DROIT

SÉRIE « DROIT ET ANIMAUX DE LA RUE » (3). Animaux en divagation : une responsabilité partagée

SÉRIE « DROIT ET ANIMAUX DE LA RUE » (3). Animaux en divagation : une responsabilité partagée
Publié le 29/03/2024 à 15:50

Notre série « Droit et animaux de la rue » s’appuie sur un ensemble d’interventions ayant eu lieu lors d’un webinaire organisé par la commission « Droit et animaux » du barreau de Paris. Elle  part du constat que les animaux errants sont estimés à 300 à 500 millions dans le monde. Si aux Pays-Bas, la politique et la réglementation en place permettent aujourd’hui de placer le pays en tête des États comptabilisant le moins d’animaux errants, en France, environ 49 000 chiens et 42 000 chats seraient concernés. De quoi présenter un certain nombre d’enjeux juridiques et judiciaires, comme le souligne l’avocate Marie-Bénédicte Desvallon, responsable de la commission. Et en particulier, au-delà des problématiques liées à la biodiversité, à l’ordre public, à la sécurité, voire à la salubrité publique, qui se posent de façon légitime, quid de la question de la protection de ces animaux ? 

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·        Animaux en divagation : une responsabilité partagée

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Au-delà de l’approche négative par le droit de l’errance animale à l’aune des risques associés pour les hommes, reste le sujet des risques pour l’animal et des responsabilités respectives des propriétaires et du maire au titre de ses pouvoirs de police. L’avocate au barreau de Paris Marie-Bénédicte Desvallon fait le point.

La France recenserait un peu plus de 90 000 chiens et chats identifiés en état de divagation selon les associations de protection animale. Voici l’état des lieux partagé par l’avocate au barreau de Paris Marie-Bénédicte Desvallon, dans le cadre du webinaire organisé début février par la Commission ouverte « Droit et Animaux » du barreau de Paris dont elle est responsable.

Une donnée chiffrée importante, et ce malgré une interdiction générale « de laisser divaguer les animaux domestiques et les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité » formulée dans l’article L. 211-19-1 du Code rural et de la pêche maritime (CRPM).

Les enjeux autour de la divagation de ces animaux, même non dangereux, sont multiples : sécurité et ordre public, salubrité publique mais aussi environnement par l’érosion de la biodiversité en lien (non exclusif) avec la divagation des chats. Un animal errant peut mordre soit un autre animal sous la surveillance de son maitre, soit une personne, auquel cas il a pu être invoqué la mise en danger d’autrui par manquement délibéré à une obligation réglementaire de prudence ou de sécurité.

Marie-Bénédicte Desvallon le rappelle : la notion de divagation diffère selon qu’il s’agit de chien ou de chat, qu’il soit identifié ou non. Un chien est considéré en divagation dès lors n’est plus sous la surveillance effective de son maître, éloigné de plus de 100 mètres de celui-ci, en dehors d’une action de chasse, de garde ou de la protection du troupeau ou bien abandonné, livré à son seul instinct. Est considéré comme errant tout chat identifié trouvé à plus d’un kilomètre du domicile du maître, tout chat non identifié trouvé à plus de deux cents mètres des habitations, et tout chat dont le propriétaire n’est pas connu, saisi sur la voie publique ou la propriété d’autrui.

Quelles sanctions pour les propriétaires d’animaux en divagation ?

La responsabilité première incombe au propriétaire. Selon l’article 1243 du Code civil, « le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé. »

Le fait, par le gardien d’un animal susceptible de présenter un danger pour les personnes de laisser divaguer cet animal est une contravention de deuxième classe punie par une amende de 150 euros au titre de tout manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police (article R. 622-2 Code pénal). Notons que depuis 2021 le délit de mise en danger englobe la contravention de divagation, précise l’avocate.

Par ailleurs, dans le cas d’une condamnation du propriétaire ou si celui-ci est inconnu, « le tribunal peut décider de remettre l'animal à une œuvre de protection animale reconnue d'utilité publique ou déclarée, laquelle pourra librement en disposer », souligne Marie-Bénédicte Desvallon.

À noter que c’est le détenteur et non le propriétaire d’un animal ayant causé des dommages ou blessé une personne qui pourra être tenu pour responsable, à condition que le propriétaire démontre avoir confié l’animal et que le détenteur avait une garde effective de l’animal.

Les nouvelles obligations des maires et communes relatives aux animaux en divagation 

À la responsabilité des propriétaires s’ajoute également celle des maires à qui il incombe, au titre de leurs pouvoirs de police générale, d’« assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques » (article L.2212-2 CGCT) d’une part, et de prendre « toutes dispositions propres à empêcher la divagation des chiens et des chats » (article L.122-22 CRPM) au titre de leurs pouvoirs de police spéciale d’autre part.

