Profitant
de son assemblée générale au Palais Bourbon en décembre dernier, Femmes de
justice a lancé une vaste réflexion sur la visibilité des femmes et la parité.
L’occasion d’établir des constats qui dérangent, de réclamer les mesures qui
s’imposent, et de réfléchir, ensemble, pour « faire bouger les
choses ».
Le lieu
était symbolique. Le 7 décembre dernier, Femmes de justice organisait
son assemblée générale au sein de la salle Colbert, chargée d’histoire et de
combats démocratiques, du Palais Bourbon. Après avoir procédé à la nomination
de trois nouvelles administratrices et à l’annonce de grands axes d’action pour
2019, l’association créée en 2014, qui revendique la volonté de favoriser,
promouvoir et consolider la parité entre les femmes et les hommes au sein du
ministère de la Justice, a proposé à un public – très majoritairement féminin –
un après-midi de réflexion autour d’une question centrale : « La
femme, invisible ? ». Volontairement provocatrice,
l’interrogation était notamment partagée par Véronique Malbec, secrétaire
générale du ministère de la Justice, Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des
services judiciaires, Madeleine Mathieu, directrice de la Protection judiciaire
de la jeunesse, Nathalie Ancel, directrice adjointe de la Direction des
affaires criminelles et des grâces et Véronique Sousset, directrice de cabinet
du directeur de l’administration pénitentiaire, venus assister aux deux tables
rondes.
« J’ai
trop entendu à propos d’une nomination, de la composition d’une table ronde,
d’un colloque ou d’un groupe experts : “Nous avons cherché des
femmes, nous n’en avons pas trouvé !”, ou pire : “Nous
avons d’abord cherché des compétences...” Est-il sérieusement possible,
dans un ministère composé de 65 % de femmes, qu’on ne trouve que des
hommes ? Les femmes sont-elles incompétentes, invisibles, se cachent-elles
délibérément ? Non, les femmes du ministère de la Justice sont expertes,
intelligentes, engagées, responsables, compétentes, talentueuses,
performantes : elles méritent le soutien de leur Ministère et de leur
administration, [et] nous avons la conviction qu’il faut les
représenter pour les rendre visibles », a martelé Ombeline Mahuzier.
La
présidente de l’association, cheffe du pôle d’évaluation des politiques pénales
à la DACG, a donc joint le geste à la parole en dévoilant le nouveau logo
de Femmes de justice, en écho au thème de l’après-midi.
« Il s’agit d’un visage de femme, a-t-elle décrit, car les
lieux de justice et de droit sont trop souvent uniquement remplis de bustes, de
portraits et de noms d’hommes ; les colloques et les ouvrages rendent bien
davantage hommage à nos pairs masculins. C’est, aussi, une femme dont l’œil
grand ouvert représente la balance de la justice et de l’équilibre que nous
voulons atteindre - mais cet œil grand ouvert est également celui de la
vigilance. »
La présidente de Femmes de justice Ombeline Mahuzier invite à la vigilance quant au nombre de postes qui n'ont jamais été attribués à des femmes
« Nous
devons garder une vision claire de la réalité et nous interroger :
avons-nous vraiment progressé ? Combien de postes n’ont jamais été
attribués à des femmes ? » Selon la présidente de Femmes de
justice, moins de 35 % des postes de chefs de juridictions seraient en
effet occupés par des femmes. Un chiffre qui étonne d’autant plus que, comme
l’a fait remarquer la magistrate et directrice adjointe en charge des recrutements,
de la formation initiale et de la recherche à l’ENM, Emmanuelle Perreux, les
femmes sont majoritaires au sein de la magistrature depuis 2002. Aujourd’hui,
66 % des magistrats sont des magistratEs. « On pourrait donc se
dire que la visibilité va de soi. D’autant que le CSM parle de la place des
femmes au sein de l’institution judiciaire depuis 2003. Mais ce qui frappe,
c’est qu’il s’agit uniquement de chiffres par lesquels est constaté le déficit
de femmes aux postes à haute responsabilité. Des chiffres parlants, des
rapports, mais dont aucune conséquence ni analyse n’est jamais tirée. »
De son
côté, le ministère de la Justice manque totalement de transparence en la
matière, a estimé Ombeline Mahuzier. La présidente de Femmes de justice a
donc appelé à une « vraie politique d’égalité, volontaire, positive,
explicite, avec des objectifs ambitieux et une évaluation régulière,
transparente », et à ce que le ministère de la Justice s’engage dans
une vraie réflexion sur l’organisation du travail et l’équilibre des temps de
vie.
