de la consistance à l’Union des marchés de
capitaux, préparation et discussion au Parlement de la loi PACTE… », il
semble que l’année 2018 n’ait pas été de tout repos pour l’AMF selon
l’avant-propos du rapport d’activité 2018 de l’Autorité.
En effet,
outre la mise en pratique pour les établissements financiers comme pour le
régulateur de textes européens structurants tel que le nouveau cadre des
marchés d’instruments financiers, l’année écoulée s’est déroulée dans un
contexte très particulier, celui d’une mobilisation dans la perspective de la
sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
Comme
l’indique l’AMF, les équipes ont travaillé d’arrache-pied pour permettre aux
établissements de se préparer au mieux en prenant en compte l’ensemble des scénarios possibles.
Les
autorités nationales et européennes ont également veillé à prendre les mesures
nécessaires pour minimiser
les effets d’un Brexit sans accord.
«
Globalement, le secteur financier est
raisonnablement préparé à une telle rupture » a avancé Robert Ophèle dans
l’introduction du rapport annuel 2018. Par exemple, concernant la place de
Paris, une vingtaine de sociétés de gestion se sont installées ou ont renforcé
le périmètre de leur agrément, une vingtaine d’entreprises d’investissement ont
fait de même et développent des plateformes de négociation, etc.
UNE FIN D’ANNÉE DÉCEVANTE
Pour
le président de l’AMF, l’année 2018 s’est terminée par une certaine déception
et inquiétude. En effet, au cours des derniers mois, des replis de marché «
parfois brutaux » se sont produits. Ceux-ci ont été affectés entre autres « par des incertitudes concernant la
croissance mondiale […] qui apparaît menacée par l’épuisement des effets de la
réforme fiscale américaine ; les tensions commerciales et les risques
géopolitiques » explique le président de l’AMF.
Ainsi,
l’an passé, le CAC 40, dividendes réinvestis, a baissé de 8 % sur l’année (avec
-13,6 % sur le dernier trimestre).
Quant aux
introductions en bourse, celles-ci ont été en net repli l’année dernière,
indique Robert Ophèle. Par rapport à 2017, elles concernent des valeurs de plus
petite taille et ont collecté seulement 1,1 milliard d’euros de capitaux nouveaux, alors
qu’en 2017 elles en ont collecté presque le double.
2019
ne s’annonce pas beaucoup mieux, car « les
introductions en bourse du premier trimestre à Paris sont anecdotiques et sont
l’objet de petites sociétés étrangères ».
Dans ce
contexte un peu inquiétant, quels sont les points positifs ? Pour Robert
Ophèle, le PACTE (projet de loi relatif à la croissance et à la transformation
des entreprises) adopté par l’Assemblée nationale le 11 avril dernier et
promulgué le 23 mai 2019, vient à propos dans son calendrier et son contenu
puisqu’il favorise l’épargne longue, simplifie l’accès des entreprises aux
marchés et a pour objectif de renforcer l’attractivité de la place de Paris.
Ce
qui préoccupe également le président de l’AMF, c’est que par-delà les
conséquences immédiates du Brexit, celui-ci « avec la sortie du périmètre de l’Union de son principal centre
financier, interpelle en profondeur l’Europe sur son projet en matière d’Union
des marchés de capitaux ».
RENFORCER
L’UNION DES MARCHÉS DE CAPITAUX
Selon l’AMF,
il est indispensable, pour davantage d’homogénéité et d’efficacité, de mettre
en œuvre une réforme ambitieuse des autorités européennes de supervision.
Cela permettrait à l’Europe de parler d’une seule voix, et d’avoir une
véritable Union des marchés des capitaux. Celle-ci devrait d’ailleurs reposer
sur un socle de fondamentaux : un référentiel comptable commun, un droit de la faillite commun (actuellement au point mort), une politique cohérente vis-à-vis des pays tiers, un
corpus de règles commun et donc une supervision unique. Pour cette raison,
l’AMF souhaite que soit conféré un plus grand rôle à l’Autorité européenne des
marchés financiers (ESMA en anglais ou AEMF) en matière de supervision des
chambres de compensation dans la cadre de la réforme d’un règlement européen
EMIR.
