Amélioration de l’impact environnemental,
augmentation de la productivité, reconfiguration de nos territoires… Le
télétravail peut être bénéfique à la fois pour l’entreprise et le salarié.
Guillaume Raverat, expert du travail à distance et cofondateur d’Organyze,
présente ses enjeux lors d’un webinaire organisé le 8 juin dernier par
l’éditeur de ressources humaines Eurécia.
« Le télétravail est le futur du travail. » C’est avec certitude que
Guillaume Raverat, cofondateur d’Organyze, prononce ces mots, dès les premières
minutes du webinaire organisé par Eurécia. « Il y a une grande
évolution du télétravail depuis quelques années et on a vu que c’était une
tendance de fond assez lente en France. On a donc décidé de participer à ce
mouvement pour accélérer le développement de cette culture et accélérer le
développement des organisations pour être performantes dans ce mode de travail »,
explique-t-il. Le spécialiste du travail à distance accompagne des
entreprises françaises et internationales dans le déploiement du télétravail
depuis 2019.
Déjà massivement étendue aux États-Unis, au Brésil ou
encore en Australie, cette pratique a explosé en France pendant le confinement.
Près de 39 % de la population française active a en effet eu recours au
télétravail depuis mars dernier. En France, la majorité des actifs n’avait
jamais eu l’occasion de travailler à distance avant la pandémie de coronavirus,
et se rendait sur son lieu de travail cinq jours par semaine.
Défini par le Code du travail comme « toute
forme d’organisation du travail, dans laquelle un travail qui aurait également
pu être exécuté dans les locaux de l’employeur », le télétravail « est
effectué par un salarié hors de ces locaux, de façon volontaire en utilisant
les technologies de l’information et de la communication ». Il doit
être ajusté « dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le
cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et
économique ».
L’article?précise
que la menace d’une épidémie, telle que la Covid-19, « est une
circonstance exceptionnelle permettant d’imposer le télétravail sans son
accord. Il s’agit alors d’un aménagement du poste de travail rendu nécessaire
pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la
protection des salariés. »
Afin d’aider les responsables
d’entreprises à développer le travail à distance, Organyze a réalisé un sondage
auprès d’eux en novembre 2019. Pour 26 % des sondés, la communication
demeure le principal défi à relever. 13 % estiment qu’il s’agit plutôt du
management, 13 % citent la confiance. « En France, le management
est un frein important et le changement de culture du manager est aussi lié à
la confiance dans l’entreprise... qui est un frein au développement de
l’organisation », déchiffre Guillaume Raverat. L’organisation
personnelle des salariés au sein de l’entreprise et les méthodes de travail
employées arrivent ex-aequo à la quatrième position des préoccupations, avec
12 % des résultats. « On a beaucoup trop parlé de l’organisation
personnelle pendant le confinement », estime-t-il, alors qu’il
s’agirait plutôt de mettre en place une organisation collective du travail. Les
méthodes, elles, « sont liées à plusieurs questionnements :
comment partage-t-on l’information, comment partage-t-on les tâches, comment
est-on créatifs à distance ? » Enfin, l’isolement apparaît
à la dernière place du classement (7 %).
« Savoir
gérer la communication synchrone et asynchrone »
Selon les résultats de l’enquête, la communication en
entreprise est donc le principal défi à relever. Communiquer, oui, mais
comment ? Si le télétravail implique naturellement des échanges par écrit,
le mail n’est pas forcément le moyen le plus pertinent, assure le cofondateur
d’Organyze. « Chercher l’information, quand elle n’est pas bien
stockée, [peut devenir] un problème important », souligne-t-il. Mieux
vaut utiliser « des outils qui permettent de mieux communiquer »
comme Slack ou encore Ryver, deux applications qui offrent la possibilité de
centraliser des informations en toute transparence.
Pour Guillaume Raverat, « l’un
des enjeux de l’organisation à distance est de bien gérer la communication
synchrone et asynchrone ». Essentielle mais parfois invasive, la
communication synchrone est caractérisée par des échanges directs et
instantanés. En présentiel, ceux-ci peuvent avoir lieu autour de la machine à
café, ou encore au sein-même de l’open-space. À distance, cette communication
se transpose en visioconférence.
