Dimanche 15 août 2021,
la ville de Kaboul est prise par les talibans. Le groupe islamiste, qui a déjà
dirigé l’Afghanistan de 1996 à 2001,
s’empare de la capitale afghane. Très rapidement, en France et dans le monde,
les professionnels du droit appellent la communauté internationale et les
autorités compétentes à réagir afin de protéger les ressortissants étrangers,
mais aussi la population locale mise en danger, parmi lesquelles les femmes
magistrats, présentées, dans ce contexte, comme particulièrement vulnérables.
Après vingt années de guerre – l’intervention américaine et internationale débutant
après les attentats du 11 septembre 2001 face au refus du régime taliban de l’époque, en Afghanistan, de livrer
Ben Laden –, le mouvement islamiste a repris le pouvoir dans le pays.
En
réaction, la France, après un engagement militaire en Afghanistan de 13 années de 2001 à 2014, ayant cédé la place, le 31 décembre 2014, à l’action civile, a
déclenché, à la demande du Président de
la République, le 15 août dernier, l’opération Apagan, opération d’exfiltration organisée
par les forces armées françaises, et notamment l’Armée de l’air et de l’espace.
Dans son
allocution du 16 août, au lendemain de la prise
de la capitale afghane, Emmanuel Macron a particulièrement pointé « l’urgence absolue (…) de mettre en sécurité
nos compatriotes, qui doivent tous quitter le pays, ainsi que les Afghans qui
ont travaillé pour la France », assurant qu’elle aidera « de nombreux Afghans, défenseurs des droits,
artistes, journalistes, militants (…) aujourd’hui menacés en raison de leur
engagement ». Dans ce contexte, tous les Afghans, et en particulier les
femmes, les personnes travaillant dans le secteur de la justice et les
défenseurs des droits de l’homme, sont présentés comme des personnes en danger.
Mais
dans son allocution, le président de la République a également relevé les
risques liés aux flux migratoires irréguliers provoqués par ce désordre, dont
il fallait se protéger. Des propos qui n’ont pas manqué de faire réagir les
instances représentatives des acteurs du droit, en France.
Pour la
défense du droit d’asile
Dès le 17 août, dans un communiqué commun, le Syndicat
de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, le Gisti, l’Association
de défense des droits des étrangers, La Cimade et la Ligue des droits de l’homme réagissaient aux propos du chef de
l’État, les jugeant « indignes de la tradition française de l’accueil
et de l’asile ». Ils y rappellent « l’obligation du respect
absolu et inconditionnel de la Convention de Genève sur l’asile et des textes
de l’Union européenne de protection des populations persécutées. Le personnel
civil ayant travaillé pour les autorités françaises et les magistrat·e·s et avocat·e·s afghan·e·s ne sont pas les
seul·e·s que le France doit rapatrier. Contrairement à ce qui a été jugé il y a
quelques mois par la Cour nationale du droit d’asile, il y a pour chaque Afghan
ou Afghane un risque réel de menace grave contre sa vie et sa personne :
il est impératif et urgent de renoncer aux décisions indignes aboutissant à
l’expulsion de milliers d’Afghans (…) Nous exigeons l’ouverture de voies
légales afin que tou·te·s les Afghanes et Afghans persécuté·e·s qui le
sollicitent, ainsi que les familles de ceux qui sont déjà bénéficiaires de la
protection internationale accordée par la France, puissent rejoindre rapidement
le sol français directement depuis Kaboul. Nous exigeons l’arrêt des procédures
issues du règlement Dublin, le retrait de toute mesure d’éloignement à
l’encontre de demandeurs d’asile afghans et l’accord accéléré de la protection
qu’ils doivent recevoir en France afin de leur permettre d’accéder à l’emploi
et à un hébergement dignes. (…) Sixième puissance économique mondiale, la
France a les moyens d’accueillir les exilé·e·s d’Afghanistan. Surtout, nous en
avons le devoir historique ! ».
Suivant le
pas, les avocats français, par la voix de leurs barreaux et des instances
représentatives, ont, de leur côté, immédiatement rappelé leur attachement indéfectible à l’application pleine et entière du droit
d’asile pour tous les réfugiés afghans. Pour Oliver Cousi, bâtonnier
de Paris, « Il est primordial que les
gouvernements étrangers octroient des visas en urgence pour les civils que les
talibans pourraient prendre pour cible en raison de leur travail passé ou de
leur statut. Actuellement, suspendre toute expulsion vers l’Afghanistan est une
nécessité absolue et les Afghans qui fuient leur pays doivent pouvoir
bénéficier de réelles possibilités d’obtenir l’asile ». Depuis la mi-juillet déjà, les avocats français unissent leurs moyens et leurs démarches pour venir en aide aux confrères,
magistrats, juristes et défenseurs des droits de l’homme menacés en
Afghanistan. « Ils veilleront à la pleine application de ce droit
partout en France, et pour tous les réfugiés. Le consensus international, qui
considère que le peuple afghan est aujourd’hui en danger, doit entraîner en
France l’application la plus absolue du principe de l’asile, qui est
constitutif de notre État de droit », déclarait la profession dans un
communiqué commun.

