Le salon SME (ex salon des micro-entreprises)
a ouvert ses portes du 1er au 2 octobre 2018 au Palais des
congrès de Paris. Organisé par en Personne expo, créateur et organisateur de
salons physiques et virtuels, l’édition 2018 a permis à plus de
10 000 entrepreneurs de faire le point sur le développement de leur
activité ou leur projet de création. Durant ces deux jours, des centaines
d’heures de formation (micro-learning, ateliers, conférences…) ont été
dispensées aux participants, et plus de 500 experts de l’entrepreneuriat
ont partagé leurs expériences et bonnes pratiques. Lors de la conférence
inaugurale « Secrets
d’entrepreneurs qui font grandir leur entreprise », des chefs
d’entreprises ont expliqué comment ils ont transformé leur petite entreprise en
PME à succès.
Animée par Matthieu Scherrer, directeur de l’édition L’Express, la
conférence a réuni Elsa Hermal, cofondatrice d’Epicery, un site créé en 2015 qui permet de se faire livrer à domicile les produits alimentaires
vendus par des commerçants de son quartier ; Patrick Levy-Waitz, président
du groupe Freeland, premier acteur français de services aux indépendants,
directeur de Travailler autrement, think tank qui étudie les
transformations du marché de l’emploi, et qui vient de rendre un rapport
proposant des solutions pour redéployer le travail sur tout le territoire grâce
au numérique ; Laurent Munerot, président de la chambre régionale de
Métiers et de l’artisanat d’Île-de-France et de la chambre de Métiers et de
l’Artisanat de l’Essonne, prothésiste dentaire, dirigeant de société ;
Dominique Restino, président de la CCI Paris, président du cabinet Expertive,
vice-président de l’Agence France Entreprise, fondateur du Moovjee ;
Hapsatou Sy, fondatrice de Hapsatou Sy, enseigne de produits de beauté et Julien
Denormandie, secrétaire d’État auprès du ministre de la Cohésion des
territoires.
Les intervenants ont partagé leurs secrets de réussite. De l’idée de
départ à la collecte des premiers fonds jusqu’au passage de l’état de TPE à
celle de PME, comment ont-ils procédé ? Quel a été l’élément déclencheur
de croissance ? Comment ont-ils préparé leur entreprise aux changements
tout en restant fidèles à leurs valeurs ?
Avant que ne commencent les échanges, Philippe Cornu, directeur marché
des professionnels au Crédit Agricole a livré ses observations sur le milieu
entrepreneurial actuel.
Il a d’abord rappelé qu’au Crédit Agricole, les entrepreneurs sont
accompagnés.
Les conseillers s’interrogent sur comment les amener à réussir. « On
crée des lieux, des villages d’innovation, pour pouvoir accueillir des
créateurs ; on crée des moments, les cafés de la création notamment. »
Étant lui-même entrepreneur, il peut aussi leur délivrer des conseils
pour mener à bien un projet. « On est en partenariat avec des
structures d’accompagnement telles que Initiactive France, Réseau entreprendre,
etc. qui peuvent vraiment vous aider », a-t-il ajouté.
Plus généralement, on distingue trois étapes dans la vie d’une
entreprise. La première consiste en la création de son projet. Durant
cette étape, les entrepreneurs ont besoin d’accompagnement pour correctement
l’élaborer. La deuxième, c’est la création de son entreprise proprement dite.
La dernière étape, c’est le développement de celle-ci dans le temps (les deux
ou trois premières années sont les plus difficiles). Quant aux principaux
besoins des chefs d’entreprise, il s’agit du financement, de la mise en
relation avec d’autres entrepreneurs qui ont vécu la même chose ou ont connu
les mêmes difficultés, des prêts personnalisés, du support opérationnel pour
les démarches administratives et juridiques, de la mise en place d’audits pour diagnostiquer
l’état de son entreprise, etc. Heureusement, pour Monsieur Cornu,
aujourd’hui « l’accompagnement est multiple, avec beaucoup d’acteurs,
et le digital en plus ». Mais pour lui, le principal secret pour
réussir c’est de constituer de bonnes équipes avec qui travailler.
Après sa courte intervention, Matthieu Scherrer a interrogé ses invités.
