Au tribunal
de proximité de Juvisy, en ce matin d’été 2025, la séance est consacrée aux
dossiers de surendettement.
Debout face
au bureau de la juge, une femme aux cheveux gris bataille : « J’ai
remboursé 500 euros en avril 2024 et 500 en décembre 2024. J’ai payé les loyers
en janvier, février et mars 2024.
-
Ce n’est
pas ça le montant du loyer, rétorque l’avocate du bailleur social. Ça, c’est le montant résiduel.
- Si, regardez : 180 euros. Et pour le reste,
je touche l’APL. »
La juge de
proximité de Juvisy examine les documents que cette quinquagénaire inquiète lui
tend. Trois enfants et un bailleur qui demande l’expulsion, sa situation est
très précaire. L’avocate du bailleur regarde ses propres papiers : « Je
n’ai que deux chèques, encaissés en avril.
- Parce que mes chèques ont été perdus. Deux
ont été retrouvés et encaissés, mais pas celui de janvier. J’ai demandé au
bailleur de me faire un papier m’assurant que s’ils retrouvaient le chèque, ils
ne l’encaisseraient pas, comme ça je pouvais en faire un autre tout de suite.
Il n’a pas voulu. Ma banque m’a donc dit de ne pas en refaire un, puisqu’ils
pouvaient encaisser le premier durant un an. »
« J’ai
payé, même quand j’étais en forte dépression ! »
Elle déroule
cet enchaînement de désagréments qui l’ont conduite ici. « La CAF m’a
coupé l’APL à cause de ces défauts de paiement. Il faut que le bailleur dise à
la CAF que je paye. Regardez ! » Elle le montre à la juge : « C’est
payé, c’est payé, c’est payé… Je paye tous les mois ! J’ai payé, même
quand j’étais en forte dépression ! »
L’avocate du
bailleur émet quelques phrases, couvertes par le bruit de la tondeuse de
l’employé qui travaille aux espaces verts, à proximité du tribunal. Toutes les
fenêtres sont ouvertes, une fraîcheur nouvelle vivifie l’air vicié par la
canicule qui écrase la région depuis une semaine.
La femme sort
un autre classeur et commence à montrer des photos de murs moisis. « Je
pense que le bailleur veut m’expulser du fait de nombreux sinistres dans mon
appartement. Regardez, c’est l’état des chambres. Mon logement est insalubre.
- Il faut faire un constat d’huissier et
appeler la mairie, le service d’hygiène va venir et faire un rapport qui sera
transmis au tribunal »,
explique la juge. « Il y a eu des choses mises en place par le bailleur »,
complète l’avocate. « Des devis, faits il y a quatre ans. J’ai été
obligé de faire des travaux moi-même, ma fille, handicapée à 80 %, dormait dans
la moisissure. » Elle ajoute : « Depuis deux ans, le logement
est infesté de punaises de lit. Je ne peux plus mettre de robes. »
La juge
semble prendre note de tous ces éléments. Elle l’informe qu’elle va prononcer
un renvoi au 21 octobre afin qu’elle produise les preuves de tout ce qu’elle
avance. Elle l’avise : « Faites un virement plutôt qu’un chèque, c’est
plus sûr. »
- Mais ça me coûte 8 euros. Je n’ai que 400
euros pour nourrir tout le monde. Je ne peux pas me le permettre. »
« Monsieur,
vous êtes d’accord ? »
La femme aux
cheveux gris rassemble ses documents et part en saluant la juge et l’avocate.
Cette
dernière reste en place. Elle représente le bailleur dans les procédures
suivantes. La présidente appelle un homme qui vient depuis son banc. « Maître,
quel est le montant de sa dette ?
-
Au 7
juin : 4581,50 euros.
-
Monsieur,
êtes-vous d’accord ?
-
C’est
bien ça.
-
Qu’est-ce
que vous pouvez proposer de payer en plus du loyer, pour rembourser votre dette
?
-
200
euros.
-
Cela
vous convient, Maître ?
- Oui. »
Jugement au
21 octobre, qui condamnera Monsieur à rembourser la somme dûe. Elle appelle le
dossier suivant ; Sarah C., absente est « sortie de l’appartement »
et a commencé à rembourser, le bailleur sa désiste donc de sa demande. Dossier
suivant : Monsieur O., « qui doit 5769,09 euros », précise
l’avocate. Monsieur O. est d’accord, et propose lui aussi de rembourser 200
euros par mois. « Jugement le 21 octobre. Si une seule fois vous ne
payez pas l’échéance, alors votre bail risquera d’être résilié et vous risquez
d’être expulsé », prévient la présidente.
Dossier
suivant. Avocate : « Monsieur N. a une dette de 1506,83 euros, mois de
mai inclus. Monsieur verse 200 euros en plus du loyer depuis le mois de
février.
? Monsieur, vous êtes d’accord ? »
Un camion de
la Brinks démarre à fond la caisse au carrefour, on n’entend pas la réponse
mais on la devine positive.
« Vous
souhaitez payer autant ? Si vous voulez, on peut diminuer un peu.
- Non, ça me va. »
M. et Mme B.
sont les suivants. Le monsieur est seul et tend sa CNI à la greffière.
« Le
montant de la dette est très résiduel : 681,72 euros mais ça va être réglé donc
on se désiste de la demande principale », dit l’avocate du bailleur.
« On maintient juste la demande de condamnation aux dépens. »
« Ça
s’est vraiment bien passé. Comme quoi ! »
« Le
jugement 21 octobre vous condamnera aux dépends, c’est-à-dire environ 300 euros
de frais d’huissier », l’informe la présidente.
Ne reste que
Monsieur K., absent, qui doit 5700 euros et n’a rien proposé pour rembourser.
« Ce sera un jugement d’expulsion », annonce la juge. Et puis
Madame W., absente également, qui dit avoir réglé une partie de sa dette, dont
le solde a été effacé par la commission de surendettement. Elle argue de son
frère handicapé et de sa mère nonagénaire dont elle a la charge. L’avocate
précise qu’elle n’a rien payé depuis l’effacement de la dette, en 2023.
Jugement mis à disposition au greffe au 21 octobre.
Ne reste dans
la salle qu’un vieil homme, qui commence à plaider sa cause. La juge l’arrête :
« Vous êtes prévu pour cet après-midi, il faut revenir à partir de
13h30. » La salle est vide. La présidente dit à sa greffière : « Ça
s’est vraiment bien passé. Comme quoi ! »
Julien Mucchielli