Le Conseil d’Etat a présenté en mai dernier son
rapport d’activité édition 2017, dernier bilan public pour son –
désormais – ancien vice-président, Jean-Marc Sauvé.
Hausse des décisions rendues par les juridictions administratives, succès des
référés et des QPC, lancement du télérecours citoyen… Retour en chiffres sur un
bilan optimiste.
C’est
une première depuis 2013 : en dépit de l’augmentation du nombre de
recours, les juridictions administratives ont jugé autant voire davantage
d’affaires qu’elles n’en ont enregistré. En effet, l’augmentation des recours -
notamment devant le Conseil d’Etat, mais surtout devant la Cour nationale du
droit d’asile -, n’a pas empêché les juridictions administratives d’augmenter
de plus de 5% le nombre de décisions rendues. Ainsi, en 2017, les tribunaux
administratifs ont par exemple jugé plus de deux cent mille affaires : un
record ! Conséquence : les tribunaux
administratifs, les cours administratives d’appel et le Conseil d’Etat ont
respectivement réduit leurs stocks d’affaires en instance de 2,2%, 0,2% et de
9,2%. La Haute juridiction administrative a donc souligné un
« assainissement des stocks »,
puisque, désormais, 83% des affaires ont moins d’un an, et 98% moins de deux
ans. Par ailleurs, le délai prévisible moyen d’un jugement a baissé de 40% dans
les tribunaux administratifs : il est aujourd’hui de moins de six mois.
En
outre, l’activité consultative du Conseil d’Etat a été qualifiée « d’intense »
par ce dernier, bien que très légèrement en baisse par rapport à 2016,
lorsqu’elle avait connu un pic historique. Mille trois cent cinq demandes
d’avis (projets de loi, ordonnances, décrets réglementaires…) ont ainsi
formulées, notamment en lien avec la lutte contre le terrorisme,
la transparence de la vie publique et la réforme du droit du travail. Avis
rendus rapidement, puisque près de 95% l’ont été en moins de deux mois. « 2017
confirme de façon préoccupante rétrécissement délais laissés au Conseil d’Etat
pour rendre avis consultatifs » a toutefois souligné la Haute
juridiction administrative.
Au
total, de « bons résultats » qui « ne doivent pas
dissimuler un équilibre fragile », a cependant estimé l’institution,
qui s’est dite « consciente » que ces résultats étaient
« perfectibles, avec une marge de progression ». En effet, le
délai moyen constaté de jugement pour les affaires ordinaires - c’est-à-dire
exception faite des procédures d’urgence ou des délais particuliers - se
maintient à près de vingt-deux mois dans les tribunaux administratifs, quatorze
mois dans les cours administratives d’appel, douze mois au Conseil d’Etat - des
délais qui n’ont pas pu être réduits de manière significative ces dernières
années - bien que la moyenne se situait à vingt-cinq mois au début des années
2000.
Les référés et les QPC ont la cote devant le Conseil
d’Etat
L’activité
du Conseil d’Etat a été marquée essentiellement par une augmentation des
recours contre les ordonnances et décrets - augmentation logique au cours d’une
année marquée par une forte activité en la matière -, mais aussi par la hausse
des recours contre les grandes autorités telles que le CSA, la CNIL, l’AMF,
etc. Autre phénomène marquant : le grand nombre de référés, qui a dépassé
pour la première fois le seuil des quatre cents. En cause : des éléments
conjoncturels liés à l’état d’urgence, mais aussi le succès croissant que
connaît cette procédure d’urgence. Un fort engouement a également été constaté
pour la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), a indiqué le Conseil
d’Etat - mouvement également observé devant la Cour de cassation. Après ses
deux premières années d’application en 2010 et 2011, ce nouveau droit reconnu
par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 avait été un peu moins
utilisé. Depuis 2016, et particulièrement en 2017, la QPC est revenue en force,
dépassant les chiffres des premières années, pour atteindre deux cent
cinquante-huit questions prioritaires en 2017, soit deux de plus qu’en 2010, a
rapporté la Haute juridiction administrative. Cette dernière a salué « l’objectif
pleinement atteint de remettre la Constitution au cœur garantie des droits
fondamentaux », précisant que « devant toutes les
juridictions, la Constitution a pris sa place de norme de référence essentielle
pour la garantie des droits et libertés ». Si la procédure est de plus
en plus familière aux requérants et à leurs avocats qui ont parfaitement
intégré ce mode de saisine, ce succès peut aussi s’expliquer par la nature des
QPC, nombreuses en matière de sécurité intérieure, mais aussi en contentieux
fiscal - c’est d’ailleurs à la suite d’une QPC que la contribution
additionnelle à l’impôt sur les sociétés, qui taxait les dividendes perçus au
taux de 3%, a été censurée par le Conseil Constitutionnel en octobre dernier.
