Jean-Louis Chambon, président
du Cercle Turgot, consacre sa nouvelle critique au dernier ouvrage de
l’économiste Sylvain Bersinger, paru en avril. Ce roman retrace la folle saga
de John Law, banquier écossais devenu grand argentier et dont la révolution
monétaire, sous la régence de Philippe d'Orléans, se solda par un échec. Une « aventure »
qui « mérite d’être méditée et rapprochée d’autres “magies financières”
contemporaines comme (…) celle de la fable persistante des crypto-monnaies ».
Pour survivre en leur royaume
de l’absurde, les hommes ont besoin de rêve et les financiers de magie.
Certains – les plus fous ou les plus visionnaires – parviennent, le temps de
l’éphémère, à embarquer dans ces doubles illusions leurs contemporains, qu’ils
soient grands de ce monde ou simples spectateurs. Apparaissent alors
d’improbables aventures propulsant leurs auteurs dans la mémoire collective
dans un doux mélange de réprobations et d’admiration morbide, oubliant les
ruines et préjudices au profit du panache de l’action.
Les exemples dans l’histoire
en sont légion : des bulles spéculatives, comme celle de la Tulipomania au
XVIIe siècle, au montage financier frauduleux des pyramides de Ponzi
(tout le monde gagne mais malheur au dernier de la chaîne), avec cette extraordinaire
et cuisante réplique dans l’histoire récente de l’imagination de Bernard Madoff
prétendant faire disparaitre les rendements négatifs.
La monnaie, ce « ciment
du vivre-ensemble dans l’ordre économique(1) », dans, notamment, ce
qu’elle a d’obscur dans la compréhension de son origine et de ses fonctions, s’est
souvent prêtée à des tentations magiques.
Ces idées proposées et mises
en œuvre par des personnages hors du commun, dont les vertus restent le plus
souvent partagées entre le génie et l’opportunisme d’une proximité avec le
pouvoir du moment, ont à la fois permis des avancées réelles de la pensée économique
mais aussi, hélas, les spéculations les plus folles, propices à nourrir l’imaginaire
romanesque.
Avec sa nouvelle et lumineuse
nouvelle parution, Sylvain Bersinger, jeune et brillant économiste, en
choisissant la forme du roman historique, révèle une nouvelle facette de ses
talents d’écrivain. Lauréat du prix Turgot, auteur remarqué de la série très
bien accueillie des « Entrepreneurs de Légende », il emmène ses
lecteurs à la découverte du « système de Law », banquier et
économiste écossais devenu, par la grâce du Régent Philippe d’Orléans, grand argentier.
Redressant par une véritable révolution
monétaire les comptes du royaume criblé de dettes, nommé contrôleur général des
finances, John Law fit triompher le papier-monnaie, multipliant son usage et sa
circulation par une profusion d’émissions d’actions d’une banque générale, entrainant
une forte inflation et s’achevant, comme dans l’aventure des Assignats de la Révolution,
par un cuisant échec.
Le système s’effondra dans la
panique, largement orchestrée par ses ennemis nombreux et envieux qui
demandèrent massivement leur remboursement en monnaie métallique (convertible
en or), sans que les réserves puissent le permettre. La saga de John Law a
largement alimenté la réflexion de nombreux économistes et hommes politiques,
confère Bertrand Martinot ou Edgar Faure entre autres, pour lesquels il restera
le « premier magicien de la dette et de la monnaie ».
Une aventure qui mérite
d’être méditée et rapprochée d’autres « magies financières »
contemporaines comme celles de certaines politiques de banques centrales ou
plus certainement de la fable persistante des crypto-monnaies. Confondre en
effet magie – domaine de l’illusion humaine – et miracle – domaine réservé aux dieux
– expose immanquablement à des réveils douloureux.
La monnaie magique – l’histoire du système de
Law –
roman historique,
Sylvain
Bersinger,
Éditions
Complicités - 243 pages