En France,
de nombreux barreaux se préparent à accueillir celles et ceux qui auront besoin
d’aide matérielle et professionnel le,
confiait également le CNB dans un communiqué en date du 27 août, affirmant que
la profession restait mobilisée « pour
assister et défendre les demandeurs d’asile et les aider à organiser les
réunifications familiales avec les réfugiés afghans déjà présents en France ».
Vivement engagée, la
profession, en contact permanent avec les autorités françaises pour faire
valoir ces demandes (le garde des Sceaux ayant mis à leur disposition une
cellule de crise qui coordonne les actions) a constitué et signalé au ministère
de la Justice ainsi qu’au ministère des Affaires étrangères plus de 200 dossiers de personnes menacées qui
pourraient être accueillies d’urgence en France avec leurs familles, précisait
le CNB.
Inquiets de
la situation en Afghanistan, les membres du G7 des avocats et le CCBE se sont par ailleurs
mobilisés pour défendre les droits de tous les réfugiés ainsi que des avocats
et juristes menacés, et ont publié une déclaration commune. Par ce biais, ils
ont réaffirmé leur attachement au droit d’asile, et le droit pour les afghans
de quitter leur pays et de se rendre dans un autre pays en toute sécurité et
exhortent les gouvernements respectifs « à assurer la sécurité de tous les
défenseurs des droits de l’homme et en particulier des femmes afghanes, juges
et avocates. »
Appels pour
la protection des femmes magistrates
Parmi les
personnes particulièrement en danger suite au contrôle du pays par les
talibans, il y a les femmes magistrates.
Le 13 août, alors qu’une prise de Kaboul par les talibans
n’était encore qu’une hypothèse, l’Association internationale des femmes juges
(AIFJ) et sa présidente, Madame la juge Susan Glazebrook, craignait déjà « fortement pour les droits
fondamentaux des femmes et des jeunes filles en Afghanistan »
en général, et pour les femmes juges
en particulier, « en raison de la nature de leur travail et des
décisions qu’elles ont rendues dans le passé dans des tribunaux pénaux,
anticorruption et familiaux ». « Ces dangers sont exacerbés
par leur sexe et la probabilité que les personnes qu’elles ont condamnées
soient libérées de prison. En exerçant la fonction de juge et en contribuant au
développement du pouvoir judiciaire afghan, les femmes juges ont aidé à établir
l’État de droit dans leur pays, pilier essentiel d’un État démocratique. Il
serait tragique de les laisser à la merci des talibans et des groupes
d’insurgés, compte tenu des sacrifices qu’elles ont consentis »,
alertait l’AIFJ.
L’organisation, composée de plus de 6 500 femmes juges issues de plus de 100 pays et territoires dans
le monde, a également souhaité rendre hommage à l’engagement et au courage des
quelque 270 femmes juges qui exercent dans le pays. Une centaine
d’entre elles, réunies autour de l’Association des femmes juges afghanes, ont
pu, lors d’une réunion virtuelle avec l’AIFJ, évoquer « les conditions
dangereuses et difficiles dans lesquelles elles vivent et travaillent » :
« Certaines juges ont perdu la vie dans des attaques terroristes et
plusieurs des juges présentes ont reçu des menaces », assure l’AIFJ.
« Elles demandent simplement qu’on leur permette de poursuivre leur
travail vital dans les tribunaux de leur pays en toute sécurité. Certaines ont
déjà été contraintes de fuir leur poste en province avec leur famille, car il
était devenu trop dangereux de rester. », pointait l’association.
Dans une lettre datée du 15 août adressée au
président de la République français, avant la prise de Kaboul, le Syndicat de
la magistrature et l’Union syndicale des magistrats confiaient déjà, eux aussi,
leurs craintes pour les femmes exerçant les fonctions de magistrats dans ce
pays. « Deux magistrates afghanes ont ainsi été assassinées en janvier
2021 », rappelaient-ils. « Il existe un risque qu’il ne soit
plus possible pour les potentielles victimes des talibans de prendre la fuite
et de demander l’asile. », alertaient les organisations syndicales
françaises.