Néanmoins, « beaucoup
d’entreprises passent trop de temps en visioconférence et ne bénéficient donc
pas de l’avantage de la distance, qui est la création de moments de
concentration », déplore Guillaume Raverat.
La communication asynchrone,
elle, correspond aux échanges différés, avec, par exemple, l’envoi de
mails.
« Le fait d’être
interrompu va créer une charge mentale. Toutes les activités ne nécessitent pas
que j’interrompe mon collègue. Je dois pouvoir lui poser des questions et
obtenir une réponse dans deux heures voire dans un jour. Il faut savoir gérer
les deux moments », souligne le
professionnel.
Et une bonne communication
suppose un bon management. Guillaume Raverat le confirme : « Le
management est un frein pour de nombreuses entreprises ». Déployé
soudainement au début du confinement, le télétravail a déstabilisé plusieurs
entreprises. Certains responsables ont parfois enchaîné les réunions au
détriment d’un fonctionnement pérenne. « Le manager peut avoir besoin
de contrôler, d’avoir de la visibilité, mais il faut réussir à donner une
certaine liberté d’action. Et pour donner cette liberté d’action, il y a
l’obligation d’organiser le travail d’équipe et de ne pas être dans
l’interruption des tâches quotidiennes », auquel cas le manager se
rendrait indispensable, avec la conséquence d’une absence d’autonomie de
l’équipe.
Faire le pont entre les salariés,
être à leur écoute ou encore percevoir les tensions... Le manager endosse aussi
le rôle d’un coach. Un rôle accru avec le télétravail.
Les bénéfices du télétravail
Mais le télétravail présente-t-il une réelle opportunité pour toutes et
tous ? La réponse est oui, affirme Guillaume Raverat. Pour le salarié, les
avantages sont nombreux : moins de temps perdu dans les transports, moins
de stress et la possibilité de travailler à son rythme.
Quant au manager, les bénéfices se traduisent par une équipe qui se
sentirait davantage considérée et responsabilisée. « Le manager de
demain, c’est un manager qui est capable de travailler à distance sans
problème. S’il n’accepte pas le travail à distance, il faut le voir comme un
indice plutôt négatif », précise le cofondateur d’Organyze.
Pratique plébiscitée par la plupart des actifs, le télétravail permettrait
aux entreprises de recevoir un meilleur engagement des salariés, mais aussi une
meilleure productivité. D’un point de vue énergétique, l’impact RSE de
l’entreprise serait amélioré, car « 20 % des impacts sont liés aux
transports », rappelle le spécialiste. Enfin, le télétravail engendre
une résilience aux évènements extérieurs comme les grèves, les pannes de
transports en commun ou encore les aléas climatiques. Finis les retards ou
absences liés aux problèmes de circulation !
Ceci dit, « là où on a le plus de travail à faire, de façon
collective, c’est lorsqu’on aborde les sujets de société », soutient
Guillaume Raverat. « L’idée est de voir comment [le travail à] distance
peut contribuer aux valeurs de la société. C’est l’occasion d’interroger l’entreprise :
se demander quelles sont nos valeurs et comment le télétravail peut m’amener à
ces valeurs. »
Cette période particulière vécue par toutes et tous a obligé la population
française à repenser ses relations sociales, notamment avec ses voisins ou les
commerces de proximité. Une période où la place de chacun(e) au sein des
relations sociales a été remise en question.
« Le Français attend beaucoup de l’entreprise [pour créer du lien
social] et je pense que c’est un problème car on est déresponsabilisés de nos
relations sociales. Avoir des amis en entreprise, c’est très bien, mais c’est
mieux d’en avoir en-dehors. Cela questionne sur le sens que les gens accordent
au fait de venir dans l’entreprise », analyse Guillaume Raverat.
