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(78) Un vent de sororité souffle sur la cour d’appel de Versailles

(78) Un vent de sororité souffle sur la cour d’appel de Versailles
Une étudiante et sa marraine signent la charte des Marraines à la cour d'appel de Versailles
Publié le 12/03/2024 à 13:47
Douze magistrates sont devenues les marraines de douze étudiantes en prépa Talents le 8 mars dernier, lors d’une chaleureuse cérémonie d’entraide féministe. Sororité et passage de témoin étaient au programme de cette journée soutenue par l’association Femmes de justice.

Les rayons de soleil qui percent les fenêtres de la salle d’audience n°1 de la cour d’appel de Versailles annoncent l’aube d’un renouveau. Dans une atmosphère gaie émaillée d’échanges chaleureux, douze magistrates s’apprêtent, le 8 mars dernier, à transmettre symboliquement le relai générationnel à autant d’étudiantes de la prépa Talents dont elles deviendront les marraines. Le but : coacher les élèves tout au long de la préparation du concours d’entrée à l’Ecole nationale de la magistrature (ENM).

L’opération intitulée Femmes Entraide Justice est la première cérémonie de ce type organisée par la cour d’appel de Versailles, avec Sciences Po Saint-Germain-en-Laye et l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ). L’initiative est conduite sous le haut marrainage de Chantal Arens, première présidente honoraire de la cour de Cassation, avec la participation de l’association Femmes de justice.

« Se sentir légitime à réussir »

Rédaction d’un CV et d’une lettre de motivation, aide dans la préparation du grand oral… Ces magistrates travaillant à la cour d’appel de Versailles auront un an pour soutenir et accompagner leurs filleules, sélectionnées parmi des élèves boursières, par le biais de contacts réguliers. Les mots d’ordre : sororité et passage de témoin.

« Aujourd’hui, nous portons la même lutte : celle des droits des femmes et du droit pour les femmes de se sentir légitimes à réussir, explique la présidente de Femmes de justice, Sonya Djemni-Wagner, avocate générale chargée de mission au cabinet du procureur général près la cour d’appel de Versailles. C’est d’autant plus important pour nos fonctions de justice, puisque l'égalité fait partie de nos combats ». Le choix de la date, celle de la Journée internationale des droits des femmes, ne doit rien au hasard. « Fêter le 8 mars avec des jeunes est très symbolique, très stimulant, assure la magistrate dans un sourire. C’est une façon de dire que le combat des femmes n’est pas terminé. On passe le relais. »

« Soyez les femmes que vous souhaitez voir »

Et dans les combats, il faut savoir prendre des coups. « Je veux montrer qu’il n’y a pas qu’une voie pour accéder à ce qui est fait pour nous. Un échec est souvent une porte très grande ouverte à d’autres aventures et à des chemins qui peuvent être bien plus inspirants que ceux que l’on avait initialement à l’esprit », lance avec passion Mariella Sognigbé, la directrice pénitentiaire d'insertion et de probation du service pénitentiaire du Val d’Oise, reconnaissable à sa paire de lunettes rondes montée sur des boucles d’oreilles dorées.

Cette pétillante et charismatique trentenaire revient de loin. Après avoir obtenu son master de droit en 2014, elle a « échoué » à la magistrature. Si elle a travaillé comme journaliste en parallèle pendant dix ans, elle choisira finalement d’intégrer Sciences Po Paris. « Puis, j’ai découvert par hasard la fiche de ce qui deviendra mon poste, sur le site du ministère de la Justice », poursuit Mariella Sognigbé, émue de se trouver aujourd’hui dans la salle où elle a prêté serment.

Pour elle, témoigner face à une assemblée de femmes est important. « On est en capacité de générer des changements de posture et d'insuffler quelque chose de plus combatif et dynamique. Je pense que tout est absolument possible », confie-t-elle. Ne rien se refuser : c’est son message pour la prochaine génération. « Mesdames, soyez audacieuses, exhorte-t-elle. N’ayez pas peur, allez-y pleinement. Soyez précisément là où on ne vous attend pas. Soyez les femmes que vous souhaitez voir autour de vous. » Tonnerre d’applaudissements.

La sororité contre les discriminations

« Il faut de l’audace, mais pas seulement : parfois, il y a sur le chemin des obstacles qui ne sont pas de votre fait », nuance toutefois Sonya Djemni-Wagner. La marraine de la première promotion de Femmes Entraide Justice évoque notamment les discriminations liées au genre, encore bien présentes au sein de la justice. Même si les femmes réussissent très bien en concours, elles ne se sentent pas toujours légitimes à les passer. Et même une fois en poche, ces diplômes ne constituent pas une garantie d’accès aux postes à responsabilité, plus souvent occupés par des hommes à niveau de compétence égal, comme le soulignait une étude du Conseil supérieur de la magistrature de 2020.

« Ces derniers mois, beaucoup de jeunes professionnelles nous ont rapporté qu’il y avait encore des problèmes autour de la gestion de la parentalité, développe Sonya Djemni-Wagner. On leur reprochait d'être enceintes, d'être mères, ou encore de ne pas être assez disponibles. » Pour la magistrate, les femmes doivent avoir conscience le plus tôt possible de ces questions, pour ne pas « culpabiliser » et intégrer que c’est l’institution qui est en tort, pas elles. « Ces problèmes se résoudront avec de l’action, de la conviction, et du travail d’équipe. On y arrivera, mais ensemble, conclut Sonya Djemni-Wagner. Il faut un appui et du collectif pour vous aider : c’est ce qui vous est proposé avec ce marrainage ».

« J’aime bien l’idée de pionnières »

Une à une, les paires marraine-filleule se forment pour signer ensemble la Charte des Marraines. Moment redouté : le courant va-t-il passer ? « J'appréhendais un petit peu car j'avais peur de tomber sur une marraine très différente de moi, confie Yohanna Boulay Pesenti, 23 ans. Mais, visiblement, elle est très sympa et ouverte d’esprit, je suis ravie ! En plus elle est présidente d'une chambre de l’instruction et je suis passionnée par la matière pénale : on va vraiment bien s'entendre. »

Au milieu du joyeux brouhaha, Sarah Soula, 27 ans, et la première présidente de chambre à la cour d’appel de Versailles, Nathalie Bourgeois-De Ryck, échangent leurs numéros. La magistrate chevronnée, ancienne conseillère à la Cour de cassation, enfile le costume de marraine par conviction féministe : « J’aime bien l’idée de pionnières, sourit-elle. Il existe encore une forme de plafond de verre, et surtout, d’autocensure : malgré tout, on grandit dans un monde d'hommes. Pour nous, qui avons eu une carrière très riche, c’est important de montrer que c’est possible, en tant que femmes. »

Plus loin, Clémence Benoit, 23 ans, et Soisic Iroz, substitute du procureur général près la cour d’appel de Versailles, partagent un moment de complicité : « C’est une belle rencontre !, s’exclame cette dernière. J’ai croisé tout au long de mon parcours des personnes très inspirantes, notamment des femmes. Elles m'ont prise sous leurs ailes avec l’envie que je réussisse. Aujourd’hui, je souhaite transmettre à mon tour. » Clémence Benoit acquiesce : « Avoir une marraine pourrait me permettre de me projeter vers le poste où j’aimerais arriver un jour, en me disant : je veux être cette femme ». Soisic Iroz sourit et ajoute : « Tout le monde se porte, ensemble. »

Floriane Valdayron

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