Une
politique de RH volontariste pour atteindre la parité
Pour la
haute-fonctionnaire chargée de l’égalité femmes-hommes au ministère de la
Justice, insuffler la culture de l’égalité femmes-hommes et actionner les
leviers pour la garantir dépasse largement le champ des revendications
féministes : « Par ce prisme, c’est la modernisation de
l’institution, à travers celle de la gestion de ses ressources humaines, qui
est recherchée. » Selon Isabelle Rome, les entreprises et les institutions
qui respectent la mixité seraient plus performantes. « L’égalité
professionnelle et la parité sont des leviers puissants permettant
l’attractivité, la modernisation et la performance », a approuvé
Ombeline Mahuzier.
Emmanuelle Perreux, magistrate, directrice adjointe de
la formation initiale à l’École nationale de la magistrature, a donc vivement
recommandé que soit menée, en parallèle, une politique de ressources humaines
volontariste pour atteindre la parité. Cette dernière a notamment dénoncé avec
vigueur les obstacles statutaires préjudiciables particulièrement aux
magistrates mères de familles, à l’instar de l’exigence de mobilité
géographique qui, dans la magistrature, atteint, selon elle, « des
sommets ». Infostat justice avait ainsi indiqué en avril dernier que
le ministère de la Justice avait fait le constat d’une ancienneté à leurs
postes à peine supérieure à deux ans pour la moitié des magistrats. Par
ailleurs, selon Emmanuelle Perreux, le Conseil supérieur de la magistrature encouragerait
« l’exigence excessive de mobilité ». Or, « de
nombreuses magistrates retardent leur avancement au premier grade pour ne pas
pénaliser leurs enfants en bas âge, mais ce retard ne se rattrape jamais »,
a-t-elle déploré.
La magistrate a ainsi interpellé son auditoire :
l’exigence de mobilité est-elle de l’intérêt de l’institution ? Cette
dernière est-elle réellement un gage de compétences ? Le meilleur
magistrat est-il celui qui a sillonné la France en tous sens ? « Ces
questions-là sont centrales en termes de politique de ressources humaines. Le
statut de magistrat a été conçu par des hommes pour des hommes, et cette
affirmation continue de se vérifier. Dans la magistrature, il y a
une forme de fatalisme : pour être, il faut avoir été. Bertrand Louvel, en
24 ans de carrière, aura effectué 11 mobilités, dont
10 géographiques, et pas des moindres. Même chose pour François Molins.
Qui parmi les femmes peut se permettre une telle flexibilité ? »
s’est interrogée Emmanuelle Perreux. En effet, souvent, les femmes ne peuvent
se permettre d’accéder à des emplois à responsabilités que lorsque leurs
enfants ont grandi ; soit plus tardivement que les hommes. Elles se
retrouvent alors en concurrence avec d’autres candidats qui ont déjà eu le
temps de prouver leur expérience, et il devient difficile pour le comité de
nomination de faire un choix en faveur de celles-ci lorsqu’il se retrouve face
à une personne qui a de l’expérience à ce type de poste et une autre qui n’en a
pas. « Pourquoi ne pas dissocier le grade de l’emploi ? »,
a proposé la magistrate.
