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(92) À Nanterre, les incidents d’audience sont au cœur de la thérapie du couple avocat-magistrat

(92) À Nanterre, les incidents d’audience sont au cœur de la thérapie du couple avocat-magistrat
Benjamin Deparis (TJ de Nanterre) et Isabelle Clanet dit Lamanit (barreau 92) ont appris à dialoguer
Publié le 22/03/2024 à 17:40
Et si crever l’abcès des incidents d’audience était le meilleur moyen de rapprocher avocats et magistrats ? Pour célébrer la première édition de la Journée nationale de la relation entre ces deux corps de métier, le barreau des Hauts-de-Seine et le tribunal judiciaire de Nanterre ont organisé, le 21 mars dernier, une formation sur la gestion de ces différends.

« Il y a longtemps, j’ai eu un incident grave à Bobigny, raconte l’avocat Paul Cale, en exercice depuis 50 ans. Un juge d’instruction prend un débat contradictoire à une heure précise ; j'arrive devant son cabinet, qui est vide. Puis, je vois arriver le juge d’instruction, suivi de sa greffière – qui paraissait terrorisée, se remémore-t-il. Comme ça, il me dit : ‘Il n’y avait pas d’effectif de police pour l’escorte. Et ça y est, le débat a été pris. Le mandat de dépôt est confirmé. C’est une affaire criminelle quand même, avec un viol en récidive’ ». 

Le conseil du client envoyé derrière les barreaux essaie de discuter avec le juge d’instruction, qui s’approche de lui « méchamment ». « Je n'exagère pas, assure l’avocat. On en venait presque au face à face physique. Les gendarmes lui prêtaient main forte pour m'exfiltrer de son cabinet. Évidemment, je me suis précipité au greffe pour faire appel ». Il écrit aux bâtonniers de Bobigny et de Nanterre, ainsi qu'à la présidente de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris. C’est cette dernière qui répond à l’appel de Paul Cale et rédige une lettre pour dénoncer la violation de la procédure pénale et faire libérer l’accusé. « Retenons que les deux bâtonniers sont restés totalement inactifs. C’est une magistrate qui est venue à mon secours », s’amuse l’avocat.

L’anecdote fait sourire le parterre de professionnels du droit réunis, le 21 mars, au tribunal judiciaire de Nanterre à l’occasion de la première édition de la Journée nationale de la relation magistrats-avocats. En cette date anniversaire de la promulgation du Code civil, et sur l’initiative du Conseil consultatif conjoint de déontologie de la relation magistrats avocats, il revenait à chaque juridiction d’organiser un événement pour l’occasion. La formation à la gestion des incidents d’audience était au menu de la rencontre préparée par le barreau des Hauts-de-Seine et le TJ de Nanterre.

Un guide de traitement et de règlement amiable des incidents

« On voulait réagir au sentiment que ce sujet n’était pas traité », explique Benjamin Deparis, président du tribunal et magistrat depuis 25 ans. Pour matérialiser leur engagement, les deux institutions ont publié un guide de traitement et de règlement amiable des incidents, signé à l’issue de la formation. Des principes fondamentaux, comme celui de toujours régler l’incident hors la présence des justiciables et du public, à des recommandations applicables à des situations précises, le texte obéit à quatre mots clés : conseil, traitement, prévention et anticipation. « Je trouve que c’est bien de crever l'abcès, d'en parler : on s’empare du sujet de façon paritaire et amiable », commente Benjamin Deparis.

Avocats et magistrats du 92 n’ont toutefois pas attendu cette journée spéciale pour prendre le taureau par les cornes. « On a commencé à travailler autour de la relation magistrats-avocats dès mon arrivée et celle de la bâtonnière, quelques mois plus tard, le 1er janvier 2023 », rappelle le président. Mise en place d’une cafétéria commune, achat de babyfoots… « À partir du moment où on aura su boire un verre ensemble, peut-être qu'on saura se dire les choses différemment quand on se retrouvera en désaccord en salle d’audience », glisse la bâtonnière des Hauts-de-Seine, Isabelle Clanet dit Lamanit, l’air malicieux.

L’idée de moments conviviaux entre avocats et magistrats vient d’elle ; celle d’une éthique partagée de Benjamin Deparis. Elle s’est concrétisée par des entretiens de déontologie et un cycle de conférences trimestrielles. « Quand nous avons pris nos fonctions avec le vice-bâtonnier Fabien Arakelian nous étions dans une période de relation extrêmement tendue avec nos chefs de juridiction », raconte Isabelle Clanet dit Lamanit. De ce constat est née une volonté : celle d’apporter du mieux-être à chacun dans ses conditions de travail. En se tournant vers le président, la bâtonnière reprend : « Vous étiez dans cette même urgence. On a appris à dialoguer : vous avez adhéré à mes idées et moi aux vôtres. »

Relation avocats-magistrats : « Il faut y croire »

Dans cette perspective, la prochaine conférence du barreau des Hauts-de-Seine et du tribunal judiciaire de Nanterre portera sur la connaissance de l’autre. « Quand on connaît les contraintes de la personne en face, on n’est pas en surréaction face à une situation de tension, estime Benjamin Deparis. Et, qu'on le veuille ou non, nos audiences sont en permanence des situations de tension ». Que ce soit la question du temps de parole comme celle de la gestionprévisionnelle ou au jour le jour – des audiences, les avocats et magistrats sont confrontés à plusieurs facteurs « irritants ».

« On a une marge de progression, assure le président. Je ne prétends pas que tout est parfait ». Il évoque notamment l’ordre de passage dans les audiences et le séquençage des convocations : un sujet « compliqué » mais sur lequel « il faut se questionner » pour apporter une réponse dans les mois à venir. « La relation magistrats-avocats n’est pas un long fleuve tranquille : elle se cultive. Il faut y croire », lance Benjamin Deparis dans un sourire.

Floriane Valdayron

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