Notre série « Droit et animaux de la rue » s’appuie sur un ensemble d’interventions ayant eu lieu lors d’un webinaire organisé par la commission « Droit et animaux » du barreau de Paris. Elle part du constat que les animaux errants sont estimés à 300 à 500 millions dans le monde. Si aux Pays-Bas, la politique et la réglementation en place permettent aujourd’hui de placer le pays en tête des États comptabilisant le moins d’animaux errants, en France, environ 49 000 chiens et 42 000 chats seraient concernés. De quoi présenter un certain nombre d’enjeux juridiques et judiciaires, comme le souligne l’avocate Marie-Bénédicte Desvallon, responsable de la commission. Et en particulier, au-delà des problématiques liées à la biodiversité, à l’ordre public, à la sécurité, voire à la salubrité publique, qui se posent de façon légitime, quid de la question de la protection de ces animaux ? · La protection des chiens des sans-abri, ou le juridique à l'épreuve du terrain ; · Les actes de cruauté par les enfants sur les animaux, un phénomène qui gangrène La Réunion ; · Animaux en divagation :
une responsabilité partagée
· La gestion des chats
errants progresse à pas de fourmi
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Certes,
des avancées ont été permises par la loi de 2021, et la dernière loi de
finances a attribué trois millions d'euros pour aider les communes à stériliser
ces félins dont la prolifération n’est pas sans conséquences. Mais Sandra
Guillaumot, responsable de la mission « Animal en ville » à la Ville
de Paris, plaide
pour un financement plus important de l’Etat et une stérilisation
obligatoire.
Il
y aurait aujourd’hui environ 15 millions de chats domestiques en France… et
certainement un nombre équivalent à l’état sauvage. C’est ce que nous apprend
Sandra Guillaumot, responsable, à la Ville de Paris, de la mission « Animal
en ville », un service créé en 2018 pour dresser un état des
lieux des conditions de vie des animaux au sein de la capitale et pour
recueillir les propositions des élus, des habitants et des acteurs du
territoire. « Certainement », car « en réalité, on
n’est pas vraiment capables de savoir le nombre exact de chats errants »
indique-t-elle lors du webinaire organisé par la Commission ouverte « Droit
et Animaux » du barreau de Paris.
En
réalisant des calculs sur la reproduction, des associations ont en effet mis en
exergue qu’un « couple » de chats pouvait engendrer en quatre ans une
descendance de plus de 20 000 chatons, lesquels « vont occuper
l’espace public et engendrer des dégradations des espaces verts, des nuisances
sonores et olfactives, un impact fort sur la biodiversité ; car ce sont des
chasseurs » rappelle Sandra Guillaumot. Au total, les félins
s'attaqueraient à plus de 50 espèces en Europe, selon la ligue protectrice des
animaux (LPO), qui se fonde sur une étude participative du Museum national
d'histoire naturelle. En 2017, plus de 11 % des animaux accueillis en
centres de sauvegarde LPO étaient blessés par des chats.
A
cela, s’ajoute le fait que les chats à l’état sauvage sont « rarement
en bonne santé », précise la responsable de la mission « Animal
en ville ». Entre les accidents et les maladies, l’espérance de vie d'un
chat sauvage est même 2 à 3 fois inférieure à celle d’un chat disposant d’un
foyer, et dépasse rarement les 7 ans, selon la SPA.
Autant
de raisons qui poussent Sandra Guillaumot à plaider pour « stériliser
au maximum les chats ». Car si les associations sont mobilisées sur le
sujet, en France, la stérilisation des chats n’est pas encore obligatoire ;
l’occasion a d’ailleurs été manquée récemment. « C’est un sujet qui est
beaucoup revenu dans la discussion sur la loi du 30 novembre 2021 visant à
lutter contre la maltraitance animale, mais la décision n’a finalement pas été
prise », souligne Sandra Guillaumot. La Belgique a quant à elle mis en
place, depuis 2016, un système de stérilisation obligatoire de tous les chats,
errants ou non, avant l'âge de 6 mois.
A
Paris, la préfecture a la main
A
Paris, sur 250 000 chats, 500 à 1 000 chats errants sont estimés au sein de la
capitale, selon les chiffres de la Ville.