Enfin,
le Conseil d’Etat a souligné l’existence de treize renvois préjudiciels à la Cour
de justice de l’Union Européenne, qui ont permis d’interroger cette
dernière sur l’interprétation ou la validité du droit de l’Union européenne
dans le cadre des litiges dont elle était saisie ; notamment
en matière de droit à l’oubli sur internet.
Des décisions importantes
L’année
écoulée s’est caractérisée par une jurisprudence abondante pour les
juridictions administratives. La formation spécialisée dans le contentieux de
renseignement et des fichiers intéressant sûreté de l’Etat, dans sa première
année de plein exercice, a été confrontée à un contentieux d’une centaine d’affaires,
principalement en lien avec les fichés S, et deux décisions ont relevé des
illégalités dans la tenue des fichiers en question.
Par ailleurs, l’office du juge des référés a continué d’être précisé
en 2017 avec des décisions « importantes »,
en particulier sur la nature des mesures susceptibles d’être ordonnées pour la préservation
des libertés fondamentales, s’agissant ainsi de la situation des
migrants à Calais, des traitements médicaux en fin de vie, mais aussi sur des
établissements pénitentiaires. Ainsi le Conseil d'Etat, dans un arrêt rendu le
28 juillet 2017, a précisé qu’il n’appartenait pas au juge du référé liberté,
qui est un juge de l'urgence dont les mesures doivent produire des effets à courte
échéance, d'ordonner à l'administration de prendre des mesures structurelles
comme la réalisation de travaux lourds ou l'allocation de moyens
supplémentaires, mais qu’il convenait d'apprécier l'existence d'une atteinte
grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale justifiant le
prononcé de mesures de sauvegarde au regard des moyens de l'administration et
des mesures déjà prises.
Sont
également à noter des décisions marquantes en droit de l’urbanisme, puisque le
Conseil d’Etat a apporté des précisions quant au champ d’application des
régularisations, par l’écoulement du temps, des constructions irrégulièrement
édifiées, dans un arrêt du 3 février 2017. Ce dernier a également étendu le
domaine de l’intérêt public justifiant un refus de renouvellement d’une
autorisation ou d’une convention d’occupation temporaire du domaine public,
dans sa décision Commune de Port-Vendres du 25 janvier 2017.
La
Haute juridiction a également rendu plusieurs décisions importantes en matière
d’extradition, de droit à l’entrée et au séjour des étrangers et de droit
d’asile, en apportant des précisions sur la portée des arrêts de la Cour
européenne des droits de l’Homme et leurs conséquences sur la procédure
d’extradition, ainsi que sur le droit à la délivrance d’un visa en vue de
présenter une demande de protection en France.
Quelles nouveautés ?
Le
Conseil d’Etat s’est également dit, lors de son bilan, « attaché à
renforcer son accessibilité » grâce aux téléprocédures, et en
poursuivant la réforme de la rédaction des décisions de justice. Un comité
d’évaluation de l’expérimentation de la nouvelle rédaction des décisions des juridictions
administratives, présidé par Christian Vigouroux, a en effet débouché sur une
circulaire pour généraliser cette « rédaction expérimentée ». Le but : adapter
les modes de rédaction à la diversité des missions du juge administratif,
enrichir la motivation pour mieux répondre aux attentes des justiciables et
améliorer la lisibilité des décisions de justice.
En
outre, le télérecours a été généralisé pour toutes les affaires pour lesquelles
il y a représentation par avocat. D’autant que le télérecours citoyen, nouveau
service permettant aux parties privées non représentées de saisir des
juridictions par voie dématérialisée, est entré en vigueur en mai dernier.
Les
juridictions administratives ont également cherché à développer les modes
alternatifs de règlement des différends. Ainsi, un décret entré en vigueur le 1er
mars 2018 instaure une médiation préalable obligatoire pour certaines
catégories de litiges, à titre expérimental : les litiges individuels de
la fonction publique territoriale, et un certain nombre de contentieux sociaux,
relatifs à Pôle emploi, ou encore aux allocations et prestations versés par
CAF. Ces expérimentations ont démarré le 1er avril.
Enfin,
pour « prendre le pouls des conditions de vie et de travail dans les
juridictions », une enquête a été menée auprès des juridictions
administratives, sur la base de plusieurs questions permettant de saisir, par
exemple, comment est perçue la charge de travail, ou encore quel est l’état de
la communication dans et entre les juridictions, etc. Un baromètre social qui a
mis en évidence des « points positifs mais aussi des possibilités de
progrès », a indiqué la Haute juridiction administrative lors de son
bilan. Deux groupes de travail ont ainsi été constitués : l’un sur la
communication au sein des juridictions, l’autre sur les carrières des
magistrats.
Bérengère Margaritelli