Des avancées ont certes été obtenues en matière de
convergence, mais l’AMF regrette que « la
revue des autorités européennes de supervision, les ESA, envisagée pour rendre
la supervision plus homogène et plus efficace et tendre vers l’unicité de la
supervision, ce qui aurait considérablement renforcé la voix de l’Europe
vis-à-vis des pays tiers, n’est au final qu’un texte appauvri, aux ambitions
bien trop limitées ».
Résultat : l’Union des marchés des capitaux n’a pas beaucoup
progressé malgré les actions menées par l’AMF en ce sens depuis
des années. L’Institution espère donc que la nouvelle mandature européenne à
faire bouger les choses. « Les occasions
manquées imposent de repenser la vision européenne dans les domaines financiers
pour les années à venir, de renforcer les marchés de capitaux de l’UE et de
développer une supervision des marchés financiers robustes », s’est ainsi
exprimé Robert Ophèle dans le rapport annuel.
LES
PRINCIPAUX TRAVAUX DE L’AMF EN 2018
Favoriser
l’innovation dans un cadre sécurisé
En 2018,
l’AMF a poursuivi son ambition d’accompagner l’innovation.
Après une
année 2017 de rencontres des porteurs de projets et d’étude des levées de fonds
via l’émission de jetons (Initial Coin Offering ou ICO),
l’institution a publié en janvier 2018 les conclusions de la consultation
publique. Consultation qui a fait ressortir une préférence pour la mise en
place d’un cadre légal adapté à ce nouveau type de levée de fond, indique le rapport
annuel.
L’AMF a
remis ses conclusions en février 2018 sur le cadre règlementaire approprié pour
ces opérations. L’Autorité a aussi consacré l’édition 2018 du colloque du
Conseil scientifique au thème des ICO.
Ces
travaux ont largement nourri le projet de loi PACTE, qui crée un visa optionnel
pour les émissions et un agrément optionnel pour les prestataires de services
sur actifs numériques.
« Le visa optionnel est
un bon compromis permettant d’attirer les projets d’ICO sérieux et l’innovation
en France tout en assurant une protection des investisseurs », s’est exprimée Anne
Maréchal, directrice des Affaires juridiques, dans le rapport annuel.
Une fois le
texte promulgué, l’AMF devra le mettre en œuvre en adaptant son règlement
général et sa doctrine.
Ainsi, le démarchage sera interdit pour toute émission de
jetons et à tout prestataire n’ayant pas reçu le visa ou l’agrément de
l’autorité. Pour obtenir cet agrément, «
les prestataires de services sur actifs numériques devront respecter (…) un
socle de règles communes à tous les services (détenir des fonds propres
minimums ou souscrire une assurance, mettre en place des dispositifs de
sécurité et de contrôle interne adéquats, un système informatique résilient et
sécurisé, et des procédures de gestion des conflits d’intérêts). Ils devront
également communiquer des informations claires, exactes et non trompeuses à
leurs clients, afficher leur politique tarifaire, et, enfin, définir des règles
spécifiques à chaque service pour lequel un agrément est demandé (…) »
précise le rapport annuel de l’AMF.
L’AMF pourra également demander le blocage de l’accès aux
sites Internet frauduleux proposant des services sur actifs numériques.
L’engagement de l’AMF pour une finance durable
« 2018 a été la quatrième année la plus chaude depuis le début des
mesures de la température moyenne à la surface du globe. C’est aussi une année
marquée par une mobilisation citoyenne plus importante dans de nombreux pays en
faveur du climat »,
rappelle l’Autorité des marchés financiers dans son rapport annuel. En France,
le projet de loi PACTE affirme qu’il est désormais nécessaire pour les
entreprises de prendre en considération les enjeux sociaux en environnementaux
inhérents à leurs activités. L’AMF s’est alors vu confier la mission
suivante : veiller à la qualité de l’information fournie par les sociétés
de gestion sur leur stratégie en matière de finance durable.