Ils précisent notamment les circonstances et modalités dans lesquelles « les chiens et les chats errants et tous ceux qui seraient saisis sur le territoire de la commune sont conduits à la fourrière (…). »

Outre le pouvoir de faire procéder à la capture des animaux en divagation, les responsabilités des communes ont été renforcées en matière d’organisation des fourrières.

Ainsi l'article 7 de la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale modifie notamment l’article L. 211-24 du Code rural, fixant l’obligation pour « chaque commune ou, lorsqu'il exerce cette compétence en lieu et place de ladite commune, [pour] chaque établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre [de] dispose[r] d'une fourrière apte à l'accueil et à la garde, dans des conditions permettant de veiller à leur bien-être et à leur santé, des chiens et chats trouvés errants ou en état de divagation. »

Depuis le décret du 24 août 2022 relatif à la formation des gestionnaires de fourrière en matière de bien-être des chiens et des chats, ces gestionnaires ont l’obligation de suivre une formation leur permettant d’acquérir « les connaissances relatives aux besoins biologiques, physiologiques, comportementaux et à l'entretien des chiens et des chats » ou bien attester « la possession d’une certification professionnelle suivie d’un enseignement relatif au bien-être des chiens et des chats d'une durée au moins égale à six heures ».

Des vides juridiques à combler

Si on doit saluer le renfort des responsabilités respectives des propriétaires comme des maires certains points restent à préciser ou rappeler.

Concernant la capture d’un animal par exemple, la compétence des agents de la police municipale procède des arrêtés de police du maire, selon l’article L. 511-1 du Code de la sécurité intérieure. En revanche, lorsqu’un risque de danger se profile, ce sont alors les agents des SDIS, chargés de la protection des personnes, des biens et de l’environnement, qui interviennent, conformément à l’article L. 1424-2 du CGCT. Pour la responsable de la Commission ouverte Droit et Animaux, « il serait utile de faciliter l’intervention des forces de l’ordre quand un animal échappé est vu sur une propriété privée en l’absence de l'occupant ».

Sur la question de la restitution de l’animal, l’avocate voit un vide juridique qu’il serait intéressant de combler. En effet, selon l’article L. 211-24 du CRPM, « les fonctionnaires et agents mentionnés au L. 212-13 peuvent restituer sans délai tout animal identifié selon l’article L. 212.10 s’il n’a pas été en fourrière ». Une compétence qui ne s’applique pas aux agents de la police municipale ni aux gardes champêtres « faute d’être visés à l’article L.212-13 ».

En outre, selon qu’il soit ou non identifié, l’animal amené en fourrière peut être rendu à son propriétaire s’il est réclamé dans un délai de huit jours suivant sa capture. Dans le cas contraire, il est considéré comme abandonné et devient alors la propriété du gestionnaire qui peut choisir de garder l’animal dans la limite des capacités d’accueil, ou demander l’avis d’un vétérinaire nommé par préfet qui tranchera entre céder l’animal à une association de protection, ou l’euthanasier. Si l’urgence est caractérisée, le délai contradictoire avant l’euthanasie n’est pas obligatoire d’après l’article L.211-11, 13 et 16 du CRPM, indique Marie-Bénédicte Desvallon.

Autre point soulevé, la gestion des registres des fourrières. Aux termes de l’article R. 214-30-3 du CRPM, chaque fourrière se voit dans l’obligation de tenir un registre d’entrée et de sortie des animaux qui doit être conservé durant trois ans après la sortie de l’animal. Lorsque des refuges assurent la gestion du service public de fourrière, les registres sont des documents administratifs pouvant être communiqués, comme l’a rappelé la Commission d’accès aux documents administratifs.

Enfin, la responsable de la Commission ouverte Droit et Animaux préconise de revoir la catégorisation des animaux en divagation. Sous l’empire du Code pénal de 1810, une amende de 250 à 600 francs était prévue pour tout détendeur d’animal de compagnie qui laisse divaguer des animaux « malfaisants ou féroces ». Une formule qui perdure aujourd’hui encore dans le CGCT en son article L. 2212-2 : « la police municipale doit notamment prendre soin d’obvier ou de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux malfaisants ou féroces ».

À l’aune des risques pour l’animal en divagation et de sa reconnaissance en tant qu’être sensible, pour autant qu’il n’ait pas été abandonné, les termes « malfaisants » ou « féroces » ne sont définitivement plus adaptés selon l’avocate.

Allison Vaslin

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