Au
lendemain du 133e congrès du Conseil national des greffiers des
tribunaux de commerce qui s’est tenu le 30 septembre
dernier, nous avons souhaité nous entretenir avec la présidente du CNGTC,
Sophie Jonval. L’occasion de revenir sur les temps forts de ce rendez-vous
annuel, mais, plus largement, sur l’avenir de la profession qui a su, en cette
période de crise, maintenir la continuité de la justice commerciale grâce à des
outils numériques innovants.
Le 30 septembre dernier s’est
tenu le 133e congrès des greffiers. Quels moments forts
retenez-vous ?
Je retiens avant tout le plaisir de se retrouver, après une précédente
édition organisée en distanciel. 195 confrères de la métropole et d’outre-mer sur les 230 greffiers que compte la profession, mais
aussi les partenaires, notre autorité de tutelle et 400 personnes étaient présents, à l’Institut du
monde arabe, à Paris, pour une journée d’échanges introduite par le garde des
Sceaux, Éric Dupond-Moretti. Le ministre de la Justice a, à cette occasion,
témoigné toute sa confiance en la profession, en saluant particulièrement la
mobilisation qui a été la nôtre lors des confinements successifs, participant
au maintien de l’activité de la justice commerciale. Il est également revenu
sur l’évolution de nos missions, notamment en ce qui concerne la nouvelle
procédure de traitement de sortie de crise.
La journée était organisée en deux temps : durant la matinée, les
intervenants se sont succédé avec un focus porté sur le statut d’officier
public et ministériel du greffier des tribunaux de commerce et son cadre
réglementé. Il y a ainsi été question de la discipline et déontologie de la
profession, ainsi que de leurs évolutions. Soulignons que la réforme de la
discipline est concernée par le projet de loi pour la confiance dans
l'institution judiciaire. Au cours de l’après-midi, une première table ronde,
interactive, a permis de recueillir les témoignages de greffiers, mais aussi de
présidents de tribunaux quant à leur expérience suite à l’implantation des
greffes de commerce dans les départements et régions d'outre-mer. Des échanges
vivants et positifs ! La seconde table ronde était de son côté destinée à
la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme par l’effort
collectif. Sont intervenus Pascal Daniel, délégué à la Lutte contre la Fraude
(DLF), un représentant de Tracfin, adjoint à la cheffe du département des
affaires institutionnelles et internationales au sein de Tracfin, Éric
Belfayol, chef de la Mission interministérielle de la coordination antifraude
(MICAF), Didier Banquy, président du Conseil d'orientation de la lutte contre
le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (COLB).
Ce congrès était organisé autour du « greffier, entrepreneur de
confiance du service public ». Pouvez-vous revenir sur le choix de ce
thème ?
Nous avions à cœur de mettre en avant le statut d’officier public et
ministériel, propice à la réactivité et à l’efficacité, et qui offre une
agilité dans nos actions, sans peser sur les finances publiques.
En cette période de sortie de crise, comment se portent les entreprises
françaises aujourd’hui ? Doit-on s’attendre à des défaillances
d’entreprises pour les plus fragiles dans les mois à venir ?
Aujourd’hui, les entreprises françaises ne sont pas dans un contexte de
défaillance. Dans cette période inédite, elles ont pu s’appuyer sur un plan
solide de sortie de crise, avec notamment la mise en place des aides
gouvernementales. Nous sommes encore dans un plan de sortie de crise
progressive qui s’associe à une reprise nette de l’activité. Nous constatons
ainsi une forte baisse des procédures collectives, avec un maintien, voire une
hausse dans certains secteurs, des créations d’entreprises. La situation
catastrophique annoncée par certains ne s’est pas produite. Nous pouvons
certainement assister, dans les mois à venir, à un rebond des défaillances
d’entreprises, mais les économistes ne craignent plus un mur de faillites,
comme il avait pu précédemment être annoncé.
Dans ce contexte, les greffiers restent aux côtés
des entreprises au quotidien. Nous nous efforçons de simplifier l’accès à nos
juridictions commerciales et de faire en sorte que le RCS reste un registre de
transparence économique, que nous souhaitons rendre encore plus performant pour
continuer à favoriser le développement économique de la France.
