Ghizlane Loukili, docteure en droit du numérique, se penche dans cette
tribune sur les conséquence du développement d’un métavers au service de l’État
et des communautés territoriales. Elle estime que les répercussions peuvent
être positives si les moyens sont mis pour assurer un numérique efficace et
sécurisé.
L’idée d’un univers
virtuel n’est pas si nouvelle.
Jean Claude
Heudin, scientifique français, retrace la chronologie des premiers
environnements virtuels d’« Habitat » – jeu vidéo conçu en 1985 pour Lucas Film
Game, au sein duquel les utilisateurs arpentent la ville du nom de Populopolis à
travers un avatar – en passant par WebWorld, créé en 1995, renommé Alpha World
puis Active Worlds, et considéré comme le plus ancien monde virtuel «
collaboratif » ; jusqu’au désormais célèbre Second Life qui, trois
ans après sa sortie, défraya la chronique entre 2005 et 2007, notamment par l’implantation
dans ce monde virtuel de plusieurs grandes entreprises et de publicitaires. Son
succès s’explique aussi par le nombre de comptes créés : en 2006, il s’élevait
à deux millions. D’après les concepteurs, le jeu s’inspire du métavers décrit
dans le roman de science-fiction Le Samouraï virtuel (Snow Crash) de
Neal Stephenson sorti en 1992. C’est de ce roman qu’est issu le terme métavers.
Reste à
souligner l’impact du film Matrix. Véritable séisme dans le monde du cinéma, il
a permis d’attirer un grand nombre de spectateurs vers ce qui peut être
qualifié aujourd’hui d’initiation à des mondes parallèles. Ainsi, cette
simulation numérique est inconsciemment installée dans le subconscient des
amateurs d’épopées technologiques futuristes. Y prendre part n’est donc qu’à un
pas. En effet, suivre le lapin blanc est un exercice familier pour toute une
génération.
Le métavers
est un monde virtuel connecté au réel
Ainsi, si se
mouvoir dans le métavers revient à être ensemble tout seul, dans un monde à
explorer à travers son avatar, il s’agit aussi d’une expérience immersive en 3D
et en temps réel. Nous sommes donc en présence d’un monde virtuel, certes, mais
à la particularité d’être connecté au réel. Les utilisateurs, par
l’intermédiaire d’un casque de réalité virtuel, progressent et évoluent sous
forme d’un avatar. Le métavers met ainsi en relation les êtres humains par le
biais de leur « jumeau numérique ».

Voici le
profil d’une continuité disruptive de l’internet, qui comme ce dernier à ces
débuts, embrase la pensée des technophiles et surtout des technophobes. Les
perspectives d’avenir sont soulignées avec insistance par les uns, les menaces
et autres dangers consécutifs à toutes nouveautés technologiques glacent ses
détracteurs.
Créer un
métavers au service de l’État
Il n’est donc
pas totalement hors sol, compte tenu des développements supra,
d’imaginer un métavers aux services de l’État et des collectivités
territoriales, poursuivant des finalités prédéfinies pour servir des objectifs
qui s’inscrivent dans le développement de la stratégie numérique hexagonale déjà
entamée, à condition bien sûr que ce dernier remplisse un certain nombre
d’exigences.
En effet, quant
au succès certain de ce nouveau monde numérique, et des bienfaits certains sur
les collectivités territoriales, il faut mesure garder : l’histoire rappelle
que le déterminisme technologique n’existe pas et que seuls les usages futurs
détermineront la réalité sociale de ces univers. Il n’y a paradoxalement aucune
urgence à définir un droit du métavers dédié aux collectivités territoriales.
Force est de
constater que ce monde virtuel pousse le juriste à la sagacité en attendant
l’intervention du législateur. Cette affirmation est la plus souple à formuler
en l’espèce, tant la question de l’accueil de la notion par le droit est
porteuse d’une multitude de dimensions à traiter.
Interrogations
qui se polarisent le plus souvent autour des questionnements suivants : faut-il
des ajustements, une législation dédiée ou les deux ? C’est en ces termes que
se résume le futur mariage entre le métavers et les collectivités territoriales
dont les enjeux sont importants.
Le métavers
pour faciliter le contact entre les collectivités et les citoyens
On pourrait
sans peine imaginer un monde ou les agents publics proposeront des rendez-vous
sous forme d’avatars et un service d’état civil sera accessible à
distance : cette expérience pourrait également permettre d’apporter des
services aux personnes socialement vulnérables, mais aussi, aux personnes en
situation de handicap utilisant la réalité virtuelle. Cela reviendrait à mettre
en place une politique visant à
fournir un service public pour surmonter les restrictions dans le monde réel.
Le métavers deviendrait alors une étape supplémentaire du
développement du numérique dans nos administrations et collectivités afin de se
moderniser et de simplifier ses processus, mais aussi pour faciliter le contact
avec les citoyens et proposer de nouveaux services. À condition, évidemment, de
traiter les petites communes de campagne et des villes comme Paris, Lyon ou
Marseille de manière égalitaire dans le déploiement de ce métavers. Sans
compter la prise en compte des divers enjeux comme la cybersécurité notamment,
ou encore la législation sur la protection
des données personnelles. Même si des transformations sont à dénombrer et que les
différents acteurs se mobilisent, il reste encore beaucoup à faire pour
améliorer tout cela.
Mettre les moyens pour se doter d’un outil efficace et
sécurisé
Le numérique se développe dans les collectivités, mais il y a
des manques. Les collectivités n’ont pas toujours les compétences, les
connaissances ni même les moyens pour assurer un numérique efficace et
sécurisé. Les cyberattaques sont légions, malgré l’implication du gouvernement
avec l’ANSSI. La
sécurité des données est un enjeu majeur de la souveraineté
numérique.
Il apparait important de souligner que la naissance d’un
métavers souverain dans le cadre de l’action des collectivités territoriales
peut être une véritable avancée en particulier pour les raisons exposées supra.
Mais le métavers ne saurait être une autre forme de numérisation des rapports
entre usagers et collectivités territoriales, cette création devra donc tirer
profit des écueils de la digitalisation antérieure et apporter des réponses aux
problématiques existantes, afin de ne pas être une autre promesse brisée sur
l’autel du tout technologique.