Le nœud
du problème est actuellement, selon celle-ci, qu’en matière de RH, lorsqu’on
recrute, on essaie de prendre le moins de risques possible afin d’éviter les
erreurs de castings, dommageables en termes humains pour tous les
collaborateurs, et la magistrature n’échappe pas à cette règle, a estimé la
magistrate. Que faire alors ? Rassurer les organes de nomination, a
considéré Emmanuelle Perreux, systématiser l’envoi de CV et développer une
autre approche des parcours, par compétences, comme cela existe dans le privé.
« Il faudrait pouvoir définir quelles sont les compétences requises
pour devenir chef de juridiction. C’est incroyable de constater que dans notre
magistrature, il n’existe pas de profil type. Il faut réaliser un travail de
fond sur les emplois et les postes. Et à côté des fonctions juridictionnelles
qu’on occupe, on doit valoriser les à-côtés trop souvent oubliés :
engagements associatifs, groupes de travail, parcours professionnel antérieur
qui a permis d’acquérir des compétences spécifiques. »
Isabelle Rome a assuré que sur le problème de la
mobilité, une grande réflexion serait lancée, et qu’un rapprochement serait
effectué avec le ministère de l’Éducation nationale pour faciliter les
démarches administratives pour les inscription d’enfants à l’école en cours
d’année.
De son côté, conseillère maître à la Cour des comptes,
Mireille Faugère a estimé que pour aboutir à de véritables avancées, encore
faut-il un véritable engagement. « L’organisme qui s’occupe des RH doit
être vraiment à la manœuvre : c’est-à-dire qu’à chaque instant il doit se
préoccuper de faire évoluer les parcours, et qu’à chaque occasion il donne des
possibilités. »
« Il
faut rassurer les femmes pour rompre la chaîne de l’autocensure »
« Les femmes mettent souvent en doute leurs
capacités, et le facteur psychologique est déterminant », a constaté
Emmanuelle Perreux, « Il faut les rassurer pour rompre la chaîne de
l’autocensure. »
Sylvie Vella, directrice territoriale à la direction
de la Protection judiciaire de la jeunesse, a également confirmé que les femmes
étaient parfois trop modestes. Cette dernière suit une formation de directrice
territoriale. En réalisant un bilan sur les connaissances, elle l’a
constaté : « Les femmes ont tendance à croire qu’elles s’y
connaissent moyennement, contrairement aux hommes. »
Des écueils malheureusement récurrents, a opiné
Pauline Talagrand, journaliste à l’AFP, qui a fait part d’une expérience
similaire. « Quand on appelle une femme spécialiste sur un sujet pour
l’interviewer, la plupart du temps, elle nous dit : “Ah non, je ne
peux pas, je ne suis pas assez experte, je connais quelqu’un meilleur que moi” –
et généralement, ce quelqu’un est un homme. On essaie d’insister, on lui dit
qu’on l’a cherchée, qu’on a mis du temps à la trouver, qu’on est remonté à elle
car elle a traité tel ou tel sujet, mais sans succès la plupart du temps. »
En cause : un regard qu’on porte sur soi-même
souvent trop exigeant, a jugé Alexandra Savie. « Être exigeant, c’est
bien, mais parfois on peut devenir sévère, et ensuite, il n’y a qu’un pas vers
l’autolimitation. Pour être vu, il faut d’abord se voir soi-même comme étant
légitime. » Il faut donc donner confiance aux femmes, et ce, le
plus tôt possible, a estimé la vice-procureure de la République près le
tribunal de grande instance de Paris. « Il y a des gens qui
nous forment, qui nous poussent. La première à m’avoir fait
confiance est Madame Martin-Pigalle, alors que j’étais en
stage en juridiction. Elle m’a proposé d’aller parler de mon stage, de mon
parcours, à la promotion qui me suivait. Puis quand j’ai été
substitute, c’est ma procureure adjointe à Paris, Madame Ollivier,
aujourd’hui procureure générale à Toulouse, qui a joué un grand rôle dans ma
vie professionnelle. »
Sylvie Vella a elle aussi témoigné d’un soutien
important de la part de ses collègues, femmes et hommes, a-t-elle
souligné. « Les hommes aussi ont leur rôle à jouer ! »
Isabelle
Rome a quant à elle évoqué la place primordiale qui doit être accordée au mentoring,
pratiqué au sein même de la juridiction financière, a-t-elle indiqué.