En 2020, la profession a pu s’appuyer sur les outils
numériques développés au cours des 30 dernières années pour assurer la continuité de la
justice commerciale. De quels outils s’agit-il ? Et quelles sont les
innovations en cours de développement ?
Pendant le premier confinement, nous avons en effet
pu compter sur un ensemble d’outils numériques déjà matures.
Face à la fermeture des guichets, la plateforme de
formalités Infogreffe, qui existe depuis plus de 30 ans, a notamment pu répondre efficacement aux besoins des entreprises,
avec 1,5 million de formalités enregistrées en 2020.
Il y a aussi le tribunal digital, qui est apparu très
utile pour les entreprises, lesquelles ont pu saisir directement leur
juridiction en ligne pour prévenir de leurs difficultés. Avec MonIdenum,
véritable identité numérique sécurisée, l’identité du demandeur était
assurément vérifiée. À titre d’exemple, en un an, on avait enregistré 10 000 saisines pendant le confinement, autant que sur deux mois. Nous venons
d’ailleurs d’atteindre un palier symbolique, avec l’enregistrement du
10 000e dépôt.
Pour sa part, l’Observatoire statistique national
tend à « prendre le pouls » de l’activité économique et
entrepreneuriale française, via la publication d’un baromètre trimestriel et de
« Flashs Covid », réalisés pour répondre aux besoins engendrés par le
contexte. Ce service rend publiques de multiples données, et peut notamment
constituer une ressource précieuse pour les collectivités territoriales, en
leur donnant une vision précise de l’activité économique de leur territoire.
Data infogreffe constitue également une source d’information pour les
entreprises, en donnant accès aux données ouvertes des greffes.
Et nous poursuivons en effet notre développement, avec notamment l’open
data des décisions de justice, un dispositif qui concerne donc les décisions
rendues par les 141 tribunaux de commerce et qui doit être effectif fin 2024. Les greffiers
transmettront les décisions à la Cour de cassation, qui est l’opérateur de
cette mise à disposition du public.
"Aujourd’hui, nous sommes dans un plan de
sortie de crise
progressive qui s’associe à une reprise nette de l’activité."
Les toutes premières audiences d'ouverture de procédures collectives à
distance ont également été mises en place durant cette période de confinement.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
Dans l’urgence, il a fallu mettre en place ce service qui n’avait
jamais été expérimenté auparavant. Ce nouveau dispositif s’inscrivait dans la
loi d’urgence, pour tenir des audiences à distance. La visioconférence n’avait
pas encore fait ses preuves en la matière, mais nous nous sommes adaptés et
avons innové. Le premier confinement a débuté, et le 25 mars, nous étions déjà à la recherche d’un
opérateur pour répondre à ce besoin. Pour préserver la confidentialité propre
au secret des procédures judiciaires, nous avons choisi de travailler avec la
plateforme française Tixeo. Et dès le 1er avril, le service était
opérationnel ! 700 audiences de procédures collectives (sauvegarde, redressement et
liquidation judiciaire et de conciliation) au total ont pu être menées en visio
pendant la crise sanitaire. Le système est amené à être pérennisé, mais
seulement à la demande du justiciable, et dans le cadre d’affaires aux enjeux
limités. Toutefois, dans la majorité des cas, je tiens à rappeler qu’un
accompagnement humain est indispensable. Tous ces outils numériques offrent une
certaine agilité, mais ne sont certainement pas là pour se substituer à
l’humain. Nous ne voulons pas du numérique pour de mauvaises raisons :
nous souhaitons plutôt proposer un panel d’accès, mais ça ne remplacera jamais
la relation humaine. Cette présence est indispensable ! Il n’est pas
question d’automatiser les procédures (un contrôle humain est bien sûr assuré),
ni de mettre une machine entre le justiciable et sa justice. Rappelons que
certains Français continuent à ne pas avoir accès au numérique, et nous ne
saurions les laisser sur le bas-côté.
La loi Pacte a également
prévu de créer un organisme unique numérique pour les formalités des
entreprises, et le registre national des entreprises intégralement
dématérialisé. Quel sera le rôle des greffiers au sein de cette nouvelle
organisation et comment le CNGTC s’y prépare-t-il ?
