Le 5 mai 1821, s’évadant d’une captivité
douloureuse au milieu des vents, des embruns, du fracas des flots et du silence
de la solitude, Napoléon, quinquagénaire né dans une île de la Méditerranée,
qui avait de longues années durant combattu les armées d’une grande île qu’il
aurait aimé envahir, la Grande-Bretagne, baignée par la Mer du Nord, meurt
envahi par la maladie dans une petite île perdue, Sainte-Hélène, simple caillou
semblant spécialement émergé du sud de l’Océan Atlantique pour recevoir un
empereur déchu.
Commémoration
du centenaire de la mort de Napoléon
100 ans plus tard,
le 5 mai 1921, on commémore cette mort. Un comité du centenaire, présidé par un
historien spécialiste de l’épopée napoléonienne, a été mis en place. Les
troupes défilent à Paris autour de l’Arc de Triomphe en présence des plus
hautes autorités du pays.
La
veille au matin, l’archevêque de Paris a présidé à 10h30 à Notre-Dame une
cérémonie funèbre du centenaire à laquelle assistaient les corps constitués,
les académies, le corps diplomatique et, outre le maréchal Pétain et le
maréchal Fayolle, 50 généraux et 10 amiraux. Des bannières blanches et bleues
(couleurs de Jeanne d’Arc) et des drapeaux tricolores ornaient la nef.
550 musiciens et choristes placés sous l’autorité de Victor Charpentier ont
joué et chanté la marche funèbre, la messe de requiem et le chant de
l’Apothéose de Berlioz. Le célèbre compositeur Louis Vierne a laissé ses mains
et ses pieds courir talentueusement sur les claviers de l’orgue. Clairons et
tambours emplissaient les tribunes. Dans son homélie, l’abbé Hénocque, aumônier de l’armée, a fait l’éloge des
soldats de 14-18, « nobles héritiers des
grognards fameux ». Dans sa « une » dithyrambique du 5 mai, le journal Le
Figaro écrit qu’il « ne manquait que
l’Empereur » !
Et la
veille au soir, l’association des Étudiants de Paris a organisé une grande
soirée de gala présidée par le maréchal Foch, suivie d’un spectacle regroupant
les artistes de l’Opéra-Comique, de la Comédie française et de l’Odéon.
Partout en
France, 100 ans après sa mort, on fait l’éloge de l’Empereur…
Le tableau peint par Anne-Louis Girodet en 1812 représentant l’Empereur
Napoléon,
décorant la Chambre Commerciale de la Cour de cassation (Paris).
Et en 2021 ?
2021…
À l’approche du 5 mai, les polémiques enflent et font rage. Cela fait 200 ans
que le Corse le plus célèbre a rejoint le purgatoire des généraux vaincus et
des monarques autocrates. Si certains louent le génie militaire de Bonaparte,
ses victoires, son apport à l’unité de la nation, sa modernité, son œuvre
législative se répandant hors de France, d’autres lui reprochent le
rétablissement de l’esclavage, les centaines de milliers de morts des campagnes
inutiles (Russie, Espagne…), l’assassinat de 3 000 prisonniers à Jaffa en mars 1799 ou encore sa misogynie et son rapport
parfois brutal aux femmes.
Le président de la République a finalement décidé d’une
commémoration, s’agissant d’honorer « une
figure majeure de notre histoire ».
Laissons
aux historiens, aux philosophes, aux politiques, aux
républicains, aux monarchistes, aux anarchistes, à ceux qui sont en marche et à ceux qui reculent, aux inconditionnels des réseaux sociaux, à ceux qui passent leur temps à s’interroger
sur ce que portent les Écossais sous leur kilt ou les Evzones sous leur
fustanelle, aux défenseurs de la majorité des minorités et des causes de toutes
sortes le soin de s’écharper sur les qualités et les défauts de cette figure
majeure de l’Histoire de France, de crier leur haine, leur désappointement ou
leur enthousiasme. Il y a un domaine où la volonté et l’engagement de Napoléon
durent et perdurent depuis deux siècles et sans doute pour longtemps : son œuvre législative, dont personne ne peut étrécir tant son importance en France que son
influence par-delà les frontières.
Une œuvre
que Napoléon lui-même considérait comme son plus grand titre de gloire.
Napoléon et le droit
C’est un fils de magistrat, le
général comte Charles-Tristan de Montholon (soupçonné un temps à tort d’avoir
empoisonné le prisonnier des Anglais en 1821), qui nous en informe pour avoir
recueilli à Sainte-Hélène certains des derniers récits de l’Empereur.
