Les résultats financiers du
groupe automobile Stellantis étaient au plus mal au premier semestre 2024. Des
résultats qui ont provoqué la colère de quelques investisseurs puisqu’ils
viennent d’attaquer en justice le groupe, l’accusant de les avoir trompés. Cette
première réaction a été suivie d’une autre plainte d’actionnaires, cette
fois-ci, dans l’affaire du « Dieselgate ».
Le 15 août dernier, une
plainte d’actionnaires américains de Stellantis est déposée au tribunal fédéral
de Manhattan, rapporte l’agence Reuters. Les investisseurs accusent le groupe,
fort de 14 marques et né de la fusion de Fiat Chrysler et PSA, d’avoir
artificiellement gonflé le cours de ses titres, durant une partie du premier
semestre 2024. Les investisseurs suspectent Stellantis d’avoir réalisé des
évaluations « extrêmement positives », pour empêcher la
dégringolade de son titre, en bourse.
Les plaignants réclament des
dommages et intérêts, sur la période allant de février à juillet 2024, au
groupe franco-italo-américain qui détient de grandes marques telles que Citroën,
Opel, Peugeot, Fiat ou encore Alfa Romeo. Le 28 août, une seconde action en
justice est amorcée par d’autres actionnaires du groupe. Cette fois-ci, ils
accusent Stellantis de leur avoir caché l’utilisation de logiciels illégaux,
permettant de falsifier les résultats d’émission des véhicules diesel. Ces deux
plaintes s’inscrivent dans un climat social et financier de plus en plus
conflictuel au sein du groupe, et plus particulièrement sur le marché
nord-américain.
Un premier semestre 2024 à la
peine
Depuis sa création en 2021,
Stellantis avait toujours enregistré une forte croissance. Le groupe atteignait
même des records au cours de l’année 2023. Mais le vent semble avoir tourné
pour le constructeur qui, en juillet dernier, annonçait des résultats en berne.
Au cours du premier semestre 2024, Stellantis observe une baisse de livraison
de véhicules de 18 %, une diminution de son chiffre d’affaires net de 14 % et
un bénéfice net en chute libre de 48?% (soit une perte de 5,6 milliards
d’euros). Aussi, son résultat opérationnel chute de 40,1 %, quand sa marge
opérationnelle courante s’établit à 10 % pour le premier semestre 2024, contre
14,4?% au premier semestre 2023. En revanche, la marge opérationnelle courante
du groupe demeure élevée pour le secteur automobile.
Selon le groupe, la baisse
significative de ses résultats s’explique en partie par les difficultés
rencontrées sur le marché nord-américain. Cette région préoccupe
particulièrement Stellantis, car elle enregistrait les meilleures performances
du consortium, au cours des dernières années. Or, durant le premier semestre
2024, le chiffre d’affaires issu du marché nord-américain s’est abaissé de 16,5
% tandis que sa marge opérationnelle a fondu de 11,4 %. Selon le constructeur, cette
contreperformance outre-Atlantique s’expliquerait par un recul du volume des
ventes, par des effets de change défavorables, mais aussi par des
restructurations internes. Un coup dur pour Stellantis, même si le marché
nord-américain reste le premier pour le groupe, puisqu’il cumule 45 % de ses
ventes.
Le directeur général de
Stellantis, Carlos Tavares, n’a pas caché sa déception, dans un communiqué de
presse publié le 25 juillet dernier : « Je ne suis pas satisfait
des résultats du premier semestre. Si vous n’avez pas de profits récurrents
pour investir dans de nouveaux produits que veulent acheter les clients, vous
disparaissez ». Des résultats décevants que le PDG de Stellantis
justifie par « un contexte industriel difficile » et des
« difficultés opérationnelles ». Malgré les inquiétudes, le
groupe reste positif et déclare : « Nous restons profitables aux
États-Unis, avec une rentabilité à deux chiffres. Carlos Tavares est là pour
améliorer la performance et relancer un peu la mécanique, parce que c’est le
premier centre de profits pour Stellantis ».
Il convient de noter que le
cas de Stellantis s’insère dans une tendance de marché plus globale. En effet,
pour ce premier semestre 2024, le marché mondial de l’automobile a enregistré
une stabilisation de ses résultats, alors que, lui aussi, avait vu ses chiffres
atteindre des record l’an dernier. Du côté du marché français, la tendance
était dynamique en début d’année, avant d’observer un ralentissement de plus en
plus marqué, jusqu’au mois d’août 2024. Ainsi, selon la Plateforme automobile
(PFA), qui rassemble la filière automobile en France, le marché des véhicules
particuliers a observé une chute de 24,3 % des immatriculations, en août
dernier. Et ce déclin du marché de l’automobile neuf pourrait durer, comme
l’explique, à l’agence Reuters, Marc Mortureux, le directeur général de la
PFA : « On ne voit pas aujourd'hui d'éléments qui pourraient
permettre un rebond rapide à la rentrée. Dans le contexte économique actuel, le
consommateur a plutôt tendance à épargner, et la fin de l'année va dépendre
aussi du contexte ».