Des
expertes qui s’ignorent
« C’est important de s’engager, il ne faut pas
avoir peur », a insisté Pauline Talagrand, rassurant son auditoire.
« Si les journalistes ont trouvé vos coordonnées, ils ont déjà
identifié le fait que vous étiez légitimes, donc la question de la légitimité
ne se pose plus, juste celle de votre disponibilité. »
Alors que, comme l’a pointé Isabelle Rome, seules
17 % des biographies présentes sur le site Wikipédia concernent des
femmes, et que peu de femmes sont reconnues comme expertes, Alexandra Savie
n’en a pas démordu : « Nous sommes toutes des expertes qui, la
plupart du temps, ignorons que nous le sommes. Ce que nous faisons au quotidien
et ce que nous maîtrisons est le terreau de notre expertise ; à nous de le
cultiver. »
Cheffe du bureau de la coopération internationale au
sein de la délégation aux affaires européennes et internationales du ministère
de la Justice, cette dernière travaille avec l’ensemble des directions du
Ministère, et donc des différentes femmes de justice. « Une des tâches
principales de mon bureau est de mettre en œuvre, après l’avoir définie, la
stratégie de coopération internationale du ministère de la Justice, annoncée en
janvier 2018. Pour cela, nous avons besoin d’experts. Les femmes s’inquiètent
souvent de devoir systématiquement partir à l’étranger : or nous avons des
opportunités qui peuvent mettre en œuvre des actions aussi bien à l’étranger
qu’en France !”, a-t-elle assuré. Ces dernières sont également
persuadées qu’il faut être parfaitement bilingue, alors qu’il est pourtant tout
à fait possible d’intervenir en français, avec interprétariat. Par ailleurs, si
elles craignent souvent que ces opportunités se conjuguent mal avec leurs
agendas et qu’il faille se libérer longtemps, là encore Alexandra Savie s’est
montrée rassurante : « Nous avons différents formats de
mission ; à long, moyen ou court terme, et il n’y a pas forcément de
rapport à rédiger à chaque fois. L’organisation personnelle n’est donc pas mise
sens dessus dessous ! »
La vice-procureure de la République près le tribunal
de grande instance de Paris a tenu à partager comment cette dernière a fini par
se considérer comme une experte. Alors qu’elle était substitute, sa procureure
adjointe à Paris lui demande si elle peut aller parler des contrefaçons des
médicaments dans un colloque organisé par ENM avec des procureurs chinois. Plus
tard, elle lui propose cette fois de se rendre au Brésil, afin de s’exprimer
sur la lutte contre la piraterie audiovisuelle dans le cadre d’une conférence
tenue par l’École de la magistrature brésilienne. « Je me suis aperçue
que mon nom avait circulé : c’est l’école qui est venue me
chercher. » Puis elle se rend en Chine pour intervenir au sujet
des contrefaçons médicales. En 2012, c’est le procureur lui-même qui lui
demande de gérer la communication avec les médias autour d’une affaire de
contrefaçons de sacs à main Hermès. « Il m’a dit : “On me voit
assez à la télé, c’est vous qui maîtrisez, c’est vous qui parlez” :
j’ai eu droit à la presse audio, la presse écrite, l’interview en direct à la
télé. Depuis, j’ai moins peur des journalistes ! », a plaisanté
la magistrate. Pour cette dernière, les femmes doivent se voir avec
clairvoyance et bienveillance, « pour oser et s’autoriser à occuper le
devant de la scène de l’expertise ».
Briser les
préjugés
Plus de
parité passe aussi par le fait de briser les préjugés. Emmanuelle
Perreux a affirmé que le CSM faisait régulièrement le constat du
peu de candidatures sur les postes de chefs de juridiction ou de cour.