L’article 1er de la loi Pacte
n° 2019-486 du 22 mai 2019 a en effet prévu de substituer aux différents réseaux de centres de
formalités des entreprises (CFE) un guichet unique électronique, géré par
l’Institut national de la propriété industrielle (INPI).
En outre, dans le cadre de la simplification des démarches des
entreprises, l’article 2 de la loi Pacte a
habilité le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance des mesures, avec
notamment la création du registre national des entreprises. Il s’agit de la
fusion des différents registres des entreprises existants en un registre unique
entièrement dématérialisé, également confié à l’INPI, en plus des sociétés
commerciales déjà présentes dans le RNCS. Ce nouveau registre national des
entreprises détiendra les informations des entreprises artisanales, agricoles
individuelles, et les professions libérales, ce qui devrait représenter plus de
10 millions d’entreprises. Ce service a ouvert
le 1er juillet dernier pour les formalistes, et prolongera son
ouverture au grand public le 1er janvier 2023 sur Data INPI. Offrant une meilleure
connaissance des entreprises, ce service vise aussi à favoriser la transparence
des relations économiques.
Le CNGTC a aussi été chargé par les pouvoirs publics de gérer le futur
registre national des sûretés mobilières (cf. réforme des sûretés prévue par la
loi PACTE). Pouvez-vous nous en dire plus ?
Tout à fait, dans le cadre de la réforme des sûretés, un registre
unique des sûretés mobilières sera mis en place par décret, avec, là aussi, une
ouverture prévue au 1er janvier 2023. Dans ce cadre, nous nous
sommes également vus confier la tenue du registre des hypothèques maritimes
(avec un transfert de compétence au 1er janvier 2022) et des warrants
agricoles, précédemment tenus par les douanes et par les tribunaux judiciaires.
Pour sécuriser les outils digitaux, ce service sera basé sur la technologie
blockchain, déjà utilisée dans la mise à jour du RCS entre les greffes.
Ce registre unique de toutes les sûretés mobilières des entreprises
offrira une plus grande lisibilité et un meilleur accès à l’information sur
l’endettement et le financement de l’entreprise française.
Sophie Jonval et Eric Dupond--Moretti au 133e congrès du CNGTC
Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire est en
train d’être étudié au Sénat. Les greffiers ont été consultés dans l’élaboration
des textes. Quelles ont été leurs recommandations et propositions ?
Tout un pan
de ce texte prévoit en effet la réforme de la déontologie des professions
réglementées, et notamment des officiers publics ou ministériels dont nous
faisons partie. Le pendant de ce statut, et du monopole dont nous bénéficions,
est aussi assorti d’obligations de réglementations et de contrôle. Or, les
textes qui régissent la discipline des greffiers des tribunaux de commerce et
de sa déontologie étaient des textes relativement anciens, qui étaient devenus
quelque peu inopérants, parce que la société et la profession évoluent. Nous
nous étions donc demandeurs de cette réforme, et nous étions rapprochés à ce
titre de la Chancellerie, qui travaillait de son côté sur des propositions dans
le cadre de la loi confiance. Ce texte est très consensuel et nous a été soumis
pour consultation. Nous avons fait quelques observations à la marge, mais sur
l’esprit du texte, il y avait vraiment un consensus. Cette réforme nous
satisfait et nous l’accueillons favorablement.
Enfin, vous
étiez présente le 18 octobre, à
Poitiers lors du lancement des États généraux de la justice. Pouvez-vous nous
en dire plus ?
J’ai en
effet été conviée aux États généraux de la justice, et ai eu l’honneur d’avoir
été sollicitée par le garde des Sceaux pour faire partie de l’un des sept
groupes de travail ; plus précisément celui concernant la justice
économique et sociale. Nous allons à ce titre réfléchir à l’analyse des écueils
et formuler des propositions de réformes de la justice, à plus ou moins long
terme. C’est ensuite le gouvernement qui décidera de les mettre en œuvre ou
non. Cela s’appuie aussi sur une large consultation des citoyens, sur le regard
qu’ils portent sur leur justice économique, pénale et civile. Ils sont ainsi
invités à témoigner sur la plateforme « Parlons justice ».
Propos recueillis par Constance Périn