La présence d’un secrétaire d’État dans ce débat signifie-t-elle que l’État
s’est définitivement réconcilié avec les entrepreneurs ? a-t-il demandé à
Julien Denormandie.
« Mon gouvernement avait dès le départ un cap très clair »
a déclaré ce dernier, « faire baisser le chômage en créant du travail.
Or, celui-ci est créé par les entreprises et les entrepreneurs. » D’où
les changements de mesures fiscales, la mise en œuvre de la loi Pacte, qui vise
entre autres à simplifier la création d’entreprises… Par exemple aujourd’hui,
il existe sept guichets différents pour créer son entreprise (en fonction
de sa personnalité morale, de sa structure)… Dans quelques années, il n’y en
aura plus qu’un seul, quant au stage obligatoire pour les métiers de
l’artisanat, il va devenir optionnel. « L’administration regarde depuis
trop longtemps d’un œil un peu étrange l’entrepreneur, elle est plus dans
le contrôle que dans l’accompagnement, et c’est ce qu’on essaie de
changer » a-t-il expliqué.
DE L’IDÉE AU PASSAGE À L’ACTE
« Selon-vous, qu’est-ce qu’une bonne idée de business ?
Comment est née la vôtre ? » a ensuite demandé le journaliste aux
entrepreneurs.
Pour Elsa Hermal, cofondatrice d’Epicery, il n’existe pas vraiment de
bonne idée, c’est surtout l’exécution qu’on en fait. C’est en fait plus
répondre à un problème de manière très concrète.
Dominique Restino, président de la CCI Paris, a acquiescé. Pour
lui, des idées « il faut en avoir », mais l’important est de
mettre en œuvre ce que l’on imagine. D’ailleurs, plusieurs entrepreneurs ont
parfois la même idée. Mais certains « ne la développeront pas ou
mal ».
« Pour moi, la bonne idée ce n’est pas forcément celle qui
n’existe pas », a de son côté affirmé Hapsatou Sy, fondatrice de la
société Hapsatou Sy. Pour elle, la bonne idée est parfois une idée qui existe
déjà, mais qui est retravaillée avec l’ADN de l’entrepreneur. Celui-ci n’y
arrive d’ailleurs jamais seul, il doit s’entourer des bonnes personnes. En
outre, selon elle, il ne faut pas faire l’erreur de ne parler à personne de son
idée de peur qu’on nous la vole.
Au contraire, il faut en parler pour la mettre en difficulté.
À propos de
la création de son entreprise (En marche !), d’un genre un peu
particulier, Julien Denormandie a expliqué : « C’est la même chose
que pour n’importe quelle création d’entreprises. Avec la différence qu’on ne
pouvait pas véritablement établir un business plan. D’abord on a eu une
intuition, on s’est rendu compte qu’il y avait un clivage entre deux mondes
politiques qui ne pouvaient plus marcher (un exemple : la loi Macron qui a
été critiquée à gauche comme à droite).
On se devait donc de proposer autre chose. (…) Comment peut-on
faire les choses différemment ? C’est cette question qui nous a
guidés » a-t-il expliqué.
Laurent Munerot, qui s’est fait le porte-parole des artisans, a
expliqué que dans l’artisanat on est souvent seul. Ce qui fait que parfois, des
entrepreneurs disposent de superbes compétences techniques, mais le passage en
tant que chefs d’entreprise est très compliqué s’ils ne sont pas accompagnés.
Il a d’ailleurs regretté au passage le fait que le stage de préparation à
l’installation ait été rendu optionnel dans la loi Pacte, car la chambre de
l’artisanat y était très attachée.
Pour ceux qui ont choisi de s’associer, « comment cela s’est-il
passé ? Sur quels critères vous êtes-vous choisis ? » a
ensuite questionné le journaliste.