« Il y a en fait une croyance selon laquelle les femmes, majoritaires,
finiront mécaniquement par prendre leur place au sein de la hiérarchie. Or le
CSM a fini par observer que ce n’était pas le cas, et par penser la
problématique autrement, en voulant rompre avec l’indifférence et le fatalisme. »
Ce dernier a ainsi engagé une réflexion sur la question de savoir pourquoi les
femmes n’accédaient que de façon minoritaire aux emplois de responsabilités.
« Nous avons constitué au sein du CSM un groupe de travail que l’on a
voulu pluraliste : hommes, femmes, magistrats, non magistrats, avec
surtout une diversité d’idées sur la question. Nous avions tous notre idée de
la place de la femme dans la magistrature, et souhaitions objectiver ce qu’on
pouvait en penser. »
Emmanuelle Perreux a ainsi reconnu qu’elle avait
auparavant intériorisé le fait que les femmes doivent forcément choisir entre
carrière et vie privée. « J’avais en tête un ancien Premier président
qui m’avait dit de manière paternaliste que si j’avais des difficultés avec mon
fils, il fallait que je privilégie ma vie de famille en reléguant au second
plan mes projets professionnels. Je m’étais demandé à l’époque s’il aurait dit
la même chose à un homme, mais inconsciemment j’avais accepté l’idée qu’on ne
puisse pas tout avoir. Aujourd’hui, j’ai évolué sur mes présupposés. »
Les présupposés, en tant que journaliste, Pauline
Talagrand y est souvent confrontée, au sein même d’ailleurs de sa propre
Rédaction, chose dont elle ne s’est que récemment rendu compte, à la suite
d’échanges informels avec ses collègues. « On a aussi pris conscience
du mauvais traitement des faits divers, notamment des violences faites aux
femmes. Et dès qu’on cherchait des photos de femmes, on voyait des talons
hauts, des robes, pas la tête. On ne représentait pas les femmes. »
Avec sa collègue Aurélia End, Pauline Talagrand a
ainsi frappé à la porte de la directrice de l’information, avec l’intention de
rédiger un rapport sur la place accordée aux femmes dans les contenus de
l’Agence. Une mission qui a demandé de « balayer devant la porte »
de celle-ci, a confessé la journaliste. « Alors que l’on avait
l’impression d’offrir une juste représentation de ce qu’est le monde du 21e siècle,
on a réalisé que 85 % des personnes citées comme experts étaient des
hommes. Ça a été un gros choc, car on pensait qu’on faisait bien les choses. Il
faut vraiment passer par les chiffres pour réaliser. »
Les deux journalistes ont donc tenté de réaliser un
travail de pédagogie auprès de leurs collègues, hommes, femmes, jeunes, moins
jeunes, et ont été parfois étonnées des résistances rencontrées. « Suite
à la remise de notre rapport (en janvier 2018, ndlr), on a pensé
que nos recommandations de bon sens seraient vite acceptées, mais cela n’a pas
été forcément le cas. Au service photo, on a notamment vu un reportage de
fesses de femmes dans un centre commercial en Chine, sans les têtes. On s’est
dit que même si beaucoup de gens étaient mobilisés, ce n’était toujours pas
gagné. »
Outre les journalistes, Mireille Faugère a conseillé
que soient aidés les services de communication, « qui n’ont pas les
réflexes », afin que ces derniers deviennent davantage professionnels
à l’égard de la question de la représentation des femmes. « Je suis
allée voir le service communication de la Cour des comptes : il y avait un
événement sur les carrières exemplaires de femmes présidentes de chambres
régionales des comptes, il fallait représenter la mixité. Or, la représentation
choisie était épouvantable : ils avaient mis en photo des bustes nus qui
se trouvent dans nos escaliers ! », a déploré la conseillère
maître à la Cour des comptes. « Il faut travailler les consciences. Ce sont
des sujets du quotidien », a-t-elle martelé.
