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TPE-PME : évolutions et bonnes pratiques face aux risques numériques

TPE-PME : évolutions et bonnes pratiques face aux risques numériques
Publié le 25/04/2024 à 16:00

Alors que les vols de données sensibles, la désinformation et le phishing pullulent sur internet, retour sur l’approche juridique du numérique par les risques mais aussi sur les bonnes pratiques à adopter, pour se prémunir des cyberattaques qui menacent les entreprises.

« Le droit positif change très vite en droit numérique », affirme Arnaud Latil, maître de conférences en droit privé et auteur de l’essai Le droit du numérique, une approche par les risques. Le 18 avril dernier, il a animé une conférence sur ce thème organisée par l’Université Catholique de l’Ouest, à Nantes. Le professeur précise qu’au niveau européen, une multitude de textes encadrant le numérique existent : le Digital Markets Act (régulant le marché numérique), le Digital Services Act (régulant les contenus illicites et obligeant les grandes plateformes numériques à être transparentes), le Digital Operational Resilience Act (obligeant une résilience opérationnelle des systèmes numériques financiers) ou encore le Data Act (instaurant des règles équitables pour l’accès et l’utilisation des données sur internet).

Le droit numérique, un jeu d’équilibriste

Arnaud Latil rappelle que le droit du numérique se rattache d’abord au droit commun des risques. Avec le boom industriel au début du XIXème siècle, les politiques publiques se soucient peu à peu des risques technologiques associés. Dès les années 1970, des réglementations du risque font leur apparition, telles que la classification Seveso, définissant les sites industriels dangereux et à risque élevé.

Mais comment définir le risque ? Pour le conférencier, il s’agit d’une corrélation entre la probabilité qu’un événement dommageable survienne et la gravité de ses conséquences. Et quels sont les outils juridiques à mettre en place pour monitorer ce contexte ? Les politiques ont instauré des outils de régulation propres aux risques, estime Arnaud Latil, tels que le principe de proportionnalité. L’idée repose sur le sacrifice d’un droit prévu, au profit d’un autre droit. L’intervenant précise : « on demande alors aux organisations de faire de la proportionnalité car si leur activité génère des risques, on zappera ces risques si les avantages sont plus importants », que lesdits risques.

De ce fait, le maître de conférences précise que les législations permettent de définir ce qui est acceptable ou non, en matière de risques. « Quelle place pour le principe de précaution ? », demande une personne présente dans la salle. Réponse : « ce terme est tombé en désuétude, on ne parle plus de principe de précaution (si c’est dangereux, on ne fait pas), mais d’approche par les risques ». Les Français se réfèrent au clivage politique historique au sein duquel se sont longtemps opposées la gauche, défendant le principe de précaution, et la droite, défendant l’innovation. Pour Arnaud Latil, l’approche par les risques intègre autant l’une que l’autre et permet de « sortir de cette dichotomie précaution/innovation » avec une approche par les risques qui « est une approche plus libérale du principe de précaution ».

Quelques réglementations en vigueur

Le professeur propose un rapide état des lieux des politiques publiques régissant l’approche juridique du numérique par les risques. Selon lui, ces textes obéissent à trois mouvements. Tout d’abord, la répression, en interdisant purement et simplement certains comportements dommageables et en sanctionnant leurs auteurs. Ainsi, le droit pénal est, selon lui, « un outil historique de gestion des risques, avec des sanctions ex-post, sans interdire en amont ». Ainsi, la loi Godfrain, ratifiée en 1988, réprime les attaques de données et les piratages informatiques.

Deuxième méthode des politiques publiques prenant en compte le risque numérique : la responsabilisation. Pour Arnaud Latil, le législateur se positionne « sur l’anticipation, la prévention, pour que les personnes qui s’adonnent à des activités se prémunissent des risques » qui y sont associés. Ainsi, l’outil phare de cette approche réside dans l’analyse des risques et leur cartographie par les acteurs en question. Ces derniers ont pour obligation de produire des rapports indiquant le degré de risques que comportent leurs activités, conformément à la RGPD (le Règlement Général sur la Protection des Données), au Data Act ou encore l’Ia Act.

Troisième mouvement des politiques publiques du risque numérique : la résilience. Une fois le risque advenu, il faut « se remettre en marche et se relever », développe Arnaud Latil. « Les organisations doivent être résilientes », après une cyberattaque, comme le prévoit la loi adoptée en mars dernier, au Parlement européen, « sur la cyber-résilience ». Ce texte vise à « garantir que les produits dotés de fonctionnalités numériques soient sécurisés à l'usage, résilients face aux cybermenaces et fournissent suffisamment d'informations sur leurs propriétés de sécurité ».