Des actionnaires américains
accusent Stellantis de tromperies et l’attaquent en justice
Après l’annonce des résultats
financiers de Stellantis, son cours en bourse a mécaniquement chuté. Le titre
avait pourtant atteint un niveau historique en mars dernier, avant de
s’effondrer cet été. Ainsi, l’action de Stellantis est passée de 27 euros à 14
euros, au mois d’août. Et les déclarations optimistes de Stellantis, après la
publication de ses résultats, ne suffisent pas à apaiser la colère des
actionnaires américains du groupe. Face à une telle chute libre du prix de
l’action, certains investisseurs américains ont engagé des poursuites pour « déclarations
trompeuses ». Les plaignants accusent Stellantis d’avoir
artificiellement gonflé ses résultats au cours du premier semestre 2024, alors
que ces derniers étaient médiocres. Le groupe aurait réalisé des évaluations « extrêmement
positives » de ses stocks de voitures et de pièces détachées, de ses
nouveaux produits et de sa marge opérationnelle.
Cette supposée manipulation
aurait permis au titre de Stellantis, côté aux bourses de Paris, New-York et
Milan, de ne pas dégringoler. De fait, une chute de son action boursière aurait
pu faire fuir les actuels ou les futurs investisseurs. Toujours selon les
actionnaires mécontents, cette « tromperie » aurait été
révélée au grand jour quand, en juillet dernier, le groupe a annoncé la chute
vertigineuse de ses résultats. Mais face aux accusations, Stellantis ne semble
pas s’alarmer, en témoigne la déclaration du porte-parole du groupe :
« C’est quelque chose d’habituel dès qu’il y a une variation importante
du cours en Bourse. Leurs griefs sont sans fondement ». Dans un communiqué
de presse transmis à l’agence Reuters par mail, Stellantis a fait savoir
que « l'entreprise a l'intention de se défendre vigoureusement ».
Un climat nord-américain
globalement tendu pour le constructeur
Cette plainte de plusieurs
actionnaires américains est déposée alors que le groupe automobile rencontre de
multiples difficultés outre-Atlantique. Afin de redresser les comptes
nord-américains du groupe, la direction a annoncé la suppression de 2 450 postes
sur 3 700, dans l’usine américaine de Warren, dans le Michigan, au début du
mois d’août dernier. Ces licenciements prendront effet en octobre prochain.
Mais l’annonce a provoqué la colère du puissant syndicat américain United
Auto Workers (UAW), qui en tient pour responsable Carlos Tavares. « Ils
pratiquent des prix abusifs, ils sont allés trop loin et ont plombé leurs
propres ventes. Pendant ce temps, Tavares augmente son propre salaire de 56 %
tout en licenciant des milliers d’ouvriers du secteur automobile. Si n’importe
quel ouvrier du secteur automobile faisait un travail aussi minable que Carlos
Tavares, il serait viré », déclarait Shawn Fain, le président du syndicat
automobile UAW, après l’annonce de la vague de licenciements dans le pays.
Shawn Fain avait aussi menacé
d’organiser une nouvelle grève. Une menace déjà mise en application en 2023,
puisqu’un mouvement social avait partiellement immobilisé les usines
américaines du groupe pendant plus d’un mois et avait fait perdre quelque 750
millions d’euros de profit à Stellantis. Face au manque de rentabilité du
groupe en Amérique du Nord et face aux tensions sociales grandissantes, Carlos
Tavares s’est rendu en urgence, le 20 août dernier, à Détroit dans l’objectif
d’établir une stratégie de pérennisation de la situation.
Une autre action en justice ouverte en
Hollande
En plus des tensions
nord-américaines, Stellantis doit faire face à des frictions latentes en
Europe. En effet, une autre plainte d’actionnaires a été déposée cet été,
contre la compagnie. Elle émane de la Fiat Chrysler Investors Recovery
Stichting (FCIRS), une fondation à but non lucratif qui regroupe plusieurs
investisseurs de Stellantis. La FCIRS a engagé le 28 août dernier une action en
justice collective, aux Pays-Bas, reprochant au groupe d’avoir falsifié les
résultats d’émission de ses véhicules. Pour rappel, Fiat Chrysler USA, filiale
américaine de Stellantis, avait plaidé coupable en 2022 et avait accepté de
payer 300 millions de dollars pour avoir triché sur les résultats d’émission de
ses véhicules diesel. Mais selon la FCIRS, le groupe automobile aurait omis de
signaler à ses investisseurs l’utilisation de logiciels illégaux permettant la
falsification, au rabais, des émissions.
Ainsi, selon le communiqué
publié le 28 août par le cabinet d’avocats Scott + Scott qui représente
les plaignants, Stellantis aurait « désinformé les investisseurs sur
l’utilisation d’un logiciel automobile illégal (…) conçu pour blanchir les
émissions des véhicules » et « trompé pendant des années les
régulateurs et le grand public ». Toujours selon le communiqué, ces
omissions auraient eu lieu entre 2014 et 2017 et auraient « pénaliser
de manière significative les investisseurs achetant et/ou détenant des actions
Fiat Chrysler » à la bourse de Milan, ajoute le cabinet Scott
+ Scott.
Pour Flip Schreurs, le président
de la fondation FCIRS, « il est grand temps que le constructeur automobile
soit tenu pour responsable par le biais de cette action collective ».
Le communiqué appelle tous les investisseurs ayant acheté ou détenu des actions
de Fiat Chrysler à la bourse de Milan entre octobre 2014 et mai 2017 à se
joindre à l’action collective. Selon Jan-Willem de Jong, avocat associé du
cabinet Scott + Scott, le tribunal hollandais devrait rendre sa décision
sur les suites de cette plainte le 4 décembre prochain.
Inès
Guiza