Publiant en effet en 1846 ses « Récits de
captivité », il rapporte la déclaration suivante de Napoléon : « ce que rien n’effacera, ce qui vivra
éternellement, c’est mon Code civil ; ce sont les procès-verbaux de mon conseil
d’État ; ce sont les recueils de ma correspondance avec mes ministres ; c’est
enfin tout le bien que j’ai fait comme administrateur, comme réorganisateur de
la grande famille française ».
Napoléon Bonaparte a
promulgué cinq codes : outre le Code civil en 1804, le Code de procédure civile
en 1806, le Code de commerce en 1807, le Code d’instruction criminelle en
1808 et le Code pénal en 1810, que Robert Badinter a qualifié de « monument législatif » et qui n’a été
remplacé par un nouveau Code pénal qu’en 1994 !
Il nous a semblé utile
de solliciter quelques personnalités, dont le garde des Sceaux, pour établir ce
cahier spécial. Certaines n’ont pu répondre favorablement en
raison de la crise sanitaire ou d’obligations nombreuses. Quelques-unes ont
accepté. Nous les en remercions.
Le Code civil en projet
Nous avons
scruté les étagères de notre bibliothèque pour trouver l’idée d’une
introduction à ce cahier. C’est ainsi que nous avons retrouvé l’édition originale du « Projet
de Code civil présenté par la commission nommée par
le gouvernement le 24 thermidor an VIII », publié à Paris en ventôse an IX par « l’imprimerie de la république »,
signée par Portalis, Tronchet, Bigot-Préameneu et Maleville. Ce projet reprend les travaux préliminaires déjà très avancés de
Cambacérès, qui avait présenté entre 1793 et 1796 trois projets de Code civil, rédigés avec le concours de juristes tels
Garran-Coulon, Oudot, Berlier et surtout Merlin de Douai.
Orignal du projet de Code civil avec discours préliminaire de Portalis
(collection de l’auteur)
Le projet
final de l’an IX, qui va devenir le Code civil
napoléonien, comporte un « Discours préliminaire » fort intéressant rédigé par
l’avocat Jean-Etienne-Marie Portalis.
Nous
avons choisi d’en retenir ici quelques extraits.
Dans
un premier extrait, Portalis utilise le seul mot à consonnance latine de son
introduction, que nous soulignons:
« … Aujourd’hui la France respire ; et la
Constitution, qui garantit son repos, lui permet de penser à sa prospérité. De
bonnes lois civiles sont le plus grand bien que les hommes puissent donner et
recevoir ; elles sont la source des mœurs, le palladium de la propriété, et la
garantie de toute paix publique et particulière ; si elles ne fondent pas le
gouvernement, elles le maintiennent ; elles modèrent la puissance, et
contribuent à la faire respecter, comme si elle était la justice même… elles
sont souvent l’unique morale du peuple, et toujours elles font partie de sa
liberté… Aussi, la rédaction du Code civil a d’abord fixé la sollicitude du
héros que la nation a établi son premier magistrat, qui anime tout par son
génie, et qui croira toujours avoir à travailler pour sa gloire, tant qu’il lui
restera quelque chose à faire pour notre bonheur. »
Portalis
utilise le mot assez rare de « palladium ». À l’origine, le palladium fait
référence à la statue de Pallas, en réalité Pallas Athéna, Pallas étant l’une
des épiclèses associées à cette déesse grecque (Athéna la Sage). Par la suite,
« palladium » signifie bouclier, garantie, protecteur ou protection
(définitions reprises plus tard par Littré).
On ne
trouve pas ce mot dans le projet de Code civil de 1796 présenté par Cambacérès au Conseil des Cinq
Cents.
En réalité,
Portalis fait, sans le citer, un emprunt à Montesquieu dont il s’inspire
beaucoup et qui, au chapitre 15?du livre vingt-sixième de son ouvrage De l’Esprit des Lois avait écrit : « Posons donc pour maxime que,
lorsqu’il s’agit du bien public, le bien public n’est jamais que l’on prive un
particulier de son bien, ou même qu’on lui en retranche la moindre partie par
une loi ou un règlement politique. Dans ce cas, il faut suivre à la rigueur la
loi civile, qui est le palladium de la propriété. »
Dans l’extrait qui suit figure une affirmation devenue
célèbre : « … Les lois ne sont pas de purs actes de
puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. Le
législateur exerce moins une autorité qu’un sacerdoce. Il ne doit point perdre
de vue que les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les
lois ; qu’elles doivent être adaptées au caractère, aux habitudes, à la
situation du peuple pour lequel elles sont faites ; qu’il faut être sobre
de nouveautés en matière de législation… »
L’affirmation
« les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les
lois » est particulièrement forte et sera souvent reprise par les
commentateurs juridiques.