Par
« errants », on entend normalement sans maîtres, non
identifiés et vivant à plus de 200 mètres des habitations, par opposition aux
chats dits « libres », soit ceux qui sont identifiés au nom de
la commune ou d’une association, stérilisés, et relâchés sur le site où ils ont
été préalablement capturés, tous les chats n’étant pas adoptables car trop
sauvages. Problème : « A Paris, vu la densité urbaine, il n’y a pas de
chats à plus de 200 mètres des habitations. C’est un gros biais pour la gestion
des chats errants », pointe Sandra Guillaumot.
Autre
spécificité parisienne : alors que le maire est normalement compétent pour
faire procéder, par arrêté, à la capture de chats errants, en vue de leur
stérilisation et de leur identification, dans le 75, ce rôle revient au préfet
de police, comme le prévoit l’article L. 211-28 du Code rural et de la pêche
maritime. « [A la ville de Paris], nous n’avons donc pas la main,
explique Sandra Guillaumot. Sur le terrain, nous sommes en lien avec les
associations qui trappent et qui s’occupent des chats errants, mais nous ne
pouvons pas autoriser les opérations de trappage, précise-t-elle. Nous
devons nous associer à la préfecture ».
Une
meilleure gestion des chats errants depuis 2021
Malgré
la multiplication des chats errants et une nécessaire coordination à plusieurs
niveaux à Paris, la responsable de la mission « Animal en ville » se
félicite « de récentes avancées allant dans le bon sens »
permises par la loi du 30 novembre 2021.
A
l’instar, par exemple, de l’autorisation de nourrissage sur les lieux de
capture. « Auparavant, nous n’avions pas le droit de nourrir des
animaux dans l’espace public : c’est encore le cas, sauf pour les opérations de
trappage, ce qui facilite nettement les choses pour les associations qui, avant
cela, pouvaient être verbalisées ». En attirant les chats dans les
cages avec un peu de nourriture, les personnes habilitées ont ainsi moins de
mal à capturer et stériliser ces animaux.
Le
texte permet par ailleurs aux collectivités locales et aux établissements
publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, à titre
expérimental et pour une durée de cinq ans, d'articuler leurs actions dans le
cadre d'une convention de gestion des populations des chats errants, pour fixer
des engagements dans la gestion et le suivi des chats errants.
« Cela
a débloqué notre travail et a permis d’améliorer nettement la gestion des chats
errants. Grâce à cette nouvelle disposition, la préfecture a été d’accord pour
diffuser des arrêtés de trappage. C’est une grande avancée, une reconnaissance
pour les associations de pouvoir justifier qu’elles agissent sous l’ordre du
service public », témoigne Sandra Guillaumot.
La
Ville de Paris a également mis en place des conventions de suivi des
chats errants et d’identification des points de nourrissage avec des
associations et la préfecture de police, et signé un partenariat avec 30
millions d’amis « qui finance une partie de la stérilisation des chats
errants », relate la responsable de la mission « Animal en ville ».
Des
améliorations du côté des fourrières
Par
ailleurs, alors que le Code rural et de la pêche maritime prévoit que chaque
commune doit disposer d’une fourrière communale, la loi de 2021 apporte, selon
Sandra Guillaumot, des « ajouts intéressants » sur la gestion
des fourrières. En particulier, la dimension de la santé et du bien-être des
animaux dans les fourrières a été intégrée, avec une obligation de formation du
gestionnaire de l’établissement.
Autre
nouveauté en la matière : le service de fourrière peut désormais être confié à
des associations de protection animale qui disposent d’un refuge, et les
policiers municipaux ont la possibilité de restituer un animal errant identifié
directement à son maître s’il n'est pas encore entré dans la fourrière,
moyennant un « versement libératoire forfaitaire ». « Cela
simplifie les démarches aussi bien pour les associations que pour les maîtres,
et désengorge la fourrière », se réjouit Sandra Guillaumot.
Car
si la fourrière a l’obligation de rechercher les propriétaires, les délais de
garde sont de 8 jours ouvrés. A la fin de cette période, si l'animal n'a pas
été réclamé par son propriétaire, il est considéré comme abandonné et devient
la propriété du gestionnaire. Or, « il y a une suspicion d’euthanasie
quasi-systématique de la part des fourrières », indique la responsable
de la mission « Animal en ville », ce qui ne facilite pas le
travail entre les fourrières et les associations.
