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(92) Place aux « premières femmes » au barreau des Hauts-de-Seine

(92) Place aux « premières femmes » au barreau des Hauts-de-Seine
La soirée du 7 mars au barreau des Hauts-de-Seine consacrait les pionnières du droit en France
Publié le 08/03/2024 à 12:48
Quelques jours après la constitutionnalisation de l’avortement, l’ordre a jeté un regard dans le rétroviseur féministe lors d’une une table ronde consacrée, le 7 mars, aux pionnières du droit français.

Une ambiance solennelle s’est installée dans la salle de conférence du barreau des Hauts-de-Seine. En cette soirée du 7 mars, veille de la Journée internationale des droits des Femmes, l’ordre des avocats ravive la flamme du souvenir. Après un premier évènement consacré aux « femmes inspirantes » l’an dernier, c’est au tour de celles qui ont marqué l’Histoire de l’interprofession d’être mises à l’honneur. Sur l’estrade, trois d’entre elles : Noëlle Lenoir, première femme nommée au Conseil constitutionnel, Dominique de La Garanderie, première femme élue bâtonnière du barreau de Paris, et Anne Sireyjol, avocate, et autrice du livre La première avocate Marguerite Dilhan, autoédité en 2019. Ce casting ambitieux est complété par l'ancienne Première ministre Edith Cresson, présente via une interview filmée en amont.

La constitutionnalisation de l’avortement, « une décision politique »

La table ronde s’ouvre sur une vidéo, intitulée Premières. Une dizaine d’avocats, hommes comme femmes, se prêtent au jeu d’un question-réponse sur l’évolution des mentalités au sein de l’avocature. Le métrage donne la parole à celles qui ont ouvert le chemin du féminisme dans le droit, et chacun dans la salle mesure la distance parcourue : le 4 mars, la France est devenu l’un des premiers pays au monde à inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution.

« Ce n’est pas la fruit d’un combat mais une décision politique », commente Noëlle Lenoir, qui a participé à la préparation du projet de loi bioéthique en 1990. « Mais le fait d’être les premiers envoie un bon signal aux autres pays, poursuit-elle, [car] les droits des femmes ont régressé dans le monde, surtout dans les pays théocrates. » Beaucoup d’avocats interrogés par le barreau partagent ce sentiment : le 8 mars doit continuer d’exister par égard pour les iraniennes, les afghanes, et toutes les femmes qui ne peuvent disposer de leurs propres corps à travers le monde. Mais aussi pour faire exister des vies oubliées, enfouies dans l’Histoire.

Une pensée pour les absentes

« Actuellement, on redécouvre les destins de certaines femmes », souligne Noëlle Lenoir. Comme celui de Marguerite Dilhan, devenue en 1901 la troisième femme française à avoir passé le barreau, après Olga Balachowski-Petit et Jeanne Chauvin. Mais comme le souligne Anne Sireyjol, qui lui a consacré un ouvrage, elle est la seule à avoir atteint cinquante ans de carrière. « Elle est la première avocate de France à avoir plaidé en cour d’assises, six mois seulement après avoir prêté serment, resitue Anne Sireyjol. Et elle est parvenue à faire éviter la peine de mort à sa cliente, accusée d’avoir tué son gendre. »

Après trois ans d'exercice, Marguerite Dilhan obtient l’acquittement d’Arria Ly, une militante féministe qui a tiré sur un médecin qu’elle soupçonnait d’être impliqué dans la mort de son père. L’engagement de l’avocate établie à Toulouse se poursuit avec des plaidoiries devant les conseils de guerre pendant la Grande Guerre, puis elle défend les républicains espagnols réfugiés dans sa région à la fin des années 1930.

Les plus grandes forces de cette oubliée de l’Histoire sont sa vivacité et sa capacité à déployer des ressources subtiles pour ses clients, analyse Anne Sireyjol. Comme cette fois où elle défend un homme dépossédé de sa maison par les assurances. Criblé de dettes, il tente de porter atteinte à la vie de l’avoué représentant la compagnie et doit passer en correctionnelle. Consciente que les juges seraient moins empathiques qu’un jury populaire, l’avocate conteste la décision. Et obtient raison.

« Jouez la comédie »

Confronté à ce récit de réussite par l’abnégation, le doute est-il permis en tant que femme de droit ? Une étudiante interroge Noëlle Lenoir. « Il faut douter de soi-même, c’est un atout, lui lance en réponse l’ancienne sage de la rue de Montpensier. La certitude, ça n’existe pas. Jouez la comédie, et ça marchera ! Les rapports de force existent, et il faut apprendre à les gérer toute sa vie. On m’a beaucoup reproché d’être moi-même. Mais on ne peut pas y faire autrement. »

Dominique de La Garanderie laisse échapper un rire : elle aussi était « un peu kamikaze » en prétendant au bâtonnat de Paris en 1997. « Mon opposant avait 90 voix d’avance, à ce stade je n’y croyais plus, relate-t-elle. C’était sans compter ces centaines de femmes qui sont entrées en scène en se disant que c’était le bon moment, et qui ont voté pour moi. Sans elles, je n’aurais jamais remporté ces élections. »

L’ancienne Première ministre socialiste Edith Cresson partage ce constat : c’est dans l’adversité que se forge la voie féministe. « Quand j’ai accepté de devenir Première ministre, je ne pensais pas rencontrer un tel tollé, se souvient l'ancienne élue. Les choses évoluent. Suite à sa nomination, Elisabeth Borne n’a pas souffert du même traitement. Mais le mouvement féministe continue, et les femmes ont raison de le perpétuer. Il ne faut pas relâcher ses efforts, il ne faut rien laisser passer. »


Ouvrir le dialogue sur les violences sexistes

Ces dernières années, les slogans et hashtags visant à ouvrir le dialogue sur les violences sexuelles et sexistes dans la profession d’avocat se sont multipliés, comme le compte Balance ton cabinet d’avocats sur Instagram, Paye ta robe et #Jesuispasséparuncab sur X. Dans un sondage lancé par la Commission harcèlement et discrimination (Comhadis) du barreau de Paris, 40% des répondants auto-déclarés victimes de harcèlement imputaient ce mauvais traitement au sexisme. Pour endiguer ces phénomènes, la Conférence des barreaux a créé en 2023 une plateforme de signalements de faits de discrimination et de harcèlement à destination des avocats issus des 163 barreaux de France (hors Paris).



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