Pour Patrick Levy-Waitz, président du groupe Freeland, une association
réussie, c’est celle qui permet d’adjoindre des compétences différentes et donc
d’enrichir la manière dont sont effectuées les choses. Il est également
nécessaire de formaliser les règles. Car sinon on risque d’avoir des problèmes
ensuite. La question de l’association se fait sur un projet partagé. Mais si ce
projet ne convient plus à l’un ou l’autre à un moment donné, cette association
peut être rompue. « Vous êtes associés, mais peut-être pas toute la
vie. »
Du point de
vue d’Hapsatou Sy, « l’association c’est comme une histoire
d’amour. Au début tout est rose, et après viennent les difficultés. Et c’est là
qu’il faut se soutenir. Il n’y a pas de recette pour trouver le bon associé,
car il peut être bon à un moment T et moins bon après. » En effet, les
intérêts des uns et des autres peuvent évoluer au fil du temps, c’est pourquoi
il est judicieux de prévoir un pacte d’associés.
Comment les
entrepreneurs ont-ils fait individuellement pour se faire accompagner dans
leurs carrières respectives ?
Elsa Hermal a pour sa part choisi de s’associer avec des
investisseurs qui étaient déjà des entrepreneurs, comme les fondateurs de
Ventes privées, Xavier Niels, etc. « Ils nous ont fait gagner du temps
et permis d’aller plus vite » a-t-elle reconnu.
Quant à Hapsatou Sy, cette dernière a confié avoir vécu beaucoup
d’échecs liés aux personnes qui l’ont entourée. « Aujourd’hui c’est
différent ; je ne veux pas d’exécutants, j’ai des collaborateurs très
impliqués ; les salariés sont devenus associés et ont tous cette envie de
faire prospérer l’entreprise. »
Quant au mentorat, est-il fait pour tout le monde ? Y a-t-il des
conditions à remplir ?
Pour
Dominique Restino, « c’est fait pour tous ceux qui souhaitent le
faire, mais qui sont d’accord avec les règles de fond ». Le mentorat
pour entrepreneurs est un dispositif d’accompagnement entre pairs
(exclusivement d’entrepreneur à entrepreneur). Un mentor ne donne pas de
conseils, mais aide le mentoré à se poser les bonnes questions. Il doit en
outre ne pas travailler dans le même secteur d’activité que son mentoré, et ne
peut investir dans le projet de celui-ci jusqu’à deux ans après la fin du
programme de mentorat. Il est également totalement bénévole. « J’espère
que si on développe cela dans la loi Pacte, ça sera toujours bénévole et sans
avantage fiscal », a souhaité Monsieur Restino.
TROUVER DES FONDS
Comment faire, une fois qu’on a son idée, quand on ne dispose pas
soi-même de fonds propres, pour financer son projet ?
Selon Laurent Munerot, il y a toujours des organisations prêtes à
accompagner y compris pour le financement. En ce qui concerne l’artisanat,
« nous aux chambres de métiers, nous sommes là dès le départ ».
Ces dernières guident les artisans selon leur domaine d’activité (l’artisanat
c’est 250 métiers), et font des prêts d’honneurs qui permettent de lever
des fonds par exemple. Pour lui, c’est surtout pour l’accompagnement à long
terme qu’il manque des structures.
Quant à Patrick Levy-Waitz, dont l’entreprise réalise
120 millions de chiffre d’affaires, il existe beaucoup de projets que l’on
peut démarrer avec peu d’argent. Cependant, en France, il est plus facile de
trouver un financement quand on a commencé à faire quelque chose, que lorsqu’on
a seulement posé des idées sur des slides (contrairement aux pays anglo-saxons
qui font plus confiance). « Nous n’avons pas dans notre pays une
culture du risque or, nous avons besoin que les institutions bancaires prennent
plus de risques aux côtés des entrepreneurs », a-t-il déclaré.
Et même s’il existe des outils à la création, c’est compliqué !
« Quand vous créez, vous avez 7 guichets différents, vous ne savez
pas lequel est fait pour vous » a-t-il regretté. Cela est en train de
changer aujourd’hui, « heureusement ! » s’est-il
réjoui.
Pour
Hapsatou Sy, c’est pour les plus jeunes qu’il est le plus difficile de trouver
des financements. Pourquoi ? Car il faut avoir un réseau et tout le monde
n’a pas cette chance. En outre, le business angel n’est pas très
démocratisé en France. Il existe certes la love money, mais si notre
entourage ne peut pas nous aider c’est compliqué. « C’est très
difficile de trouver des fonds en France alors que dans les pays anglo-saxons
on parie sur vous et on peut vous donner votre chance », a-t-elle
expliqué.
