Entretien avec Matthieu Quinquis, président de l’Observatoire international des prisons – Section France
Avocat
au barreau de Paris spécialisé en droit pénal et droit pénitentiaire, Matthieu
Quinquis a succédé en mai dernier à Delphine Boesel à la présidence de
l’Observatoire international des prisons (section France). Surpopulation,
travail en prison, conditions de détention… autant de sujets qui animent
l’Observatoire et que nous abordons avec lui.
Quel
a été votre premier contact avec l’univers carcéral ?
Mon
premier rapport avec la prison remonte à l’enfance. Le travail de mon père
était installé non loin de la maison d’arrêt de Brest, et j’avais toujours un tas
de questions à son sujet lorsque nous passions devant, en voiture, avec mes
parents. Ceux-ci m’expliquaient notamment que des personnes y étaient enfermées
pour notre sécurité, mais, je ne comprenais pas cette réponse, ni cette notion
de « justice ».
Mon
premier contact « réel » avec le milieu carcéral est finalement arrivé quelques
années plus tard, dans cette même maison d’arrêt il y a dix ans, quand j’étais
étudiant en droit et membre du GENEPI, association étudiante qui œuvrait auprès
des personnes incarcérées. Avec un autre membre de l’association, nous nous y
sommes rendus pour animer un atelier qui portait sur la culture hispanique.
Mais ce genre d’activité est en réalité un prétexte pour aller à la rencontre
des personnes détenues et instaurer un dialogue.
Je
dois avouer que cette première confrontation a été assez violente. C’était un
lundi matin. Il était tôt, et la prison se réveillait. Il y avait l’odeur des
déchets accumulés du week-end, et déjà beaucoup de bruit. Ma première
impression a été celle de ne pas me sentir à ma place, d’être un « intrus ». La
prison s’animait, avec ses codes et ses règles. Moi, j’étais extérieur à tout
ça, j’étais là, sans vraiment savoir comment me positionner. Puis il y a eu la
rencontre avec les détenus. J’étais jeune, et je me suis vite rendu compte
qu’il n’y avait pas de réelle différence entre eux et moi. Nous venions du même
département et pour certains, avions approximativement le même âge. Nous avions
naturellement une certaine proximité, et avions même déjà pu nous croiser.
Avec
cet autre membre de l’association, nous avons mené cet atelier pendant un an. À
la maison d’arrêt, les détenus sont là pour une durée assez courte, c’étaient
donc rarement les mêmes participants qui y assistaient. Mais nous avons constaté
le réel intérêt de ce genre d’animation, notamment en vue de la réinsertion.
Pourquoi
avez-vous choisi de vous engager pour le droit des détenus et comment avez-vous
accédé à la présidence de l’Observatoire international des prisons (OIP) ?
Cela
s’est fait progressivement. Après ma licence, j’ai intégré le bureau du GENEPI en tant que vice-président chargé de la communication et de la voix politique.
Là, j’ai découvert tout un écosystème d’associations de défense des droits des
détenus. J’ai notamment fait la rencontre de Delphine Boesel. C’est elle qui
m’a donné envie de devenir avocat. Avant cela, je n’y avais jamais réellement
pensé. J’ai alors compris que cette fonction allait me permettre d’agir en
prison. Car pour l’avocat, le travail continue même après le prononcé du
jugement. Les détenus ont des droits et c’est à nous de les faire valoir.
N’importe quel avocat qui s’est déjà rendu en prison ne peut rester insensible
à cette question. J’appelle d’ailleurs tous mes confrères à s’en emparer. Notre
serment nous oblige, il en va de la dignité humaine.
J’ai
ensuite validé mon Master Droits de l’Homme à Nanterre, puis je suis entrée à
l’École de formation des barreaux (EFB) en tant qu’élève-avocat. Dans ce cadre,
en 2017, j’ai effectué un stage au pôle contentieux de l’OIP, puis intégré son
conseil d’administration. Je ne pensais pas en prendre la présidence, mais
quand on me l’a proposée, il m’est apparu impossible de refuser. Aujourd’hui,
je repense à ce jeune étudiant en droit qui découvrait pour la première fois
l’univers carcéral, et je peux affirmer me sentir pleinement à ma place. Je
fais ce que j’avais envie de faire. J’ai l’impression que mes clients, les
détenus, m’accordent leur confiance, et je ressens un réel sentiment d’utilité
dans ce que j’accomplis.
