Quelques jours après la
constitutionnalisation de l’avortement, l’ordre a jeté un regard dans le
rétroviseur féministe lors d’une une table ronde consacrée, le 7 mars, aux
pionnières du droit français.
Une ambiance solennelle s’est
installée dans la salle de conférence du barreau des Hauts-de-Seine. En cette
soirée du 7 mars, veille de la Journée internationale des droits des Femmes, l’ordre
des avocats ravive la flamme du souvenir. Après un premier évènement consacré
aux « femmes inspirantes » l’an dernier, c’est au tour de celles
qui ont marqué l’Histoire de l’interprofession d’être mises à l’honneur. Sur
l’estrade, trois d’entre elles : Noëlle Lenoir, première femme nommée au
Conseil constitutionnel, Dominique de La Garanderie, première femme élue bâtonnière
du barreau de Paris, et Anne Sireyjol, avocate, et autrice du livre La
première avocate Marguerite Dilhan, autoédité en 2019. Ce casting ambitieux
est complété par l'ancienne Première ministre Edith Cresson, présente via une interview
filmée en amont.
La constitutionnalisation de
l’avortement, « une décision politique »
La table ronde s’ouvre sur
une vidéo, intitulée Premières. Une dizaine d’avocats, hommes comme
femmes, se prêtent au jeu d’un question-réponse sur l’évolution des mentalités
au sein de l’avocature. Le métrage donne la parole à celles qui ont ouvert le
chemin du féminisme dans le droit, et chacun dans la salle mesure la distance parcourue : le 4 mars, la
France est devenu l’un des premiers pays au monde à inscrire le droit à
l’avortement dans la Constitution.
« Ce n’est pas la
fruit d’un combat mais une décision politique », commente Noëlle
Lenoir, qui a participé à la préparation du projet de loi bioéthique en 1990.
« Mais le fait d’être les premiers envoie un bon signal aux autres pays,
poursuit-elle, [car] les droits des femmes ont régressé dans le monde,
surtout dans les pays théocrates. » Beaucoup d’avocats interrogés par
le barreau partagent ce sentiment : le 8 mars doit continuer d’exister par
égard pour les iraniennes, les afghanes, et toutes les femmes qui ne peuvent
disposer de leurs propres corps à travers le monde. Mais aussi pour faire
exister des vies oubliées, enfouies dans l’Histoire.
Une pensée pour les absentes
« Actuellement, on
redécouvre les destins de certaines femmes », souligne Noëlle Lenoir. Comme
celui de Marguerite Dilhan, devenue en 1901 la troisième femme française à
avoir passé le barreau, après Olga Balachowski-Petit et Jeanne Chauvin. Mais
comme le souligne Anne Sireyjol, qui lui a consacré un ouvrage, elle est la
seule à avoir atteint cinquante ans de carrière. « Elle est la première
avocate de France à avoir plaidé en cour d’assises, six mois seulement après
avoir prêté serment, resitue Anne Sireyjol. Et elle est parvenue à faire
éviter la peine de mort à sa cliente, accusée d’avoir tué son gendre. »
Après trois ans d'exercice, Marguerite
Dilhan obtient l’acquittement d’Arria Ly, une militante féministe qui a tiré
sur un médecin qu’elle soupçonnait d’être impliqué dans la mort de son père.
L’engagement de l’avocate établie à Toulouse se poursuit avec des plaidoiries
devant les conseils de guerre pendant la Grande Guerre, puis elle défend les
républicains espagnols réfugiés dans sa région à la fin des années 1930.
Les plus grandes forces de
cette oubliée de l’Histoire sont sa vivacité et sa capacité à déployer des
ressources subtiles pour ses clients, analyse Anne Sireyjol. Comme cette fois où
elle défend un homme dépossédé de sa maison par les assurances. Criblé de
dettes, il tente de porter atteinte à la vie de l’avoué représentant la
compagnie et doit passer en correctionnelle. Consciente que les juges seraient
moins empathiques qu’un jury populaire, l’avocate conteste la décision. Et
obtient raison.
« Jouez la comédie »
Confronté à ce récit de
réussite par l’abnégation, le doute est-il permis en tant que femme de droit ?
Une étudiante interroge Noëlle Lenoir. « Il faut douter de soi-même,
c’est un atout, lui lance en réponse l’ancienne sage de la rue de
Montpensier. La certitude, ça n’existe pas. Jouez la comédie, et ça
marchera ! Les rapports de force existent, et il faut apprendre à les
gérer toute sa vie. On m’a beaucoup reproché d’être moi-même. Mais on ne peut
pas y faire autrement. »
Dominique de La Garanderie laisse
échapper un rire : elle aussi était « un peu kamikaze »
en prétendant au bâtonnat de Paris en 1997. « Mon opposant avait 90
voix d’avance, à ce stade je n’y croyais plus, relate-t-elle. C’était
sans compter ces centaines de femmes qui sont entrées en scène en se disant que
c’était le bon moment, et qui ont voté pour moi. Sans elles, je n’aurais jamais
remporté ces élections. »
L’ancienne Première ministre
socialiste Edith Cresson partage ce constat : c’est dans l’adversité que
se forge la voie féministe. « Quand j’ai accepté de devenir Première
ministre, je ne pensais pas rencontrer un tel tollé, se souvient l'ancienne élue. Les choses évoluent. Suite
à sa nomination, Elisabeth Borne n’a pas souffert du même traitement. Mais le
mouvement féministe continue, et les femmes ont raison de le perpétuer. Il ne
faut pas relâcher ses efforts, il ne faut rien laisser passer. »
Ouvrir le dialogue sur les
violences sexistes
Ces dernières années, les
slogans et hashtags visant à ouvrir le dialogue sur les violences sexuelles et
sexistes dans la profession d’avocat se sont multipliés, comme le compte Balance
ton cabinet d’avocats sur Instagram, Paye ta robe et #Jesuispasséparuncab
sur X. Dans un sondage lancé par la Commission harcèlement et discrimination
(Comhadis) du barreau de Paris, 40% des répondants auto-déclarés victimes de
harcèlement imputaient ce mauvais traitement au sexisme. Pour endiguer ces
phénomènes, la Conférence des barreaux a créé en 2023 une plateforme de
signalements de faits de discrimination et de harcèlement à destination des
avocats issus des 163 barreaux de France (hors Paris).
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