Les
notaires du Grand Paris ont organisé, le 29 octobre dernier, une
conférence web sur le thème du testament et de la succession. Un sujet qui
tombait à point nommé, à quelques jours de la fête de la Toussaint, lors de
laquelle un grand nombre de Français commémorent leurs défunts. Cette tradition
rappelle à certains que la vie peut soudainement s’arrêter et qu’il faut
anticiper et préparer sa succession. Quelles sont les mesures à prendre avant son
décès, et comment affronter celui de ses proches ? Réponse avec Maîtres
Guillaume Lefèvre et Constantin Delmas.
« Anticiper ! Anticiper !
Anticiper ! », tel est le leitmotiv des notaires, en particulier
en ce qui concerne sa succession.
En effet, pour Maître Constantin Delmas, notaire
à Boulogne-Billancourt, si le droit répond à un certain nombre de situations
générales, la réalité est un peu plus compliquée. Divorces, familles
recomposées, allongement de la durée de vie, tous ces phénomènes complexifient
le règlement des successions. Par conséquent, pour qu’après son décès les
choses se passent le plus rapidement possible, il faut avoir envisagé toutes
les solutions de son vivant. Les notaires invitent leurs clients à réfléchir
sur des sujets comme la donation, la donation-partage, le testament pour
protéger son conjoint survivant, ainsi que sur l’aspect fiscal de sa
succession. Anticiper en allant voir, dès à présent, son notaire, permettra
ensuite de ne pas être contraint par le droit successoral strict.
CONFINEMENT ET ÉTUDES NOTARIALES
Il reste que nous sommes en plein confinement.
La période que nous vivons n’est-elle pas un obstacle pour que les notaires
puissent appliquer leur service d’officiers ministériels au mieux des intérêts
des justiciables ?
Maître Guillaume Lefèvre, notaire dans le 7e
arrondissement de Paris, reste confiant : « nous sommes une
profession très portée sur le numérique, le confinement ne devrait pas poser
trop de difficultés ».
Les notaires ne peuvent cependant pas rencontrer
leurs clients. La question se pose donc de la signature des actes authentiques
préparés en amont du confinement. En outre, lors de la préparation des actes,
la profession est tributaire d’un certain nombre de partenaires comme les
banques, les syndics ou autres. Or, ces derniers ne disposent pas toujours des
mêmes outils informatiques que les notaires, ce qui peut aboutir à des
décalages dans la réalisation des opérations, pointe Maître Lefèvre.
Il est vrai, néanmoins, que la signature des
actes peut, dans la plupart des cas, être réalisée et conclue via des
procurations. Une personne qui ne veut pas se déplacer à l’étude peut ainsi
donner procuration au notaire pour la vente d’un bien par exemple. Mais comme
le rappelle Maître Guillaume Lefèvre, « cette responsabilité ne peut
pas lui être [au notaire] imposée ».
Quoi qu’il en soit, dans un certain nombre de
cas, les procurations doivent être établies sous forme authentique.
Autre solution : lors du premier
confinement, la Chancellerie avait permis à la profession de conclure certains
actes authentiques à distance. Maître Lefèvre en est certain : « nous
aurons sans doute le droit de le faire pour ce deuxième confinement ».
(Ndlr : l’actualité lui a donné raison, puisque,
le 30?octobre, le gouvernement a décidé
que les services publics, y compris les services notariaux, pourront rester
ouverts pendant le confinement. De plus, comme au mois de mars-avril, la
signature à distance des actes authentiques a été de nouveau autorisée. Le
ministère a aussi prévu que si une signature à distance était impossible, le
client pouvait venir signer l’acte sur place dans l'office notarial).
Les actes en cours dans les offices notariaux
peuvent donc être signés pendant le confinement.
Maître Lefèvre insiste cependant. Concernant la
procuration, « il ne s’agit pas d’un blanc-seing qui est donné au
notaire ». Les professionnels du droit font toujours approuver, au
préalable, un projet d’acte à leur client. « On ne peut prendre aucune
décision à leur place, c’est le minimum » assure-t-il.
DES QUESTIONS VARIÉES ET PERTINENTES
Plus de 600?justiciables (un record, selon les
organisateurs de l’évènement) étant connectés lors de cette e-conférence, nous
revenons ici sur certaines questions posées par les participants.
« Faut-il faire une donation sur des
biens en location ou sur sa résidence principale ? » s’interroge
un internaute.
Pour Maître Constantin Delmas, la réponse est
claire. Donner, c’est se déposséder. C’est pourquoi il vaut mieux donner sur
« un accessoire » que sur le bien principal, on conserve ainsi
la maîtrise de sa résidence principale. Maître Guillaume Lefèvre approuve. Même
s’il n’y a pas de règles, c’est mieux de conserver « un maximum de
liberté et de sécurité ».