Quelles
sont les priorités qui vont rythmer votre mandat de président ?
Mon
mandat s’inscrit dans le prolongement de celui de Delphine Boesel qui a fait un
travail formidable pendant ses sept années de présidence. Je pense notamment à
la condamnation de la France par la CEDH en 2020 pour ses conditions de
détention, résultat de 12 ans de travail pour l’OIP. Le mouvement est lancé,
mais il est maintenant de notre devoir de maintenir cette pression. On l’a fait
notamment cet été en saisissant, de concert avec l’Ordre des avocats du barreau
de Toulouse, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse pour
obtenir, après l’ordonnance du 4 octobre 2021, le réexamen des conditions de
détention au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses.
Je
tiens également à poursuivre notre mobilisation auprès des détenus, en leur
faisant savoir que nous sommes à leurs côtés. Ils ont des droits, et nous ne
les lâcherons pas. Nous recevons environ 5 000 sollicitations de détenus par
an, ce qui constitue notre matière première. Cela pourrait être beaucoup plus,
mais certains détenus n’osent pas nous contacter, de peur des conséquences,
notamment sur leur aménagement de peine. C’est pourquoi nous continuons à
demander la confidentialité des échanges avec l’OIP. Il en va de l’intérêt
public.
« Le temps de détention en prison est de plus en plus
long, et les conditions de plus en plus difficiles. »
Cet
été a notamment été animé par la polémique « kohlantess ». Le garde des Sceaux
a jugé « choquantes » les images de karting à la prison de Fresnes. Quel
regard portez-vous sur cet événement ?
Je
peux comprendre que ces images puissent paraître surprenantes pour les
personnes qui ne connaissent pas le milieu carcéral. Mais pas pour quelqu’un
qui connaît l’état des prisons en France. C’est pourquoi j’ai été scandalisé
par la réaction d’Éric Dupond-Moretti, dont les propos ont assurément participé
à l’explosion de cette polémique. Sa réaction a selon moi alimenté la
représentation fantasmée que l’on se fait de la prison. Une réaction
incompréhensible, surtout venant d’un ancien avocat qui a mis les pieds dans
les prisons et ne peut donc ignorer les conditions indignes de détention.
L’occasion
ici de rappeler que sa première visite officielle en tant que ministre de la
Justice était justement à la prison de Fresnes. Sa volonté de vouloir
promulguer une circulaire pour fixer les conditions nécessaires à la tenue de
projets de réinsertion en prison, lesquels seront soumis à une validation de la
direction de l’administration pénitentiaire, n’aura pour conséquence que de
limiter les activités dans les prisons, qui sont aujourd’hui déjà
insuffisantes. Il aurait pu au contraire se saisir de cette actualité pour
mettre en avant les avantages des parcours de réinsertion ; c’est à mon sens
une occasion manquée.
Le
temps de détention en prison est de plus en plus long, et les conditions de
plus en plus difficiles. Dans ce contexte, toute activité est bonne à prendre.
Surtout à Fresnes, où le contrôleur général des lieux de privation de liberté
avait relevé, en 2016, un climat de violence particulièrement sous tension.
Il
avait également soulevé des pratiques humiliantes de la part du personnel. Dans
cette cohabitation forcée entre personnels de l’administration pénitentiaire et
détenus, ce genre d’activité vise à favoriser le respect et la considération
entre les surveillants et les personnes incarcérées, à apaiser les tensions et,
à terme, à diminuer la violence.
Au
1er avril 2022, la France comptait 71 000 personnes détenues, et fait face à
une surpopulation carcérale croissante (estimée à 120 %), entraînant des
conditions de détention dégradées. La construction de 15 000 places de prison
supplémentaires promises par Emmanuel Macron vous semble-t-elle être la bonne
solution pour endiguer ce fléau ?
Absolument
pas. Depuis 40 ans, on voit se succéder des programmes de construction de
prisons qui ne résolvent en rien la surpopulation carcérale, le nombre de
détenus augmentant également. Cela ne fait qu’aggraver la dette de l’État qui
est déjà importante. Rappelons qu’en 2022, la Justice a alloué un milliard
d’euros à l’investissement immobilier.