52% des PME victimes d’une cyberattaque

Selon une étude menée en 2022 par le cabinet de conseil économique Asterès, les cyberattaques réussies (telles que l’hameçonnage ou le rançongiciel) ont coûté 2 milliards d’euros aux organisations françaises, avec des pertes de production à hauteur de 252 millions d’euros. Parce qu’elles sont nombreuses en France, les principales victimes de ce type d’attaques sont les entreprises et surtout les PME. Toujours selon le rapport d’Asterès, 52% des petites et moyennes entreprises ont été la cible au moins une fois d’une cyberattaque réussie au cours des douze derniers mois. Pourtant, seulement 32% des PME ont souscrit à une assurance de cybersécurité, selon un sondage IFOP, réalisé en 2022. Autre chiffre notable : seulement 42% des TPE/PME réalisent une sauvegarde régulière de leurs données, selon une étude de l’Afnic (l’Association française pour le nommage Internet en coopération), réalisée en 2022.

Pour rappel, conformément à la directive européenne NIS2 (Network and Information Security), adoptée en janvier 2023, de nombreuses entreprises (des PME aux entreprises du CAC 40) auront l’obligation de renforcer leurs moyens de cybersécurité internes. La directive devra être transposée en droit français avant septembre 2024. En attendant ce renforcement législatif national, les guides de bonnes pratiques à destination des entreprises sont nombreux à être publiés. Citons celui de l’Institut Montaigne, mais aussi celui de l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information), et celui de l’AMRAE (l’Association pour le Management des Risques et des Assurances de l’Entreprise), rédigé en partenariat avec l’ANSSI.

Que faire pour prévenir les risques numériques ?

Le rapport de l’AMRAE conseille aux organisations la création d’un comité des risques numériques, « dédié et adapté aux réalités de l’organisation ». Son rôle est de définir une stratégie de sécurité numérique et de s’assurer de sa mise en œuvre. Pour cela, le comité a à sa charge la rédaction et la mise à jour régulière d’une Politique de sécurité des Systèmes d’Information (PSSI), définissant les investissements nécessaires à une meilleure cybersécurité. Le comité doit également prévoir ses « pires scénarios de risques », tout en proposant des réponses efficaces à adopter dans chaque cas de figure. Il doit aussi identifier le cadre légal et réglementaire, national et international, régissant les activités numériques de l’organisation. Par exemple, l’État peut lui attribuer le statut particulier d’opérateur d’importance vitale (OIV), reconnaissant ses activités « d’indispensables au bon fonctionnement et à la survie de la Nation ».

Le rapport de l’AMRAE préconise de « placer l’humain au centre de la politique de sécurité numérique ». Ainsi, en incluant les collaborateurs dans les plans de sécurité prévus par la PSSI, ces derniers assureront « une participation active à la sécurité numérique de l’organisation, suivie de résultats rapides et significatifs, pour un coût raisonnable ». Dans cette optique, le rapport recommande la mise en œuvre d’actions de sensibilisation des équipes et la conduite d’exercices réalistes de cyberattaques. Des mises en situation organisées à intervalles réguliers, afin de « développer une véritable culture de la sécurité numérique, de telle sorte que les membres de l’organisation, appuyés de procédures de sécurité, parviennent à déjouer les pièges les plus courants ».

Enfin, il est aussi possible de souscrire à une assurance de cybersécurité, aidant ainsi l’organisation « à gérer la crise et revenir au plus vite à une situation normale ». L’assurance met à disposition de nombreuses ressources telles qu’une aide d’experts cyber, d’experts systèmes, de conseillers juridiques et de conseillers en communication de crise, dans le but de préserver l’image de l’organisation. Autre avantage d’une telle souscription : amortir le choc financier de la cyber-attaque - notamment lié à l’arrêt de l’activité - et faire face aux frais engendrés pour compenser les dommages causés à des tiers. Un point essentiel, puisque ce dédommagement permet de préserver la crédibilité de l’organisation vis-à-vis de ses fournisseurs, de ses partenaires ou de ses clients.

La cybersécurité, un avantage compétitif à ne pas sous-évaluer

Le rapport de l’AMRAE rappelle également que « les parties prenantes, poussées par la transformation numérique, attendent de l’organisation qu’elle aille au-delà de la simple gestion du risque numérique et qu’elle se positionne véritablement comme un tiers de confiance numérique ». Ainsi, une organisation qui valorise ses investissements en matière de sécurité numérique a de fortes chances de « les transformer en avantages concurrentiels avec un apport de valeurs », telles que la confiance, la proactivité et l’optimisation d’investissements.

Cette valorisation de la cybersécurité assurée par l’organisation opère comme une garantie pour « générer de la croissance et saisir des opportunités de développement auprès de ses investisseurs et partenaires » mais aussi pour « accéder a` de nouveaux marchés (notamment sensibles) en se positionnant comme opérateur de confiance ». Sans oublier que les agences de notation prennent de plus en plus en compte le niveau de cybersécurité et de sa valorisation au sein des organisations. De quoi prendre la cybersécurité de son entreprise (très) au sérieux.

Inès Guiza

 

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