Pérenniser durablement le télétravail
Pour pérenniser le travail à distance, résoudre les freins techniques,
comme la mise en place d’une bonne connexion réseau ou un poste de travail
efficace, est primordial. Il convient ensuite de sortir de la vision individualisée
du télétravail. « Il faut réfléchir à comment sortir de ce dogme du
télétravailleur soumis à son climat et à son contexte de travail, seul. Il faut
qu’il y ait une réflexion collective, un dialogue collectif qui
s’instaure », souligne Guillaume Raverat.
Frileuses face au déploiement du télétravail, certaines entreprises doivent
aussi « faire le deuil de croyances et arrêter de croire que la
présence au bureau est essentielle ». La ministre du Travail, Muriel
Pénicaud, a d’ailleurs rappelé, lundi 4 mai sur France Info,
l'importance de poursuivre le travail à domicile, au moins jusqu’à l’été. « On
ne peut pas travailler comme avant pour l’instant. Mais, entre ne pas
travailler et travailler quand même, travailler c’est mieux pour l’économie,
pour l’emploi et pour chacun. Il faut être compréhensif », a-t-elle
exprimé.
Mais gare à la surcharge de travail ! 33 % des télétravailleurs
estiment en effet que le télétravail a un impact négatif sur leur charge de
travail, et 30 % sur leur motivation. Pendant le confinement, 30 %
des travailleurs à distance considèrent que leur santé psychologique s’est
dégradée, et 25 % déclarent que leur santé physique s’est elle aussi
détériorée.
Alors, pour éviter les abus, la ministre du Travail préconise la mise en
place d’une « charte », d'un « accord » avec
les syndicats, ou d’« un mode d’emploi du télétravail » qui
prévoit notamment « les heures de déconnexion ».
Télétravailler ou ne pas télétravailler ? Guillaume Raverat estime que
« la question est de savoir si on va revenir en présentiel et pour quoi
faire ? Et en questionnant ce pourquoi, on obtient des réponses. Est-ce
qu’on doit changer notre organisation ? Si on revient pour capter de
l’information, potentiellement, c’est qu’il y a de l’information qui passe mal
dans l’entreprise. »
Toujours selon l’étude du CSA pour Malakoff Humanis, 73 % des
télétravailleurs interrogés souhaitent en tout cas demander à pratiquer le
télétravail de manière régulière (pour 32 %) ou ponctuelle (41 %).
Des chiffres qui permettent aux entreprises d’anticiper le monde de demain.
Pour les accompagner dans cette démarche, Guillaume Raverat présente les
pratiques d’organisations qui l’ont déjà entamée à 100 %.
Indispensable au bon fonctionnement d’une entreprise, « la
confiance est au cœur de leur culture ». Au niveau du management,
aucun contrôle n’est fait sur les horaires. Ces entreprises laissent la
possibilité au salarié d’ajuster son mode de travail en fonction de ses
préférences et de son efficacité.
Pour maintenir le lien social, elles prévoient des
rituels réguliers tels que des rétrospectives ou des séminaires trimestriels.
« Le problème personnel du travail à distance c’est souvent la perte de
lien social. Il est difficile d’avoir un esprit d’équipe à distance, on n’a pas
de sentiment d’appartenance... Mais ceux qui travaillent à distance à
100 % sont ravis. Déjà parce qu’ils sont dans l’entreprise pour les bonnes
raisons : ils ont choisi l’entreprise dans laquelle ils allaient
télétravailler et pas parce que c’est à 5 km de leur travail. Le retour au
présentiel doit nous amener à nous questionner : est-ce que j’ai besoin de
venir travailler un vendredi alors que je ne vais échanger avec
personne ? », explique le cofondateur d’Organzye.
Des changements structurels accélérés par le travail à distance sont aussi
à envisager.
Il peut s’agir d’un développement de nouvelles compétences comme les soft
skills, d’un recrutement régional voire national, ou encore d’un nouveau
rapport au travail.
Le cofondateur d’Organyze conclut : « On
a découvert qu’on était capable de travailler efficacement tout en étant libre.
Le rapport au travail change, il faut l’accepter et l’étudier. »
Jadine Labbé Pacheco