Les
15 000 places prévues par le président de la République porteront à 75 000 le nombre total de places de prison,
là où on estime à 80 000 le nombre de personnes incarcérées en 2025. C’est une
course sans fin. Par ailleurs, il faut également s’interroger sur les modèles
d’établissements proposés. Les prisons sont construites à l’extérieur des
villes, loin des centres urbains et des activités économiques, dans des déserts
médicaux qui rendent plus difficile le travail des détenus et leur accès aux
soins. Cette exclusion a un impact sur les conditions de détention. D’ailleurs
on le voit, certaines prisons dites « modernes » enregistrent un taux de
suicides important, comme à Lyon ou à Nantes. Dans ces prisons plus récentes,
le quotidien des personnes incarcérées n’est pas plus facile. Le manque
d’interaction et l’absence de lien avec les surveillants pèsent sur les
personnes incarcérées. Et tout cela ne facilite pas la réinsertion des détenus.
Quelles
seraient, selon vous, les solutions pour faire face à l’augmentation croissante
du nombre de détenus ?
Pour
agir, il faut à mon sens limiter le recours à l’incarcération. Les peines
courtes devraient être interdites. Il faudrait également limiter les
comparutions immédiates, car sans même parler des conditions dans lesquelles
ces personnes sont jugées, cela aurait un impact sur le nombre d’entrées en
prison. De même, il faut limiter le recours à la détention provisoire qui
représente quand même un tiers de la population carcérale, c’est-à-dire 20 000 personnes
qui sont, rappelons-le, présumées innocentes. D’autant plus que ce sont
justement dans les maisons d’arrêt que les conditions de détention sont les
plus dégradées.
Nous
devons donc selon moi favoriser les alternatives, en utilisant les outils déjà
existants de substitution à l’incarcération. Il est tout à fait possible de
placer la personne sous contrôle, sans la mettre en détention. Mais pour cela,
il faudrait aussi davantage « encadrer » les magistrats dans le prononcé des
peines alternatives.
L’aménagement
des peines est aussi un autre levier sur lequel on peut agir. Mais cela ne
semble pas être la priorité pour le gouvernement : le budget 2022 ne réserve
que 39,8 millions d’euros pour les alternatives à l’incarcération, et le
placement à l’extérieur y est complètement sous-doté : avec à 300 000 euros
supplémentaires, il ne permet l’ouverture que de 26 places en plus.
Malgré
les multiples condamnations de la France pour sa surpopulation carcérale et
l’incompatibilité de ses prisons avec l’exigence de dignité humaine, la
situation n’évolue pas. Comment l’expliquez-vous ?
J’ai
bien peur que le gouvernement, le Parlement et les professionnels de justice se
soient tout bonnement habitués à ces conditions de détention pourtant
inacceptables.
À
Bordeaux, par exemple, la prison souffre d’un taux de surpopulation de 200 %,
mais ça ne choque plus personne. Il est temps de faire le constat de l’échec de
la politique pénale !
On
dit qu’il faut travailler sur la réinsertion. Bien sûr, mais il faut surtout
limiter aussi l’incarcération ! Je trouve en effet assez paradoxal d’exclure
quelqu’un de la société, tout en émettant le souhait de le réinsérer. Je pense
au contraire qu’il serait plus judicieux de lui apporter du soutien, avec
notamment un cadre social stable et un accès aux soins.
Cette
année, les personnes détenues ont pu voter par correspondance pour la première
fois pour un scrutin présidentiel (décret d’application du 31 mars 2021). Quel
regard portez-vous sur ce nouveau dispositif ?
Les
détenus ont, comme chaque citoyen, le droit de voter, et cette procédure par
correspondance vient favoriser l’exécution de ce droit. Il reste toutefois
encore beaucoup à faire. L’organisation de cette élection a en effet révélé
certaines difficultés sur lesquelles il faudra agir. Outre le vote par
correspondance, et pour favoriser la participation des détenus aux élections,
nous défendons à l’Observatoire l’installation de bureaux de vote dans les
prisons. Cela est tout à fait possible. Les détenus doivent s’emparer de ce
droit et faire entendre leur voix.