Julien Denormandie a développé le même point de vue. Selon lui, il
existe dans l’Hexagone une multitude de freins qui empêchent d’oser. Le premier
est que lorsqu’on crée une entreprise, on n’a pas le droit à l’assurance
chômage derrière. Donc si on échoue, on n’a pas de filet de sécurité. Pareil en
ce qui concerne les « échecs ». La Banque de France
aujourd’hui détient un fichier (le fichier 050) qui répertorie toutes les
personnes qui ont fait faillite les cinq dernières années, et elle peut
transmettre ces données à toutes les banques. La loi Pacte souhaite mettre fin
à ce fichier, a-t-il déclaré. Autre changement dans la loi : quand on crée
son entreprise, la banque ne peut plus faire par défaut la saisine de votre
résidence principale, ce qui était le cas auparavant.
Plus optimiste, Dominique Restino a rappelé que la moyenne du
capital social d’une boîte en France est de 7 500/8 000 euros.
On peut les trouver grâce à la love money, par l’entourage, avec des
réseaux qui accompagnent, grâce à des personnes qu’on connaît… Pour lui, il
suffit de se « bouger un peu ».
Quant à Elsa Hermal, celle-ci a expliqué que les investisseurs sont
d’une grande aide quand le projet n’est pas encore très crédible pour les
banques. Mais comment a-t-elle réussi à les convaincre d’investir ? Elle a
contacté son premier investisseur (Marc Menasé) par mail. Elle est également
allée à des événements (incubateurs, accélérateurs) pour rencontrer les bonnes
personnes… et son diplôme d’école de commerce l’a aidée à convaincre les investisseurs.
Mais tout cela suffit-il ? N’existe-t-il pas en France des
inégalités selon les régions dans lesquelles on habite ?
UNE FRACTURE TERRITORIALE EN
FRANCE ?
Patrick Levy-Waitz a rappelé avoir remis le 19 septembre dernier,
le rapport de la mission Coworking : Territoires, Travail, Numérique
a Julien Denormandie. Ce document, qui contient 28 propositions organisées
en trois grands sujets, propose des solutions pour redéployer le travail
sur tout le territoire grâce au numérique. Pour Monsieur Levy-Waitz, il
existe actuellement deux Frances : celle dont la vie est relativement
facile, et celle pour qui tout est plutôt difficile. Par exemple, dans les
territoires ruraux et dans certains territoires abandonnés par l’État, accéder
aux financements est très difficile. Toutefois, la fracture n’existe pas
uniquement entre les villes et les campagnes, mais aussi entre différents
quartiers des grands centres urbains. Selon lui, la désindustrialisation des
territoires (40 % de la population française a vu ses emplois et son
niveau de vie disparaître) explique en grande partie cette réalité. Dans son
rapport, il a cependant mis en avant le fait qu’il existe en France de nouveaux
lieux de travail (Fablab, espaces de coworking…) où se réunissent des
personnes de toutes générations qui viennent collaborer, co-construire… et donc
rebâtir de l’activité ensemble. « Ces lieux démontrent une formidable
volonté des citoyens de reprendre leur destin en main » s’est-il
enthousiasmé.
Comment réduire cette fracture territoriale et favoriser
l’entrepreneuriat partout en France ?
« Je pense que le numérique est un facteur clé » a
expliqué le secrétaire d’État auprès du ministre de la Cohésion des
territoires. En effet, l’un des principaux « fléaux » pour une
entreprise, une fois qu’elle est créée et lancée, ce sont les délais de
paiement. Or, le numérique « est un véritable facteur pour accélérer le
paiement des factures, et diminuer ces délais ». Le numérique
représente donc un avantage concurrentiel et de compétitivité absolue. C’est
pourquoi, le gouvernement s’est donné pour objectif l’accessibilité du très
haut débit, à tous, partout sur le territoire, en 2020.
Son ministère va également lancer un appel à projets d’ici la fin de
l’année, pour faire émerger de nouveaux « tiers lieux » très
structurés à l’échelle territoriale, pour créer une dynamique entrepreneuriale
à l’échelle de l’Hexagone.
Maria-Angélica
Bailly