La sobriété
nécessaire dans l’élaboration des lois, évoquée ici, est réaffirmée avec force
mais avec une nuance dans ce troisième
extrait :
« À l’ouverture de nos conférences, nous
avons été frappés de l’opinion, si généralement répandue que, dans la rédaction
d’un Code civil, quelques textes bien précis sur chaque matière peuvent
suffire, et que le grand art est de tout simplifier en prévoyant tout. Tout
simplifier est une opération sur laquelle on a besoin de s’entendre. Tout
prévoir est un but qu’il est impossible d’atteindre. Il ne faut point de lois
inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires ; elles compromettraient
la certitude et la majesté de la législation. Mais un grand État comme la
France, qui est à la fois agricole et commerçant, qui renferme tant de
professions différentes, et qui offre tant de genres divers d’industrie, ne
saurait comporter des lois aussi simples que celles d’une société pauvre ou
plus réduite... Nous nous sommes préservés de la dangereuse ambition de vouloir
tout régler et tout prévoir. »
Portalis n’omet pas de faire référence à la raison naturelle :
« Quoi que l’on fasse, les lois positives ne sauraient
jamais entièrement remplacer l’usage de la raison naturelle dans les affaires
de la vie. »
Il
s’intéresse au rôle du juge, dont il fixe la mission et ses limites :
« Un code, quelque complet qu’il puisse
paraître, n’est pas plutôt achevé, que mille questions
inattendues viennent s’offrir au magistrat. Car les lois, une fois rédigées,
demeurent telles qu’elles ont été écrites. Les hommes, au contraire, ne se
reposent jamais… Une foule de choses sont donc nécessairement abandonnées à
l’empire de l’usage, à la discussion des hommes instruits, à l’arbitrage des
juges. L’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes
générales du droit ; d’établir des principes féconds en conséquence, et non de
descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière.
C’est au magistrat et au jurisconsulte, pénétrés de l’esprit général des lois,
à en diriger l’application… Dans l’état de nos sociétés, il est
trop heureux que la jurisprudence
forme une science qui puisse fixer le talent, flatter l’amour-propre et
réveiller l’émulation. Une classe entière d’hommes se voue dès lors à cette
science, et cette classe, consacrée à l’étude des lois, offre des conseils et
des défenseurs aux citoyens qui ne pourraient se diriger et se défendre même,
et devient comme le séminaire de la magistrature… Il est trop heureux que la
nécessité où est le juge de s’instruire, de faire des recherches, d’approfondir les questions qui s’offrent à lui, ne lui permette jamais d’oublier
que s’il est des choses qui sont arbitraires à sa raison, il n’en est qui le
soient purement à son caprice ou à sa volonté… Le
pouvoir judiciaire, établi pour appliquer les lois, a besoin d’être dirigé dans
cette application par certaines règles. Nous les avons tracées : elles sont telles que la raison particulière d’aucun homme ne
puisse jamais prévaloir sur la loi. »
La loi ne saurait avoir d’effet rétroactif :
«
Ce qui n’est pas contraire aux lois est licite. Mais ce qui leur est conforme n’est pas toujours honnête ; car les lois s’occupent plus du bien politique de la société
que de la perfection morale de l’homme. En général, les lois n’ont p
oint d’effet rétroactif. Le principe est incontestable.