Mais l’AMF n’a pas attendu la loi PACTE pour faire de la finance
durable son cheval de bataille. Ainsi, l’autorité a dévoilé à l’automne 2018 sa
feuille de route en matière de finance durable, axe fort de son plan
stratégique 2018-2022.
L’Autorité a également annoncé la création d’une unité de
Stratégie et finance durable qui coordonne les travaux dans ce domaine, selon quatre
axes de travail : l’accompagnement des acteurs et de l’innovation ;
la supervision et la veille ; la participation aux travaux européens et
internationaux et la collaboration avec les autres régulateurs ; et la
pédagogie vis-à-vis des épargnants.
Courant 2019, l’AMF a annoncé qu’elle publiera son troisième rapport
sur l’investissement socialement responsable dans la gestion collective.
Le régulateur publiera en outre ses constats et recommandations
s’agissant de l’information en matière de responsabilité sociale, sociétale et
environnementale des sociétés cotées.
LES ACTIONS PRÉVUES EN 2019
Au niveau européen, pour Robert Ophèle, quatre priorités plus
particulièrement structurantes devront être traitées dans les années à
venir : mise en place d’une stratégie digitale pour les services
financiers ; concrétisation de l’ambition en matière de finance
durable ; révision de l’architecture des textes sur la gestion
d’actifs ; amélioration de l’efficacité de l’information destinée aux épargnants.
Dans le cadre du Brexit, de nombreuses questions vont se poser suite à
la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne : « Le cadre
futur de relations entre la place de Londres et l’Europe à 27 sera déterminant
et comporte de nombreux enjeux réglementaires et
de supervision » indique le
rapport annuel.
Tout au long de l’année 2019, l’AMF devra ainsi continuer à accompagner
les acteurs qui souhaitent s’implanter ou démarrer des activités à Paris ainsi
que les établissements français qui doivent préparer la sortie du Royaume-Uni
de l’Union européenne. L’autorité devrait aussi contribuer aux travaux sur les
relations futures entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.
En France, l’AMF devra accompagner les acteurs et
professionnels dans la mise en œuvre d’un cadre réglementaire « devenu très
complexe », mais aussi évaluer les évolutions que vont entraîner les nouvelles
réglementations et veiller à l’attractivité des marchés. L’Autorité devra
également faire progresser les outils et l’approche de supervision de l’AMF ;
mettre en œuvre le nouveau régime des cryptoactifs et continuer à accompagner
les transformations du secteur financier permises par les nouvelles
technologies ; participer aux travaux européens et internationaux en lien avec
la finance durable ; et enfin, continuer à protéger les épargnants contre les
escroqueries dans le domaine financier (renforcer l’efficacité des outils de
veille et d’alertes ainsi que des dispositifs de réponse, mettre en œuvre le
régime national de product intervention, créer un nouveau site pour les
épargnants…).
Enfin, cette année, l’AMF devra poursuivre sa transformation interne.
« Un an après la publication du plan stratégique #Supervision2022, le
besoin de transformer nos modes de fonctionnement et de développer de nouvelles
compétences n’apparaît que plus clairement », indique en effet le rapport
annuel. Cette transformation sera effectuée selon trois axes :
accélération de la digitalisation de l’AMF (première mise en service du nouvel
outil d’interface avec les sociétés de gestion (BIO3), simplification des mécanismes de contributions…) ; amélioration de la
communication de l’Autorité (être davantage présente sur les réseaux sociaux,
communiquer systématiquement sur les décisions de la Commission des
sanctions…) ; développement des compétences, c’est-à-dire poursuivre les
efforts en matière de formation sur les nouvelles expertises indispensables au
métier du régulateur et dans les recrutements.
Maria-Angélica Bailly