SOCIÉTÉ

TRIBUNE. Métavers et collectivités territoriales : entre potentialités et inefficacité prévisible

TRIBUNE. Métavers et collectivités territoriales : entre potentialités et inefficacité prévisible
Publié le 20/06/2023 à 11:13

Ghizlane Loukili, docteure en droit du numérique, se penche dans cette tribune sur les conséquence du développement d’un métavers au service de l’État et des communautés territoriales. Elle estime que les répercussions peuvent être positives si les moyens sont mis pour assurer un numérique efficace et sécurisé.


L’idée d’un univers virtuel n’est pas si nouvelle.

 

Jean Claude Heudin, scientifique français, retrace la chronologie des premiers environnements virtuels d’« Habitat » – jeu vidéo conçu en 1985 pour Lucas Film Game, au sein duquel les utilisateurs arpentent la ville du nom de Populopolis à travers un avatar – en passant par WebWorld, créé en 1995, renommé Alpha World puis Active Worlds, et considéré comme le plus ancien monde virtuel « collaboratif » ; jusqu’au désormais célèbre Second Life qui, trois ans après sa sortie, défraya la chronique entre 2005 et 2007, notamment par l’implantation dans ce monde virtuel de plusieurs grandes entreprises et de publicitaires. Son succès s’explique aussi par le nombre de comptes créés : en 2006, il s’élevait à deux millions. D’après les concepteurs, le jeu s’inspire du métavers décrit dans le roman de science-fiction Le Samouraï virtuel (Snow Crash) de Neal Stephenson sorti en 1992. C’est de ce roman qu’est issu le terme métavers.

 

Reste à souligner l’impact du film Matrix. Véritable séisme dans le monde du cinéma, il a permis d’attirer un grand nombre de spectateurs vers ce qui peut être qualifié aujourd’hui d’initiation à des mondes parallèles. Ainsi, cette simulation numérique est inconsciemment installée dans le subconscient des amateurs d’épopées technologiques futuristes. Y prendre part n’est donc qu’à un pas. En effet, suivre le lapin blanc est un exercice familier pour toute une génération.

 

Le métavers est un monde virtuel connecté au réel

 

Ainsi, si se mouvoir dans le métavers revient à être ensemble tout seul, dans un monde à explorer à travers son avatar, il s’agit aussi d’une expérience immersive en 3D et en temps réel. Nous sommes donc en présence d’un monde virtuel, certes, mais à la particularité d’être connecté au réel. Les utilisateurs, par l’intermédiaire d’un casque de réalité virtuel, progressent et évoluent sous forme d’un avatar. Le métavers met ainsi en relation les êtres humains par le biais de leur « jumeau numérique ».


 

Voici le profil d’une continuité disruptive de l’internet, qui comme ce dernier à ces débuts, embrase la pensée des technophiles et surtout des technophobes. Les perspectives d’avenir sont soulignées avec insistance par les uns, les menaces et autres dangers consécutifs à toutes nouveautés technologiques glacent ses détracteurs.

 

Créer un métavers au service de l’État

 

Il n’est donc pas totalement hors sol, compte tenu des développements supra, d’imaginer un métavers aux services de l’État et des collectivités territoriales, poursuivant des finalités prédéfinies pour servir des objectifs qui s’inscrivent dans le développement de la stratégie numérique hexagonale déjà entamée, à condition bien sûr que ce dernier remplisse un certain nombre d’exigences.

 

En effet, quant au succès certain de ce nouveau monde numérique, et des bienfaits certains sur les collectivités territoriales, il faut mesure garder : l’histoire rappelle que le déterminisme technologique n’existe pas et que seuls les usages futurs détermineront la réalité sociale de ces univers. Il n’y a paradoxalement aucune urgence à définir un droit du métavers dédié aux collectivités territoriales.

Force est de constater que ce monde virtuel pousse le juriste à la sagacité en attendant l’intervention du législateur. Cette affirmation est la plus souple à formuler en l’espèce, tant la question de l’accueil de la notion par le droit est porteuse d’une multitude de dimensions à traiter.

 

Interrogations qui se polarisent le plus souvent autour des questionnements suivants : faut-il des ajustements, une législation dédiée ou les deux ? C’est en ces termes que se résume le futur mariage entre le métavers et les collectivités territoriales dont les enjeux sont importants.

 

Le métavers pour faciliter le contact entre les collectivités et les citoyens

 

On pourrait sans peine imaginer un monde ou les agents publics proposeront des rendez-vous sous forme d’avatars et un service d’état civil sera accessible à distance : cette expérience pourrait également permettre d’apporter des services aux personnes socialement vulnérables, mais aussi, aux personnes en situation de handicap utilisant la réalité virtuelle. Cela reviendrait à mettre en place une politique visant à fournir un service public pour surmonter les restrictions dans le monde réel.

 

Le métavers deviendrait alors une étape supplémentaire du développement du numérique dans nos administrations et collectivités afin de se moderniser et de simplifier ses processus, mais aussi pour faciliter le contact avec les citoyens et proposer de nouveaux services. À condition, évidemment, de traiter les petites communes de campagne et des villes comme Paris, Lyon ou Marseille de manière égalitaire dans le déploiement de ce métavers. Sans compter la prise en compte des divers enjeux comme la cybersécurité notamment, ou encore la législation sur la protection des données personnelles. Même si des transformations sont à dénombrer et que les différents acteurs se mobilisent, il reste encore beaucoup à faire pour améliorer tout cela.

 

Mettre les moyens pour se doter d’un outil efficace et sécurisé

 

Le numérique se développe dans les collectivités, mais il y a des manques. Les collectivités n’ont pas toujours les compétences, les connaissances ni même les moyens pour assurer un numérique efficace et sécurisé. Les cyberattaques sont légions, malgré l’implication du gouvernement avec l’ANSSI. La sécurité des données est un enjeu majeur de la souveraineté numérique.

 

Il apparait important de souligner que la naissance d’un métavers souverain dans le cadre de l’action des collectivités territoriales peut être une véritable avancée en particulier pour les raisons exposées supra. Mais le métavers ne saurait être une autre forme de numérisation des rapports entre usagers et collectivités territoriales, cette création devra donc tirer profit des écueils de la digitalisation antérieure et apporter des réponses aux problématiques existantes, afin de ne pas être une autre promesse brisée sur l’autel du tout technologique.

 

0 commentaire
Poster

Nos derniers articles