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« Le barreau est au cœur de la société. Son rôle est nécessaire, notamment en période de crise et de pandémie » - Entretien avec Dominique Attias, nouvelle présidente de la Fédération des Barreaux d’Europe

« Le barreau est au cœur de la société. Son rôle est nécessaire, notamment en période de crise et de pandémie » - Entretien avec Dominique Attias, nouvelle présidente de la Fédération des Barreaux d’Europe
Publié le 04/05/2021 à 09:30
Le 19 mars dernier, lors de son assemblée générale, la Fédération des Barreaux d’Europe a élu la Première vice-présidente, Dominique Attias, présidente de la Fédération pour un mandat d’un an. Ancienne vice-bâtonnière du barreau de Paris, Dominique Attias a fait de la défense des droits des femmes et des enfants son combat. Désormais à la tête de la Fédération des Barreaux d’Europe, quelles orientations souhaitent-elles donner à son mandat ? Entretien.

 

 

Vous avez récemment été élue présidente de la Fédération des Barreaux d’Europe. Sur quelles priorités souhaiteriez-vous construire votre mandat ?

Ma priorité absolue portera sur le maintien des liens avec les 250 barreaux qui composent la Fédération des Barreaux d’Europe (FBE). En période de crise, il est nécessaire voire primordial d’entretenir ce lien.

Si la situation sanitaire nous le permet, et après plusieurs reports successifs, nous devrions nous réunir à l’occasion de notre Congrès annuel, le 27 septembre prochain, à la Maison du barreau, à Paris. Si la situation ne nous le permet pas, le congrès sera malheureusement annulé. En effet, même si le numérique a permis de maintenir la tenue de bon nombre de manifestations, nous en avons tous marre des événements en visioconférence. On a envie de se rencontrer. La Fédération, c’est comme une grande famille ! Ce n’est pas un instrument politique, c’est un outil de rencontres, de réflexions et d’échanges.

Je souhaite également travailler sur des sujets transversaux, qui intéressent les barreaux. La FBE est et continuera à être présente sur tous les sujets qui intéressent tant l’État de droit que la profession, que ce soit la protection des confrères et des libertés fondamentales, l’accès au droit pour tous, l’égalité, les nouveaux modes de résolution des conflits, les nouvelles technologies à disposition de l’avocat du XXIe siècle, et ce, grâce à nos commissions. Le barreau est au coeur de la société. Son rôle est nécessaire, notamment en période de crise et de pandémie.

Vous connaissez aussi mon engagement pour la défense des droits des enfants. Durant mon mandat, va être créée une Commission ad hoc sur le traitement des mineurs non accompagnés dans l’espace du Conseil de l’Europe, qui sera composée d’experts de nos barreaux.

J’envisage également de mener un recensement des bonnes pratiques dans les barreaux. Il est utile de partager ce qui fonctionne, pour en faire profiter le plus grand nombre.

J’aimerais enfin pouvoir travailler en faveur de la Déclaration universelle pour des droits de l'Humanité, portée par Corinne Lepage. L’investissement des barreaux, tant auprès de leurs membres qu’auprès de la société, est primordial.

 

 

Que retenez-vous de la mandature de votre prédécesseure, Silvia Giménez-Salinas ?

Silvia Giménez-Salinas a mené un mandat formidable. On a tous travaillé de concert avec elle, afin de rester proches des barreaux membres, notamment en cette période de crise. À ce titre, ont été organisés plusieurs webinaires, dans le but de répondre aux problématiques actuelles des barreaux.

Durant sa mandature, Silvia Giménez-Salinas a également soutenu les avocats turcs, et j’entends prolonger son action. En Turquie, la situation politique est catastrophique. Avec la « complicité »
de l’équivalent du CNB en Turquie, le président Erdogan a fait modifier les modes de scrutins des barreaux turcs, en mettant les plus gros barreaux et les plus petits au même niveau, et ce afin d’affaiblir la parole des barreaux les plus importants, qui sont aussi les plus contestataires, à l’image de ceux d’Istanbul et d’Ankara. L’objectif est de réduire à néant l’indépendance des barreaux. À mon sens, c’est une déclaration de guerre ! La Fédération a récemment reçu un représentant du barreau d’Istanbul, barreau membre de la FBE, pour lui témoigner son soutien. Avec le barreau de Paris, le CNB, l’OIAD et de nombreuses organisations internationales d’avocats et Défense sans Frontière, nous continuerons ce combat pour l’État de droit, en nous rendant systématiquement en Turquie, à tour de rôle, pour assister à tous les procès de nos confrères. La Fédération sera toujours présente aux côtés des barreaux membres et des avocats trucs.