S’engager pour « faire bouger les choses »
Témoignant de son engagement pour faire avancer la
parité, Isabelle Rome est revenue sur la lettre de mission que lui
a délivré la ministre de la Justice, mentionnant plusieurs objectifs :
favoriser l’accès des femmes aux postes les plus élevés de la hiérarchie, se
doter d’indicateurs permettant d’établir un bilan sexué des nominations,
améliorer l’équilibre de vie personnelle et professionnelle, veiller à la féminisation
des titres et des fonctions, réfléchir aux moyens d’améliorer la mixité au sein
du ministère de la Justice. « Cela nécessite une méthode qui passe par
la transversalité, les partenariats, l’interactivité et la proximité »,
a insisté la haute fonctionnaire.
Cette dernière est revenue sur l’installation d’un
comité « égalité femmes-hommes » au sein du Ministère dès octobre
2018, avec un rôle de consultation, de suivi des actions mises en œuvre et
aussi de proposition. Ce comité établira notamment le premier baromètre de
l’égalité femmes-hommes du ministère de la Justice en début d’année 2019, issu
des données des différentes directions et du Secrétariat général, a indiqué
Isabelle Rome.
Par ailleurs, le télétravail et la prise en compte de
l’état de grossesse dans l’exercice des différents métiers ainsi que la
protection des femmes enceintes seront les sujets prioritaires à l’ordre du
jour du comité suivant, a révélé Isabelle Rome.
Agir en partenariat, c’est agir avec les écoles
formant aux métiers de la justice, a-t-elle estimé. La haute fonctionnaire
s’est ainsi rapprochée de l’École nationale de la magistrature, de l’École
nationale des greffes à Dijon, de l’École nationale de la protection judiciaire
de la jeunesse, de l’École nationale d’administration pénitentiaire à Agen.
Isabelle Rome a également confié organiser des déplacements réguliers au sein
des cours d’appel pour recueillir la parole des magistrats et fonctionnaires,
et avoir noué des partenariats avec le Conseil supérieur du notariat et le
Conseil national des barreaux, mais aussi avec des associations, au premier
rang desquelles Femmes de Justice : « un aiguillon via
des échanges réguliers, pour une complémentarité d’actions ».
Du côté de l’AFP, des initiatives ont également été
prises. « À la Rédaction, nous féminisons. Même si les femmes ne sont
pas d’accord, car ce n’est pas à elles de choisir. La préfète n’est plus la
femme du préfet, il faut se mettre au goût du jour ! », a souri
Pauline Talagrand. L’AFP a en outre réuni le 20 juin 2018 une
trentaine d’expertes issues de divers horizons, afin de leur faire connaître
l’Agence et les inciter à répondre plus facilement aux sollicitations des
médias.
Quant à la DAEI, cette dernière opère actuellement
quelques changements autour de son vivier d’experts. « Un de nos outils
est en cours de rénovation pour le rendre plus performant, et permettre à chaque
expert(e) de venir charger son profil en ligne, avec un accès à l’intranet ou à
Internet. À la DAEI, on intègre par ailleurs la parité dans le choix de
l’expert à envoyer en mission », a affirmé Alexandra Savie.
Pour sa part, Mireille Faugère a mis en exergue qu’à
la Cour des comptes, le dispositif de la loi Sauvadet ne pouvait s’appliquer.
Afin de « faire bouger les choses » la conseillère maître a
ainsi mis la Cour devant le fait accompli, en lui soulignant qu’elle qui
donnait des leçons à tout le monde était loin d’être exemplaire. « Le
secrétariat général s’est vexé. Résultat, un an plus tard, nous avions un bilan
genré parfait ! », s’est réjouie Mireille Faugère.
Sur la
route du progrès
En
matière de parité, « Les femmes n’ont que trop attendu », a
considéré Fiona Lazaar, vice-présidente de la délégation de l’Assemblée
nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances hommes femmes, qui
s’est livrée à un bref historique révélateur.