De son côté, le 23 août dernier, la juge Nina Betetto, présidente du
Conseil consultatif de juges européens (CCJE) (instance consultative du Conseil
de l’Europe sur les questions relatives à l’indépendance, l’impartialité et la
compétence des juges, et représentant les membres du CCJE qui sont des juges en
exercice de tous les États membres du Conseil de l’Europe), a elle aussi publié
une déclaration officielle concernant le soutien aux besoins de protection
des juges et autres professionnels du droit afghans. La Présidente du CCJE
appelait les autorités compétentes des États membres du Conseil de l’Europe « à veiller à ce que des mesures efficaces soient prises, conformément
aux normes de droit international humanitaire et des droits de l’homme, pour
assurer leurs déplacements en toute sécurité, leur mise à l’abri et leur
protection. » Le Rapporteur spécial des Nations
Unies sur l’indépendance des juges et des avocats a également exhorté la
communauté internationale à s’engager d’urgence dans les efforts visant à
protéger l’intégrité personnelle et la vie des femmes juges et de leurs
familles et à les aider à quitter l’Afghanistan immédiatement. La Présidente du
CCJE soulignait à cet
égard « que le droit à la vie et le droit
à la liberté et à la sécurité sont des droits fondamentaux de l’homme qui
doivent être garantis et protégés par tous les moyens ».
Un appel soutenu par MEDEL (Magistrats européens pour la démocratie et les
libertés) et son président Filipe César Marques, qui, dans une lettre adressée
au Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCNUR), confirmait la
disponibilité de MEDEL à aider à l’installation de tous les magistrats, avocats
et défenseurs des droits de l’homme qui parviendraient à s’échapper. « MEDEL
est solidaire avec tous les magistrats afghans et demande aux acteurs
internationaux de protéger activement toutes les femmes, y compris les
magistrates, qui voient leur vie mise en danger par la détérioration de la
situation », affirmait Filipe César Marques.
En France, dans un communiqué en date du 18 août,
au travers de sa commission des Droits de l’Homme et des libertés, la
Conférence des bâtonniers s’est à son tour exprimée sur la situation en
Afghanistan et la mise en danger des personnels de justice. Inquiète de la situation des avocats et des
magistrats exerçant ou ayant exercé dans ce pays, et plus particulièrement des
femmes, la Conférence demandait « avec
force au gouvernement français d’intervenir d’urgence » pour
s’assurer de la sauvegarde de l’existence de ces personnes et de leur offrir l’asile
politique en France.
De même, pour le barreau de Marseille, « les magistrates afghanes, juges, mais aussi avocates, qui ont œuvré
pendant ces vingt dernières années dans un contexte
difficile de reconstruction des institutions du pays, au service de la
protection des libertés, de l’égalité des citoyens, et d’une justice
indépendante, voient aujourd’hui leur vie menacée du simple fait de leur
engagement pour des valeurs défendues par la France et par l’Union
européenne ». « Les
femmes magistrates et avocates afghanes courent un grave danger en raison des
valeurs d’égalité, de liberté et de justice qu’elles portent au quotidien, et
n’ont désormais guère d’autre solution pour protéger leur vie que d’envisager
de quitter leur pays »,
déclarait-il.
Enfin, l’International Association of Judges (IAJ), au lendemain de la
prise de Kaboul, considérait à son
tour que la communauté mondiale avait clairement le
devoir de soutenir ceux qui se retrouveront désormais du mauvais côté du
nouveau régime. Elle dit soutenir « la
primauté du droit et l’indépendance du pouvoir judiciaire », fondements d’une société libre et ordonnée dans
laquelle les gens peuvent vivre en paix et en sécurité et considère qu’il est
de son devoir de venir en aide à ceux qui soutiennent ces principes, au risque
de leur vie.
Malgré la déclaration de
la fin des évacuations française le 27 août au soir, les avocats poursuivent leur mobilisation, afin notamment
d’envisager des rapatriements à venir sous d’autres formes, assure le CNB. « Nous
souhaitons insister sur la nécessité de fournir un accès humanitaire sûr et
sans entrave à tous les Afghans qui craignent avec raison d’être persécutés et
c’est le sens des initiatives qui pourraient être portées par la France au
Conseil de sécurité des Nations unies. Face à cette tragédie, vos institutions
sont unies, s’organisent, agissent, guidées par les valeurs d’humanité qui sont
les nôtres ».
Constance Périn