Nous avons pourtant limité ce principe aux lois nouvelles… »
La coutume
conserve son utilité :
« Nous avons fait, s’il est permis de s’exprimer ainsi,
une transaction entre le droit écrit et les coutumes, toutes les fois qu’il
nous a été possible de concilier leurs dispositions, ou de
les modifier les unes par les autres, sans rompre l’unité du système, et sans
choquer l’esprit général. Il est utile de conserver tout ce qu’il n’est pas
nécessaire de détruire : les lois doivent ménager les habitudes, quand ces habitudes ne
sont pas des vices. On raisonne trop souvent comme si le genre humain finissait
et commençait à chaque instant, sans aucune sorte de communication entre une
génération et celle qui la remplace. Les générations, en se succédant, se mêlent, s’entrelacent et se
confondent… Le mariage, le gouvernement des familles, l’état des enfants, les
tutelles, les questions de domicile, les droits des absents, la différente
nature des biens, les divers moyens d’acquérir, de conserver ou d’accroître sa
fortune, les successions, les contrats, sont les principaux objets d’un Code
civil. Nous devons exposer les principes qui ont motivé nos projets de loi sur
ces objets importants, et indiquer les rapports que ces projets peuvent avoir
avec le bien général, avec les mœurs publiques, avec le bonheur des
particuliers, et avec l’état présent de toute chose. »
Portalis
évoque le mariage :
« Nous nous sommes
convaincus que le mariage, qui existait avant l’établissement du christianisme,
qui a précédé toute loi positive, et qui dérive de la constitution même de
notre être, n’est ni un acte civil, ni un acte religieux, mais un acte naturel
qui a fixé l’attention des législateurs et que la religion a sanctifié… Le
mariage doit encore être prohibé entre frères et sœurs, parce que la famille
est le sanctuaire des mœurs, et que les mœurs seraient menacées par tous les
préliminaires d’amour de désir et de séduction qui précèdent et préparent le mariage. »
Il évoque surtout longuement le divorce. Voici un passage de son
discours :
« En admettant le divorce, le législateur n’entend point
contrarier le dogme religieux de l’indissolubilité, ni décider u n point de conscience. Il suppose seulement que les passions les plus
violentes, celles qui ont fait et qui font encore tant de ravages dans le
monde, peuvent détruire l’harmonie qui doit régner entre deux époux ; il suppose que les excès peuvent être assez graves pour rendre
à ces époux leur vie commune insupportable. Alors, s’occupant avec sollicitude
de leur tranquillité, de leur sûreté et de leurs bonheur présent, dont il est
uniquement chargé, il s’abstient de les contraindre à demeurer inséparablement
liés l’un à l’autre malgré tous les motifs qui les divisent. Sans offenser
les vues de la religion, qui continue sur cet objet, comme sur tant d’autres, à
gouverner les hommes dans l’ordre du mérite et de la liberté, le législateur
n’emploie alors lui-même le pouvoir coactif que pour prévenir les désordres les
plus funestes à la société, et prescrire des limites à des passions et à des
abus dont on n’ose se promettre de tarir entièrement la source. Sous ce
rapport, la question du divorce devient une pure question civile dont il faut
chercher la solution dans les inconvénients ou dans les avantages qui peuvent
résulter du divorce même, considéré comme un point de vue politique. »
Dans sa conclusion, Portalis estime que « ce sont les bons pères, les bons maris,
les bons fils qui font les bons citoyens » :
« … Notre objet a été de lier les mœurs aux lois, et de
propager l’esprit de famille, qui est si favorable, quoi qu’on en dise, à
l’esprit de cité. Les sentiments s’affaiblissent en se généralisant : il faut une prise naturelle, pour pouvoir
former des liens de convention. Les vertus privées peuvent seules garantir les
vertus publiques… ce sont les bons pères, les bons maris, les bons fils qui
font les bons citoyens… La nation française, qui a su conquérir la liberté par les armes,
saura la conserver et l’affermir par les lois. »
Le Code Napoléon et son évolution
Le Code
civil, reprenant 36 lois et comportant plus de 2 200?articles, a été promulgué par Bonaparte le
30?ventôse an XII, soit le 21?mars 1804, mettant fin aux privilèges et aux inégalités et à l’incroyable salmigondis de textes royaux, religieux, romains, coutumiers se superposant et s’entrechoquant.
Plus de
1 000 articles d’origine sont toujours en vigueur au sein de ce code qui
comporte désormais plus de 2 500?articles.
C’est dire
si les débats qui ont précédé son adoption définitive et sa promulgation,
souvent présidés par Bonaparte lui-même ou par Cambacérès en son absence, ont
permis un travail de qualité dont une bonne partie conserve sa force deux
siècles plus tard.
Pour
l’anecdote, parmi ces articles, l’un est resté curieusement en vigueur de façon
tout à fait discutable jusqu’au XXIe siècle.