Cette dernière a en effet rappelé qu’en 1897, on
refusait à Jeanne Chauvin le droit de prêter serment pour devenir
avocate : « Les femmes attendront 1900 pour pouvoir le
devenir. Elles attendront 1908 pour pouvoir être juges non
professionnelles. Elles attendront 1931 pour qu’une première femme
devienne professeure de droit. Elles attendront 1946 pour que cette même
femme, Charlotte Béquignon Lagarde, devienne la première femme magistrat et
intègre la Cour de cassation. Et c’est aussi en 1946 que, pour
la première fois, une femme devient vice-présidente de l’Assemblée nationale. »
La députée LREM du Val d’Oise a ainsi tenu à saluer le chemin parcouru « par
la force d’engagement » des femmes. Si, a-t-elle nuancé, « tout
n’est, aujourd’hui, pas parfait », d’autres victoires sont malgré
tout, peu à peu, remportées. Au sein de l’hémicycle, notamment. « L’enjeu
de la visibilité, on le connaît aussi en politique, a affirmé la
députée. Le plafond de verre est là, mais il faut le briser. Nous avons
réussi à le faire y a 18 mois, avec pour la première fois près de
40 % de femmes à l’Assemblée nationale. C’est historique, mais ce n’est
pas encore assez, et j’ai la conviction que nous allons réussir à faire avancer
les choses. »
C’est
aussi le point de vue défendu par Sylvie Vella : « Au
31 décembre 2017, nous avions 564 directeurs de service, parmi
lesquels 67 % de femmes. Et dans ces 564, 180 emplois fonctionnels –
directeurs territoriaux, directeurs territoriaux adjoints, chefs de bureau -
dont 52 % de femmes. C’était la première fois en 2017 que nous avons
inversé ce chiffre-là. En 2012, par exemple, nous avions 53 % d’hommes.
On peut voir ici deux choses. On peut se dire que sur les postes les plus
importants, les emplois fonctionnels, il y a un peu moins de femmes. Mais on
peut aussi montrer qu’une progression s’est faite, car les mentalités changent
grâce aux efforts », s’est félicitée la directrice territoriale à la
direction de la Protection judiciaire de la Jeunesse.
Quand
on veut faire avancer des sujets, il faut avoir une politique déterminée, a
enjoint Mireille Faugère, rappelant que le chef de l’État a déclaré l’égalité
femmes-hommes grande cause du quinquennat. Et cela passe d’abord par la
dénomination, a-t-elle estimé. « Pourquoi se cacher derrière un “le”
comme si le “la” pouvait dévaloriser la fonction exercée ou lui ôter son
prestige ? Le féminin n’a pas à être happé par un masculin qu’on a trop
souvent qualifié de neutre. Ce genre n’existe pas dans la langue française.
Afin de s’assurer de la mise en œuvre de la circulaire du Premier ministre, la
garde des Sceaux a signé une circulaire en septembre ordonnant la féminisation
des titres, grades et fonctions. »
Par ailleurs, depuis 2011, la loi Copé Zimmermann, qui
fixe un quota obligatoire de 40 % du sexe sous-représenté dans les
conseils d’administration au 1er janvier 2017 dans les
entreprises cotées et dans les sociétés comptant plus de 500 salariés
permanents et un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros, a
« fait bouger les choses », a considéré la conseillère maître
à la Cour des comptes. Celle qui a travaillé pendant 30 ans à la SNCF,
avant de diriger l’Assistance publique des hôpitaux de Paris, puis de gagner la
Cour des comptes, l’a reconnu : « Pendant plusieurs années, j’ai
été une experte à la SNCF : pourtant, jamais je ne suis rentrée dans un
seul conseil d’administration. Avec la loi Copé Zimmermann, en 6 mois, je
suis rentrée dans deux entreprises du CAC40. »
« Il
ne faut jamais se résigner, il y a toujours des choses à faire. Ce ne sont pas
forcément des grands bouleversements, mais à petits pas, des propositions très
concrètes font avancer les choses », a affirmé avec vigueur Emmanuelle
Perreux. Reprenant une citation de Françoise Giroud au journal Le
Monde en 1983, Sylvie Vella a lancé avec humour que, de toute façon,
« la femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste
important, on désignerait une femme incompétente ».
Bérengère Margaritelli