Une question est posée par une autre
participante dont les parents âgés possèdent une maison. Ces derniers ont
11 enfants et veulent léguer leur bien à un seul enfant avec l’accord des
dix autres. Quelles sont les démarches à effectuer ?
Si la demeure constitue l’essentiel de leur
patrimoine, va se poser la question du respect de la réserve des dix autres
héritiers, expliquent les notaires. Le moment venu, soit les dix autres
consentent à l’exécution pure et simple du testament de leurs parents et
renoncent à une « indemnité de réduction », soit ils ne le
font pas. En tout cas, « il n’y a pas de garantie que la volonté des
parents testateurs soit respectée » affirment-ils.
Une femme, soucieuse de l’avenir de ses enfants,
se demande comment transmettre son patrimoine à ses enfants après 60 ans,
éventuellement en l’optimisant le plus possible.
Pour Maître Guillaume Lefèvre, après 60?ans, il
ne faut pas négliger la solution des assurances-vie, car même si la mère
souscrit un contrat d’assurance-vie maintenant, et verse de l’argent avant ses
70 ans, il y a déjà 152 500 euros d’abattement, par
bénéficiaire, qui pourront s’appliquer. Ces derniers se cumulent à l’abattement
supplémentaire de 100 000 euros par parent et par enfant.
Si la personne possède des biens immobiliers,
elle doit envisager de faire des donations, de préférence en nue-propriété afin
d’en garder l’usufruit. La valeur de l’usufruit n’est en outre pas taxée au
moment de la donation. « Avant 61 ans, la valeur de la
nue-propriété est de 50 %, cela vaut le coup de s’y prendre en avance,
sachant que plus on vieillit, moins c’est avantageux » conseille
Maître Lefèvre.
« Il existe tout un ensemble de
solutions sachant que cela dépend de la nature des biens, de leur valeur, des
choix de vie des uns et des autres… en tout cas fiscalement, plus on s’y prend
tôt, moins ça coûte cher », a-t-il précisé.
Un jeune homme, bénéficiaire d’une assurance-vie
souscrite par sa grand-mère, s’interroge : « quel est l’abattement
sur cette assurance-vie ? »
Concernant l’assurance-vie, deux grands
paramètres sont à prendre en compte, expliquent les notaires.
D’abord, la date à laquelle le contrat
d’assurance-vie a été souscrit. Il y a dix ans en effet, l’assurance-vie
n’était pas soumise à la fiscalité, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Sans
compter les différentes réformes que ce contrat a subi. Une fois le contrat
souscrit, on peut verser ou retirer de l’argent sur le compte d’assurance-vie
(qui est en fait un placement) pendant toute la vie du contrat.
Il faut donc vérifier, deuxièmement, si la
grand-mère a versé de l’argent avant ou après ses 70 ans. En effet, selon
le cas, des régimes juridiques spécifiques s’appliquent, et, selon la date de
souscription du contrat, ils s’appliquent différemment.
Bref, pour savoir quel est le taux d’abattement
de son assurance-vie, il faut scruter le contrat dans ses moindres détails.
Autre question posée par un
justiciable : si un enfant refuse la succession, est-ce que c’est sa descendance
qui héritera ? Qui va payer les droits de succession ?
« Si un des héritiers direct refuse la
succession, ses enfants vont prendre sa place, et donc acquitter le même impôt
que l’auteur renonçant » assure Maître Constantin Delmas.
Un jeune homme s’enquiert sur ses droits de
succession à payer. Son père est décédé au Maroc et a toujours vécu là-bas.
Résidant en France depuis neuf ans, et bénéficiant de la double
nationalité, l’héritier se demande dans quel pays il devra payer les droits de
succession.
Pour Maître Delmas, il s’agit d’une situation
qui fait intervenir le droit civil et le droit fiscal. Lors d’une succession,
la loi civile détermine qui peut prétendre à l’héritage et dans quelle mesure.
S’agissant d’un marocain qui a toujours vécu au Maroc, c’est la loi marocaine
qui s’appliquera. En revanche, s’agissant de la fiscalité, le Code général des
impôts (CGI) prévoit que les droits de succession peuvent être dus en France
si : le défunt avait son domicile fiscal en France, si c’est le cas d’un
de ses héritiers, ou s’il possédait des biens dans l’Hexagone. Dans ce cas,
puisqu’un des héritiers est domicilié fiscal en France, il y aura des impôts à
payer en France. Ceux-ci ne porteront que sur la part de celui qui habite en
France et sous réserve de ce que prévoit une convention internationale, ont
précisé les notaires. Tout cela va également dépendre de la nature des biens,
le but étant, bien entendu, de limiter la double imposition dans les deux pays.
« Le bénéficiaire aura en tout cas une déclaration à faire en France »
indiquent les notaires.
Après le décès d’une personne, comment les
notaires établissent-ils la liste des biens issus d’une succession ?