Il s’agit
de l’article?1676?se trouvant dans le titre consacré à la vente et dans la section
relative à la rescision qui était rédigé depuis l’origine de la façon suivante : « La demande n’est plus recevable après
l’expiration de deux années, à compter du jour de la vente. Ce délai court
contre les femmes mariées et contre les absents, les majeurs en tutelle et les
mineurs venant du chef d’un majeur qui a vendu. Ce délai court aussi et n’est
pas suspendu pendant la durée du temps stipulé pour le pacte du rachat. » Autrement dit, en matière de rescision, une
femme mariée était assimilée, encore en 2018, à une personne sous tutelle ou un
mineur.
Dans notre
36e chronique parue dans le JSS n° 24?du 28?mars 2018, nous avions mis en lumière l’ineptie et
l’anticonstitutionnalité de ce texte, et exhorté la garde des Sceaux à abolir
ce fossile législatif invraisemblable.
C’est
finalement par deux amendements parlementaires identiques (ayant reçu
l’agrément du gouvernement) proposés lors de la discussion portant sur le
projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes,
présenté au Parlement en procédure accélérée, que la question de la suppression
de cette « curiosité » archaïque
a été évoquée.
Les députés
auteurs de l’amendement ont proposé
la formulation suivante : « Au deuxième alinéa de l’article 1676?du Code
civil, les mots : “contre les femmes mariées et” sont supprimés », rédigeant comme suit l’exposé sommaire : « Le délai de prescription pour l’action de rescision pour lésion en droits des
obligations est fixé uniformément par l’article 1676?du Code civil pour les
femmes mariées, les majeurs sous tutelle, les mineurs ou les absents. Le statut
conjugal et le sexe des femmes sont ainsi considérés comme des facteurs de
vulnérabilité dans cet article?en vigueur depuis le 16?mars 1804?et jamais modifié
depuis. Aujourd’hui, 214?ans après la rédaction de cet article, il est temps de mettre fin à
cette marque indigne de sexisme dans notre droit actuel. Ce sont ces
représentations culturelles de la femme comme objet ou comme être de faiblesse
qui participent à la perpétuation de violences sexuelles et sexistes :
c’est pourquoi cet amendement a toute sa place dans l’examen d’un Projet de loi
relatif à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. »
Finalement,
cet héritage d’un droit patriarcal « préhistorique » et qui n’avait jamais éveillé jusqu’en 2018?l’attention de celles et
ceux qui sont à la Chancellerie chargés de veiller à la modernisation du droit
a été abrogé (il aurait dû l’être de longue date) par la loi
du 3 août 2018. Le nouvel article?1676?a été simplifié et est ainsi désormais rédigé : « La demande
n’est plus recevable après l’expiration de deux années, à compter du jour de la
vente. Ce délai court et n’est pas suspendu pendant la durée du temps stipulé
pour le pacte du rachat. »
Le Code
civil est pour partie, en 2021, figé dans le temps, ce qui démontre son
intemporalité et la qualité du travail ainsi que le bon sens de ses rédacteurs
historiques et de Bonaparte lui-même. Il peut aussi pour partie connaître des
révolutions et recueillir par exemple les dispositions relatives au mariage
pour tous, se transformant en source d’un droit vivant qui s’adapte à la
société au fil du temps.
Ainsi que
l’ont mis en évidence de multiples travaux et colloques en 2004?lors du bicentenaire de sa commémoration,
son influence à l’étranger demeure forte.
Dans
l’esprit de ses concepteurs, il devait être un modèle international !
Terminons
alors par une anecdote souriante qui fait allusion aux lois françaises
gouvernant les peuples du monde.
En 1811, un
avocat devenu député puis magistrat, Benoît-Michel Decomberousse, président du
Conseil des Anciens et conseiller à la cour impériale, a mis en vers le Code
civil, le dédiant ainsi versifié à l’impératrice
Marie-Louise :
« LOUISE, Reine illustre, auguste Impératrice !
Des fruits
d’un tel travail deviens la protectrice :
Au CODE,
ton époux, le grand NAPOLÉON,
A-la-fois
imprima son génie et son nom ;
Il y dicta
ces lois de sagesse profonde
Qui doivent
gouverner tous les peuples du monde,
Surpassant
les héros à titre de vainqueur,
Les
surpassant encor comme législateur ;
Daigne
t’associer à ses hautes pensées
Qu’une Muse
fidèle en vers a retracées ;
Plus on
connaît ses lois, plus sa gloire s’étend ;
Elle est
aussi la tienne, et sur toi se répand.
à
côté de son nom que tout immortalise,
Souffre
qu’on donne place à celui de LOUISE. »
Étienne Madranges,
Avocat, Magistrat honoraire,
Ancien directeur d’administration centrale