 

 

« La Fédération poursuit son action, c’est-à-dire fédérer les petits
et grands barreaux, mais aussi tous les avocats, quel que soit leur mode d’exercice. »

 

 

 

Quel regard portez-vous sur la justice et la défense des droits, à l’échelle européenne ?

La situation actuelle est inquiétante. Avec la pandémie, nous assistons, dans tous les États, à la restriction des droits fondamentaux et la profusion de lois liberticides. La justice n’entend plus les justiciables. À l’heure de la crise sanitaire, la tentation de dématérialiser tous les procès est forte. En réaction, les justiciables n’ont plus accès à la justice en direct. Sans parler de la problématique liée aux budgets consacrés à la justice pour faire face à cette pandémie...

Je pense aussi à ce qui se passe actuellement en Pologne. Les réformes judiciaires du pays constituent une violation de l'État de droit très grave. Il faut rester vigilant et dénoncer ces violations.

 

 

Quels impacts la pandémie de coronavirus a-t-elle eu sur la justice en Europe ? Et quels seraient, selon vous, les enseignements à en tirer ?

J’aurai envie de dire « L’union fait la force ! »  À l’heure actuelle, il me paraît en effet primordial de conserver le lien avec les barreaux, avec la profession, laquelle est en difficulté. Nous ne connaissons pas encore tous les impacts que cette pandémie aura sur les conditions de la justice et sur les barreaux, mais nos droits sont en danger. Dans ce contexte, mes confrères continuent à assister les plus vulnérables, la défense chevillée au corps. La jeunesse, dans l’espace européen aspire à un État de droit et à la justice. La profession d’avocat continue à attirer les jeunes générations. Ce ne sont pas les candidats avocats qui manquent !

La Fédération poursuit, elle aussi, son action, c’est-à-dire fédérer les petits et grands barreaux, mais aussi tous les avocats, quel que soit leur mode d’exercice. La présidence de la Fédération illustre bien cette diversité. À titre d’exemple, je travaillais auparavant en droit des affaires, et défends aujourd’hui les droits des plus vulnérables. Le prochain président de la Fédération, Bas Martens (ancien bâtonnier de La Haye), est un avocat d’affaires spécialisé dans la lutte contre le blanchiment d’argent et la protection de notre secret professionnel ; et la 2e vice-présidente Izabela Konopacka est une spécialiste des nouvelles technologies. Nous faisons partie du même corps, et nos différences font notre richesse. 

 

 

La défense et la protection des enfants sont votre combat. Quel regard portez-vous sur la réforme des mineurs qui devrait entrer en vigueur en France le 30 septembre prochain ?

La protection des enfants sera mon éternel combat. Je suis et reste très mobilisée. La justice des mineurs est selon moi la plus belle des justices. Les acteurs de justice dans ce domaine ont certes un rôle différent, mais se réunissent, dans tout l’espace du Conseil de l’Europe autour d’un objectif commun : faire en sorte que l’enfant s’en sorte.

J’ai déjà exprimé mon désaccord avec cette réforme, qui tend à rapprocher la justice des mineurs de celle des majeurs. Cette réforme ne va pas, selon moi, dans le bon sens. Si le gouvernement ne donne pas les moyens nécessaires à la justice des mineurs, nous allons droit dans le mur ! Je suis par exemple révoltée par la procédure d’audience unique, qui risque de se transformer en l’équivalent de la comparution immédiate des majeurs et entraîner une augmentation du taux d’incarcération. Il faut savoir que la France est le pays d’Europe qui incarcère le plus d’enfants et que 80 % de ces enfants en détention ne sont pas encore jugés. 

