Vincent Aubelle est professeur de droit
public et psychanalyste. Dans son nouvel ouvrage, La loi sur le divan, il interroge notre usage de la loi. Il
dénonce la « boulimie législative » dans notre
société, qui consiste à créer une nouvelle loi dès qu’un nouveau problème agite
l’opinion publique. Névrose obsessionnelle, paranoïa… il y traduit les termes
psychanalytiques dans le domaine juridique et propose de dépasser ces pathologies
en redonnant à la loi une force prescriptive.
Comment vous est venue l’idée de cet essai ? En quoi les
fondements de la psychanalyse peuvent-ils nous aider à dépasser les pathologies
que vous citez ?
Cet essai est l’une des intersections d’un parcours,
celui de professeur de droit et de psychanalyste. Ces deux champs
disciplinaires présentent la particularité d’avoir un vocabulaire commun :
celui de la règle et ses interdits, celui d’un dedans et d’un dehors. Or, au vu
de l’évolution du droit – rappelons que le stock de lois existant avoisine le
chiffre de 100 000 – il était intéressant de s’interroger sur cette
inflation législative. Gardons en mémoire que la loi n’est pas le mal :
elle ne fait que le codifier. Par ailleurs, mon engagement quotidien depuis
près de 20 ans dans une fonction de conseil auprès des élus locaux n’a pas
été sans lien avec ce projet ; comprendre le manque d’audace et d’envie
dont ils font parfois preuve n’est pas sans entretenir de lien avec certaines
névroses.
Vous y révélez un paradoxe : alors que nous critiquons
l’ampleur de l’ « inflation législative », nous
souhaitons cependant que chaque problème soit solutionné par des lois. Comment
l’expliquez-vous ?
Nous entretenons effectivement avec la loi un rapport
paradoxal, celui de la brocarder tout en ne cessant de solliciter le
législateur. En prenant un exemple issu de l’actualité la plus récente, et même
s’il ne s’agit pas d’une loi mais d’un décret, prenons le droit promis aux
trottinettes électriques. Celui-ci illustre à l’envie cette tension entre
l’absolu du désir de liberté individuelle, et la nécessité de poser des règles
lorsque le sujet, pétri de sa seule jouissance, en vient à ignorer l’autre.
Pour autant, laisser croire que la seule magie du verbe – cette croyance
collective suivant laquelle le seul agencement des mots vaut résolution
fabriquera le réel – est une illusion. L’intensité de ce désir de lois n’est
pas autre chose que l’expression de nos pathologies collectives, de nos peurs,
de nos angoisses dans le rapport que nous entretenons avec l’autre. Or,
admettons que la mise en mots qu’effectue le législateur n’arrivera jamais à
embrasser la totalité du réel. Deux raisons distinctes y
contribuent : d’une part, le risque et le mal sont constitutifs de la
nature humaine. D’autre part, le réel va beaucoup plus vite que l’écriture de
la loi. Il est désormais temps d’admettre que l’obsession normative puisse
céder la place à la confiance, ou bien encore au désir : encore fallait-il
que la loi prenne place sur le divan.
Vous dites que cet ouvrage
est conçu comme une psychanalyse. Comment avez-vous appliqué une grille de
lecture psychanalytique à un tel sujet ?
La psychanalyse se fonde sur trois mouvements :
celui de la rencontre entre le psychanalyste et son patient, afin de fixer le
cadre de l’analyse ; le second terme, le plus long, celui de la cure qui
n’est autre que l’espace de la liberté de la parole – celle de pouvoir dire
n’importe quoi au sein de cet espace de liberté – qui ressemble, en reprenant le
constat de Freud, au travail d’un archéologue. Il faut chercher, explorer avec
patience ce qui fonde au sein de l’inconscient les blocages constitutifs des
tourments de l’âme. Enfin, la cure ne saurait être un procès sans fin. Il doit
y avoir une assomption du sujet, car, en faisant nôtre l’expression à laquelle
eut recours Jacques Lacan, « ce qu’on nous demande, il faut l’appeler
d’un mot simple, c’est le bonheur ». Sans prétendre atteindre le
bonheur législatif, la structure de l’ouvrage reprend cette construction
ternaire. Avec le souci de ne pas s’en tenir à la seule spéculation.
Sa fécondité est celle de dégager des perspectives
quant à l’écriture de la loi pour laquelle certains des éléments constitutifs
d’une psychanalyse sont porteurs d’avenir. Ainsi du silence où son
rétablissement est précisément ce qui permet de faire advenir la confiance.
Mais également de la durée de la cure qui, appliquée au droit exclut les
approches circonstancielles que la loi privilégie aujourd’hui trop souvent ou
comment sortir de ce mauvais goût qui consiste à faire des lois tout le temps,
des lois pour tout. Il faut désormais que le législateur apprenne à féconder
l’ennui. Enfin l’autorité, qui contrairement à la société que décrivait Boris
Vian dans Vercoquin et le plancton ne se réduit pas à celle d’un conseil
national de l’unification et dans l’irrépressible envie de faire des nœuds.
L’autorité consiste à fonder des principes et d’intervenir uniquement si
les individus n’arrivent pas à les mettre en œuvre. C’est à ce prix que la
majesté de la loi retrouvera toute l’autorité qui s’y rattache.
Propos recueillis par Constance Périn