« Les
associations sont débordées »
Parmi
les avancées promises, certaines tardent cependant à se concrétiser. Notons que
la loi du novembre 2021 avait demandé au Gouvernement la rédaction de deux
rapports sur le sujet des chats errants. « Le premier, présentant un
diagnostic chiffré de la population de chats errants en France et contenant des
nouvelles recommandations et des propositions de financement, est en cours
d’élaboration (...) Le second portera sur des actions conduites à l’échelle
intercommunale ; les travaux débuteront au premier semestre 2023 »
avait indiqué le ministère de l’Agriculture en avril 2023. Un an plus tard,
statu quo.
De
la même façon, trois ans après la création de l’Observatoire de la protection
des animaux carnivores domestiques, qui fait partie des dispositifs mis en
place via le plan France Relance et avait pour objectif de « mieux
orienter les politiques publiques en matière de protection animale pour ces
espèces », ce dernier « n’a toujours rien rendu »,
observe Sandra Guillaumot.
Un
certain nombre de freins restent par ailleurs à lever. « Tout n’est pas
encore rose », juge la responsable de la mission « Animal en
ville ». Parmi les principaux points noirs, la gestion des chats errants
repose en grande partie sur les associations et les dons des particuliers. « Les
associations sont débordées, il y a beaucoup de chats dans les refuges,
beaucoup d’associations qui ne travaillent qu’avec des familles d'accueil qui
n’ont que peu de places », rapporte Sandra Guillaumot, ce nombre étant
réglementé.
La
responsable de la mission « Animal en ville » dépeint des
associations « pleines de bonne volonté » mais « vite débordées »,
et déplore la pénurie de lieux de convalescence après les stérilisations des
félins. Autre hic : ces associations manquent de visibilité et s’avèrent « peu
structurées ». « A Paris, les associations, ce sont quelques
personnes sur un arrondissement particulier, un quartier, et qui gèrent des
populations de chats errants plus ou moins grandes. Comme elles manquent de
moyens et de temps, elles ont des difficultés à se structurer », pointe
Sandra Guillaumot, pour qui le sujet n’est « pas simple » et
les collectivités « peu engagées ».
Par
ailleurs, si le plan France relance, qui a permis de dédier une enveloppe de 20
millions d’euros à la lutte contre les abandons, dont 14 millions dédiés aux
investissements dans les refuges et aux campagnes de stérilisation, a permis de
soutenir les associations avec refuge, « quid des associations sans
refuge ? » s’interroge Sandra Guillaumot.
L’Etat
et les collectivités appelés à mettre la main au portefeuille
La
responsable de mission rappelle donc l’importance de l’engagement de l’Etat et
des collectivités et la nécessité d’un financement plus important dédié à la
question de la stérilisation. Financement d’autant plus indispensable que les
frais vétérinaires s’envolent, estime-t-elle. « Le premier obstacle à
la stérilisation aujourd’hui est bien son coût, variable jusqu’à plus de 200 €
pour un chat en fonction des localités », comme le précisait le
rapporteur spécial Joël Giraud dans le texte d’un amendement au dernier projet
de loi de finances.
En
parallèle, Sandra Guillaumot souligne que « peu de vétérinaires sont
impliqués » dans la gestion des chats errants, et que la loi ne permet
pas aux vétérinaires de proposer aux associations des tarifs à moindre coût -
ce qui serait un « levier
fort »
pour les aider, selon elle. Au-delà, la responsable de la mission « Animal
en ville » appelle à rendre la stérilisation obligatoire : « C’est
inévitable, car cela aurait un impact direct sur le nombre d’abandons et de
chats errants ».
Sandra
Guillaumot prend l’exemple de la ville de Montpellier, qui dispose d’un service
en régie avec une brigade de capture dédiée, de 10 agents assermentés et formés
aux techniques de capture, qui organisent des campagnes de trappage. « Il
y a aussi des marchés avec des vétérinaires qui prennent en charge des chats
récupérés par la commune, identifiés et stérilisés à leurs frais, ce qui pèse
beaucoup moins sur le dos des associations », affirme-t-elle.
Reste
qu’en décembre dernier, la loi de finances pour 2024 a attribué trois millions
d'euros pour aider les communes à stériliser les chats errants. Alors que 3
millions de chats ne sont pas stérilisés, le budget alloué devrait permettre de
stériliser « environ 30 000 chats ». Si « aucune
directive n'a été communiquée concernant la procédure pour bénéficier de cette
dotation exceptionnelle », comme l’a fait remarquer le sénateur
Jean-Raymond Hugonet fin mars devant la chambre haute, « le texte de
cette réponse est en cours de publication », lui a-t-on répondu en
séance publique début avril.
Bérengère Margaritelli