Il faut prendre en compte l’éducatif, la personnalité de l’enfant, et la continuité de son suivi. Personnellement, je continue à me battre contre le « détricotage » des liens de tous les partenaires de justice.

Mais maintenant que le Parlement a adopté la réforme, notre tâche est désormais de former nos confrères, avec l’aide de tous les bâtonniers de France.

L’École Nationale de la magistrature (ENM), sur proposition de sa directrice Nathalie Roret, et l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) vont mettre à disposition de tous les avocats de France, le 3 mai prochain, une formation sur le Code de justice pénale des mineurs (CJPM) en e-learning. Cette formation était initialement destinée aux seuls personnels de justice.

Dans le prolongement, le barreau de Paris, le CNB, la Conférence des bâtonniers, l’ENM et l’ENPJJ organisent, le 16 juin prochain dans l’Auditorium du barreau de Paris en visioconférence, pour 1 000 personnes, une grande journée consacrée aux aspects philosophiques et pratiques du Code de justice pénale des mineurs, accessible à celles et ceux qui auront suivi la formation en e-learning.

En raison de la pandémie, cette formation sera suivie pour la plupart en visioconférence.

Pour la première fois, elle sera accessible tant aux magistrats, avocats, éducateurs de la PJJ qu’aux assesseurs et greffiers.

 

 

À propos de la journée internationale des droits des femmes du 8 mars, quel commentaire souhaiteriez-vous apporter ?    

Cette journée a le mérite d’exister, mais les droits des femmes sont à mettre à l’honneur tous les jours ! Les choses bougent, c’est vrai, mais le pouvoir reste et demeure encore entre les mains des hommes. La situation est identique dans tous les pays du Conseil de l’Europe et dans tous les barreaux.

Je suis par exemple extrêmement étonnée de constater que la plupart des propositions de loi défendant les droits des femmes ou des enfants et les commissions ordinales s’y référant, sont aujourd’hui encore, à l’initiative des femmes.

La commission égalités de la FBE est présidée par une femme, Valence Borgia, épaulée par d’autres femmes.

Serait-ce que les hommes, y compris les avocats, se sentent peu concernés par ces sujets ?

Pourtant ils doivent aussi être acteurs de ces indispensables changements.

Le mouvement est assurément en marche et il ne s’arrêtera plus, y compris pour la conquête des postes de pouvoir, car c’est par là que les choses évolueront.

Les évolutions auront lieu également dans de prétendus détails, telle que la prolongation du congé paternité. C’est un sujet majeur.

Je me réjouis également de constater que Julie Couturier, élue à la tête du barreau de Paris, défend la féminisation du titre de la fonction, et souhaite se faire appeler bâtonnière ! C’est un symbole fort.

 

 

Le 24 janvier dernier s’est tenue la 11e journée de l’avocat en danger, avec un focus sur la lutte pour protéger les avocats azerbaïdjanais. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous avons souhaité mettre en lumière un pays qui n’est pas très connu, mais qui est confronté à de graves violations des droits de l’homme. Les avocats défenseurs des droits humains sont victimes de torture et de mauvais traitements, ils sont poursuivis pénalement et radiés injustement par des autorités, y compris de leur propre barreau. Il était important de dénoncer, à travers cette journée, ces atteintes aux droits fondamentaux.

Quand on touche à un avocat, on touche à tous les avocats. Quand un barreau a des difficultés, tous les barreaux se mobilisent.

 

 

Enfin, quels sont vos projets à venir ?

Après mon mandat à la présidence de la Fédération, j’entends me recentrer sur les droits des enfants, en Europe et en Afrique, ce continent d’avenir qui, à l’inverse de chez nous, où l’enfant est davantage considéré comme un fardeau, estime que la jeunesse est une richesse. En Afrique, en travaillant sur les droits des enfants, on fait évoluer le droit des femmes. En Europe, en faisant évoluer les droits des femmes, peut-être ferons-nous évoluer ceux des enfants ?

Les enfants sont l’avenir de toutes nos sociétés, mais ils n’ont pas les moyens de faire valoir leurs droits. Les avocats sont et seront toujours là pour se battre, pour porter leur parole et rendre leurs droits effectifs.

 

Propos recueillis par Constance Périn

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