Utilisent-ils des outils ou se basent-ils uniquement sur les déclarations qu’on
leur fournit ? se demande un internaute.
Il n’existe aucun fichier qui recense l’ensemble
des biens du défunt, les renseignements doivent être essentiellement
communiqués par les héritiers. Les notaires ont tout de même accès au Ficoba
(fichier national des comptes bancaires et assimilés), un fichier fiscal qui
répertorie tous les comptes possédés par le défunt. Les notaires peuvent aussi
consulter le Ficovie (fichier des contrats d’assurance-vie). « Attention
aussi aux aides sociales récupérables sur les successions qui peuvent être
oubliées [quand une personne a vécu longtemps dans un Ephad par
exemple] », précise Maître Constantin Delmas.
« Un généalogiste est-il obligatoire
dans une succession ? » se questionne un autre internaute.
« Non, il n’y a rien d’obligatoire »
affirme Maître Lefèvre. Le recours au généalogiste est nécessaire uniquement
quand il est impossible pour les notaires d’établir une dévolution,
c’est-à-dire de définir qui sont les héritiers.
Dans la plupart des cas, les notaires peuvent retrouver
ces derniers grâce aux livrets de famille, au conjoint, au jugement de divorce
(s’il y en a un), etc.
S’ils ont un doute, ils peuvent faire appel à un
généalogiste. Mais en général, ils y ont recours quand il n’y a pas d’héritier
proche en termes de degré et de lien du sang, et s’il n’existe pas de documents
civils pour retracer les liens de parenté.
Maître Constatin Delmas renchérit : « ce
qui est demandé aux notaires, c’est de ne pas mandater de généalogiste sans
avoir fait un minimum de recherches, sans avoir contacté un ou deux héritiers
qui vont le mettre sur la piste d’autres héritiers ».
Le recours au généalogiste est parfois
indispensable – au moins pour certifier une descendance ou une parenté – quand
la famille est éparpillée, ou quand la personne décède sans enfant, a-t-il
souligné.
Un jeune couple s’interroge : existe-t-il
une pension de réversion pour les couples pacsés, comme pour les couples
mariés ?
Non, il n’y a pas de réversion, affirme Maître
Constantin Delmas. Le PACS ne donne pas de droits particuliers en termes de
protection du conjoint survivant. Il faut donc accompagner son PACS de la
rédaction d’un testament. Mais celui-ci a des limites. Si les partenaires n’ont
pas d’enfants communs, ou pas d’enfant du tout, le testament s’effectuera sans
difficulté, mais s’il y a des enfants, la question de la réserve des enfants se
posera.
« Il n’y a aucun droit successoral
automatique pour les partenaires pacsés contrairement aux conjoints. Il faut
absolument penser à faire un testament si l’on meurt avant son conjoint, sinon,
celui-ci ne recevra rien. Quand on est pacsé, on n’est donc pas très bien
protégé contrairement à ce que l’on croit », précise Maître Lefèvre de
son côté.
Une future mariée interpelle à son tour les
notaires. Avant son mariage, celle-ci a acheté une maison en commun avec son
conjoint. Quelle en sera la conséquence sur le contrat de mariage ?
S’ils comptent se marier sous le régime de la
séparation de biens, cela ne changera rien pour eux, assure Maître Constantin
Delmas. S’ils ne font pas de contrat de mariage, les quotes-parts qu’ils auront
acquises avant le mariage leur demeureront propres. Toutefois, si divorce il y
a, lors du règlement de la liquidation de la communauté, puisque les revenus
des époux étaient en commun, « on s’apercevra que la communauté a
financé des remboursements d’emprunts et cela va générer des récompenses [NDLR :
ou indemnités]. Comptablement, on en tient compte au moment de la
liquidation du régime matrimonial » précise Maître Delmas.
Pour lui, la situation n’est pas insurmontable,
et les futurs époux peuvent en réalité adopter n’importe quel régime
matrimonial. Ils devront néanmoins faire preuve de rigueur dans la tenue de
leurs documents et de leurs comptes de manière à pouvoir les produire au moment
venu.
Au terme de la séance, par manque de temps, de
nombreux justiciables restent sans réponse. L’animateur de l’évènement les
incite fortement à consulter les notaires par téléphone via « Notaires
Infos » – un centre de renseignements téléphoniques des notaires de
France qui répond aux interrogations des particuliers sur des questions d’ordre
juridique – ou de se rendre sur le site des notaires du Grand Paris pour les
questions de succession, ou encore de télécharger la carte des prix de
l’immobilier du Grand Paris mise à jour chaque mois pour des questions de droit
immobilier.
Tout cela ne dispense évidemment pas de se
rendre chez un notaire, en particulier si on veut des réponses sur mesure. Rendez-vous
dans les études !
Maria-Angélica Bailly