Mais
il faut aller plus loin, car le droit d’expression collective (association,
pétition, tribune ou encore syndicat) est interdit en prison, sous peine de
faute disciplinaire. La parole des détenus est limitée, réprimée. Ils ont
pourtant une place à prendre dans le débat public.
Prévue
par la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, la réforme du
travail pénitentiaire est entrée en vigueur le 1er mai 2022, modifiant le
statut des personnes détenues. Pouvez-vous revenir sur cette réforme et sur le
travail en prison ?
Cette
réforme est une bonne chose, elle modifie notamment le statut des personnes
détenues, avec l’instauration du contrat d’emploi pénitentiaire. On avance,
mais encore une fois, il reste beaucoup à faire. Aux yeux de la loi, les
personnes détenues ne sont toujours pas des travailleurs comme les autres. Ils
bénéficient d’un statut particulier, le droit commun ne s’appliquant pas.
Aujourd’hui,
nous sommes encore dans l’attente d’ordonnances concernant l’ouverture de
nouveaux droits sociaux pour les détenus travailleurs (ouverture de droits à la
retraite ou au chômage après la détention, droit à la formation, couverture des
risques professionnels).
Certaines
avancées sont d’ores et déjà exclues : les maladies non professionnelles ne sont par exemple pas prises en compte,
tout comme le chômage technique ou les congés payés. Il y a également une sous
rémunération, se positionnant entre 20 et 45 % du SMIC.
Aujourd’hui,
30 % des détenus travaillent ; ils étaient 50 % au début des années 2000. Il y
a ceux qui travaillent dans la prison (ménage, cuisine, entretien du bâtiment)
; ils représentent la moitié des détenus travailleurs. Il y a également ceux
qui sont embauchés par une entreprise privée, mais travaillent dans un atelier
installé dans la prison. C’est ce qu’on appelle le régime de la concession. Il
s’agit généralement de travaux manutentionnaires. Il faudrait d’ailleurs à ce
sujet que soit menée une réelle réflexion sur le travail proposé. En outre,
certains travailleurs peuvent, dans certains cas, être employés en dehors du
domaine affecté à l’établissement pénitentiaire, mais sous le contrôle de
l’administration. Puis il y a les emplois pénitentiaires, avec la confection
des uniformes, par exemple.
Le
travail pénitentiaire est un bon levier pour faciliter la réinsertion des
détenus. Il faut le promouvoir et qu’il soit mieux pris en compte dans
l’aménagement des peines.
Propos recueillis par Constance Périn
Le
Guide du prisonnier, pour tout connaître du droit applicable
en détention
Dans un univers carcéral
qui reste, depuis des décennies, le même espace de non-droit aux conditions de
vie souvent dégradantes, des questions élémentaires se posent aux personnes
détenues : que se passe-t-il à l’arrivée en prison ? Comment recevoir des soins
adaptés ? Qui peut bénéficier de réductions de peine ? Comment intenter un
recours contre l’administration pénitentiaire en cas de préjudice ? Ce sont
quelques-unes des questions auxquelles répond Le Guide du prisonnier.
Cette édition couvre de
nombreux sujets, notamment les aménagements de peine, l’évaluation et la prise
en charge de la radicalisation, les droits des personnes étrangères détenues,
etc.
Destiné aux personnes
incarcérées, à leurs proches, aux professions judiciaires, aux intervenants en
milieu carcéral et à tout citoyen s’interrogeant sur les droits des
prisonniers, ce livre accompagne par un jeu de questions-réponses l’intégralité
du parcours pénitentiaire, du premier au dernier jour de prison. Les
différentes étapes – entrer en prison, vivre en prison, sortir de prison – sont
abordées successivement et donnent lieu à une explication claire de la règle de
droit, confrontée à sa mise en œuvre au quotidien et illustrée par des
témoignages, analyses et articles de presse.
Véritable outil de défense
contre l’inapplication de la loi et les atteintes à la dignité en détention, ce
guide est l’ouvrage indispensable pour toute personne liée de près ou de loin
au monde carcéral.
Depuis la parution de cette
dernière édition, plusieurs modifications législatives et réglementaires sont
intervenues. Vous en trouverez les grandes lignes dans une note accessible sur
le site de l’OIP.
Le Guide du prisonnier -
1 088 questions/réponses, OIP et Éditions La Découverte, 2021, 912 pages