ENTREPRISE

Comment l’IA générative a-t-elle bouleversé les entreprises du secteur financier ?

Comment l’IA générative a-t-elle bouleversé les entreprises du secteur financier ?
Publié le 28/10/2024 à 17:28

S’ils ont dû créer de nouveaux postes et faire évoluer les missions de certains services, les acteurs du secteur se sont rapidement approprié cette technologie. Les plus prompts à s’adapter ont été ceux « qui maîtrisaient déjà la donnée et la confidentialité avec les dimensions de compliance nécessaires », a considéré Philippe Poirot, directeur EMEA financial services industry chez Microsoft, lors du Forum Fintech, lundi 14 octobre.

Bientôt deux ans après le lancement du Chat GPT d’OpenAI, l’IA générative a envahi la sphère économique et notamment le secteur financier, souligne Olivier Fliche, directeur du pôle Fintech Innovation de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et animateur d’une table ronde organisée à l’occasion du Forum Fintech, le 14 octobre dernier.

Comme l’indique Philippe Poirot, directeur EMEA, financial services industry chez Microsoft, « la plus grande rupture, c’est l’interface en langage naturel ». Et si ceci explique son succès immédiat auprès du grand public - en seulement un mois, environ 100 millions d'utilisateurs avaient utilisé Chat GPT - au-delà, l’IA générative a eu des impacts considérables sur certains métiers du secteur financier. Léa Deleris, responsable IA et Tech, Risque/Conformité chez BNP Paribas, explique qu’auparavant, ses équipes passaient plus de temps sur la détection de la fraude, sur le blanchiment d'argent, la sanction et sur l'investigation. Désormais, ces dernières traitent davantage de cas s’appuyant sur un corpus documentaire, notamment la réglementation, les procédures, la rédaction des décisions et les contrôles. « D’ailleurs, les modèles multimodaux sur les contrôles vont nous être très utiles » déclare-t-elle.


Léa Deleris, responsable IA et tech, risque/conformité chez BNP Paribas, explique qu'avec l'IA générative, ses équipes traitent moins de détection de la fraude que de réglementation et procédure

Par ailleurs, selon Christophe Bourguignat, co-fondateur et directeur technique de Zelros, une start-up qui développe des solutions pour les assureurs, le métier de data scientist a beaucoup évolué. Cela est notamment dû « au caractère pré-entrainé, prêt à l’emploi de ces grands modèles de langage » explique-t-il. Auparavant, lorsqu’un data scientist voulait développer, par exemple, un algorithme de classification dans le domaine assurantiel de facture de sinistre, il devait entraîner des modèles spécifiques à chaque tâche, se doter de centaines de milliers d'exemples pour mener à bien cet apprentissage. Or, depuis la naissance de l’IA générative, les modèles de langage savent comprendre, avec très peu d’entraînement, une facture, une photographie, etc.

L’essor de cette nouvelle technologie a eu un autre impact : les entreprises ont dû embaucher davantage d’ingénieurs en développement logiciel afin « d’intégrer ces fameux langages de modèles dans des interfaces d'entreprises et sur le poste de travail des collaborateurs », indique Christophe Bourguignat. En outre, ajoute-t-il, « ces grands modèles ont besoin d'être mis en place en temps réel, en haute disponibilité et de façon sécurisé ». D’où l’émergence d’un nouveau métier : l’ingénieur DevOps, une fonction qui allie savoir-faire informatique et gestion de projet.

Des investissements conséquents

Selon Philippe Poirot, dès les prémices de l’IA générative, un grand nombre d’acteurs du monde de la finance se sont approprié cette nouvelle technologie : « Beaucoup ont commencé par de l'expérimentation et certains sont passés à l'échelle parce qu’ils avaient une maturité un peu plus forte. » Ces derniers étaient notamment dotés d’équipes plus conséquentes et d’une expérience des plateformes de Cloud. En tout cas, les entreprises les plus rapides à s’adapter ont été celles qui avaient déjà embauché des datas scientists, qui maîtrisaient la donnée et la confidentialité avec les dimensions de compliance nécessaires : « Un leader ne se réveille pas avec l’IA générative, il s'est réveillé avant » affirme-t-il.

Ainsi, dès le départ, « Microsoft s’est alliée avec OpenAI, révèle le directeur EMEA financial services industry de Microsoft, la stratégie a été immédiatement d'infuser nos solutions d’IA générative. » L’entreprise a donc fait des investissements conséquents : « La plupart d’entre vous utilisent Microsoft 365. Le but était de créer des copilotes, c’est-à-dire d'être en appui de l'utilisateur par rapport à ces solutions » déclare Philippe Poirot.

La deuxième initiative de Microsoft a été de mettre à disposition de tous, particuliers et entreprises, des modèles d’IA sur la plateforme Azure. À l’heure actuelle, 1 800 modèles sont disponibles sur cette plateforme. Philippe Poirot indique également qu’en mai dernier, Microsoft a investi 4,5 milliards d’euros en France avec notamment un data center à côté de Mulhouse. L’objectif est d'accompagner 2 500 start-ups sur des programmes liés notamment à l’IA générative. « On peut aussi les incuber et les accélérer à la Station F » rajoute celui-ci. À l’heure actuelle, une douzaine de start-ups bénéficient d’un accompagnement sur l’IA générative au sein du plus grand incubateur de Paris.

« Dès qu’il y a eu le buzz autour de Chat GPT, on a réfléchi à comment positionner les acteurs français et européens sur la chaîne de valeur de l'intelligence artificielle, et ce en commençant par les infrastructures de l’IA générative » confie de son côté Guillaume Avrin, coordinateur national pour l'intelligence artificielle à la Direction générale des entreprises.

Ce dernier rappelle que la France bénéficie d’une « compétence historique » sur l'intégration de supers calculs pour entraîner des modèles. La première initiative a donc été d’investir 40 millions d’euros dans le supercalculateur public du CNRS nommé Jean Zay. A également été décidé le financement, à hauteur de 500 millions d’euros, d’un supercalculateur de classe exascale. Celui-ci verra le jour en 2026 et se nommera Alice Recoque, en hommage à une ingénieure française, pionnière de l’informatique.

Les entreprises « plus flexibles » ?

« On a dû évoluer très rapidement » confie pour sa part Christophe Bourguignat. En effet, avant l’arrivée de ces grands modèles pré-entraînés, certains cas d’usage ne pouvaient absolument pas être réalisés en interne. Or, avec l’IA générative, cela a été rendu possible pour certaines institutions financières. Les besoins des mutualistes, des banques et des assureurs n’ont plus été tout à fait les mêmes : « On était plutôt côté distribution et certains partenaires nous ont interrogés sur des cas de gestion de sinistres. Auparavant, on leur aurait dit : « ce n’est pas du tout notre spécialité » […] maintenant on leur dit qu’on peut le faire ».

Pour le co-fondateur de Zelros, l’IA générative a conduit les entreprises à être plus « flexibles » et a aussi permis de « bouger les lignes », et notamment de « parler de co-construction et ainsi de casser cette dualité entre faire en interne ou externaliser ».

Reste que l’arrivée de ces grands modèles de langage « extrêmement gourmands en ressources », selon les termes de Christophe Bourguignat, fait naître des préoccupations en termes d’impacts sur l’environnement. L’objectif serait de « réconcilier l’IA générative avec ces enjeux de frugalité, de confiance, d'embarquabilité qui répondent à nos grands enjeux écosystémiques », affirme Guillaume Avrin. Pour l’instant, c’est encore loin d’être le cas.

Maria-Angélica Bailly


0 commentaire
Poster

Nos derniers articles