Lors
de ce meeting annuel fin novembre, Sonia Arrouas, alors présidente de la
Conférence générale des juges consulaires de France, a évoqué les derniers
progrès notables pour la profession, notamment en termes de formation et de
numérique. Elle a également réaffirmé la position de la CGJCF sur les
propositions émises par le groupe de travail dans le cadre des États généraux
de la justice, en particulier à l’égard du tribunal des activités économiques
(TAE) envisagé.
Lors
du congrès national des tribunaux de commerce, le 25 novembre, à Paris, Sonia
Arrouas, alors présidente de la Conférence générale des juges consulaires de
France (avant de quitter ses fonctions le 8 décembre), a déploré, en ouverture
de l’événement, l’absence du garde des Sceaux. « C’est bien peu de
considération pour les 3 370 juges du commerce (…) qui effectuent un travail
bénévole aux services des entreprises », a-t-elle pointé, alors que le
ministre doit dévoiler d’ici peu son plan d’action issu des États généraux de
la justice, très attendu par le monde judiciaire.
Sonia
Arrouas en a profité pour rappeler que les juridictions consulaires sont «
au carrefour d’enjeux essentiels » pour les justiciables. « Dans cette
période perturbée, nous devons faire face. Le besoin de justice et d’apaisement
de notre société est encore plus grand » a-t-elle considéré, assurant que
les juges consulaires sauraient y répondre. La présidente a souligné que les
tribunaux de commerce ont été « la seule juridiction capable de réagir en
temps de crise avec une grande rapidité, restée ouverte à la période covid et
n’ayant conservé aucun stock d’affaire en suspens ».
Vers
une formation renforcée
L’ex
présidente de la CNJCF est revenue sur les récentes avancées en matière de formation.
La Conférence a ainsi créé avec l’École nationale de la magistrature (ENM) une
formation « président de niveau 2 » pour répondre aux questions que les
présidents peuvent se poser dans leur travail au quotidien.
Elle
a par ailleurs financé de nouveau cette année, pour 40 juges, le Certificat
Universitaire de Paris Sorbonne. « Il en sera de même pour les deux
prochaines années », a promis Sonia Arrouas.
En
outre, des partenariats ont été signés avec l’ordre national des
experts-comptables pour élaborer des webinaires sur des sujets phares auxquels
les juges sont confrontés, comme sur le thème « Pièges, manœuvres et points
d’attention du bilan » en octobre dernier.
Enfin,
l’ex présidente de la Conférence est revenue sur l’élaboration d’une convention
avec les commissaires de justice. « Nous avons voulu créer des formations
sur le rôle et fonctionnement des anciens huissiers et commissaires-priseurs,
devenus commissaires de justice depuis le 1er juillet 2022. Il est essentiel
d’apprendre à connaître le travail de chacun pour être plus forts ensemble »,
a-t-elle argué.
Accès
gratuit à Infogreffe, open data… le point sur les derniers chantiers
Sur
les derniers chantiers menés au profit des juges consulaires, Sonia Arrouas a
évoqué l’obtention d’un accès gratuit à Infogreffe pour les présidents et
vice-présidents des tribunaux de commerce, en vertu d’un partenariat conclu
avec la plateforme qui centralise les informations du Registre du commerce et
des sociétés.
L’ancienne
présidente de la Conférence s’est également réjouie du « travail efficace »,
en collaboration avec le Conseil national des greffiers, en matière de
signature électronique. Aujourd’hui, 80 tribunaux l’utilisent et 100 000
décisions ont eu recours à cet outil. « Nous souhaitons accélérer le
processus. La totalité des tribunaux doivent en bénéficier pour la fin 2023 »,
a-t-elle fait valoir.
Concernant
l’open data des décisions, plusieurs réunions ont eu lieu avec la Cour de
cassation, la Chancellerie, le Conseil national des greffiers et la Conférence
générale des juges consulaires de France, pour avancer sur son déploiement. «
Tout doit être en place pour le 1er janvier 2025 », a rappelé Sonia
Arrouas, en écho à l'arrêté du 28 avril 2021, selon lequel la mise à
disposition au plus tard des décisions de justice est fixée au 31 décembre 2024
pour les tribunaux de commerce. « L’implication des juges est importante,
ils devront participer à l’anonymisation des décisions », a souligné la
présidente de la CNJCF. « Nous veillerons aussi au fait que les legaltech ne
s’emparent pas de nos décisions de façon anarchique », a-t-elle ajouté.
Par
ailleurs, un nouveau portail des juges « plus simple et plus lisible »,
est en phase de test au sein de plusieurs tribunaux, et le site de la
Conférence Générale s’est quant à lui « enrichi de plusieurs nouveautés »
: un annuaire de l’ensemble des juges, une messagerie privée, un forum de
discussion ainsi que de nouveaux outils numériques dont un accès à la base de
données juridiques Lextenso.
Les
juges consulaires de plus en plus représentés
Sonia
Arrouas a également observé que les représentants des juges consulaires étaient
présents de façon croissante au sein des instances et des groupes de réflexion.
Fin 2021, un président français de tribunal de commerce, Claude Gasser, a ainsi
été élu à la tête de l’Union européenne des magistrats statuant en matière
commerciale (UEMC). « Nous attendions cela depuis 16 ans », s’est
félicitée l’ex présidente de la Conférence générale des juges consulaires de
France.
Plus
récemment, la Conférence est devenue membre, le 27 septembre, de la Commission
d’examen des pratiques commerciales placée auprès du ministre chargé de
l’économie, instance consultative qui veille à l’équilibre des relations entre
producteurs/fournisseurs/revendeurs, et travaille autour des pratiques
anti-concurrentielles. La CNJCF fait également partie depuis peu de l'Institut
des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ), lequel
succède à l’Institut des hautes études sur la justice, et dont l’objectif est «
de créer des ponts entre le monde du droit, de la recherche et de l’économie ».
Elle est également présente à la Commission nationale d’inscription et de
discipline des administrateur set mandataires judiciaires (CNID), à la suite du
décret du 27 septembre 2022, et a en outre intégré en tant que membre d’honneur
la gouvernance de Place Escange, un think tank autour du risque immatériel en
entreprise, aux côtés notamment des anciens ministres Michel Sapin et Corinne
Lepage.
Enfin,
la Conférence a été représentée aux différents comités de sortie de crise par
deux administrateurs, Brigitte Bisson, présidente du tribunal de commerce de La
Rochelle, et Thierry Gardon, président du tribunal de commerce de Lyon, qui ont
émis le souhait d’associer les tribunaux de commerce aux dispositifs de
détection des services de l’État (dont « Signaux Faibles », outil de détection
des entreprises en risque de défaillance déployé par la Banque de France).
États
généraux de la justice : un TAE, oui, mais pour les 134 tribunaux de commerce
Toujours
en préambule du congrès, Sonia Arrouas a rappelé que la Conférence générale des
juges consulaires de France avait participé aux travaux menés dans le cadre des
États généraux de la justice, « soucieuse de contribuer à l’amélioration de
la justice économique », et a réaffirmé la position de la Conférence sur
les propositions émanant du groupe du travail.
Alors
qu’est notamment envisagée à titre expérimental la création d’un tribunal des
affaires économiques (TAE) qui serait compétent pour toutes les procédures
amiables et collectives, quel que soit l’opérateur économique, la Conférence a
indiqué être favorable à cette instauration, mais appliquée aux 134 tribunaux
de commerce, étant hostile à une expérimentation au sein de six
tribunaux. Cependant, elle approuve une extension des compétences, et estime
que devraient relever des TAE les associations, les sociétés civiles, les
agriculteurs, les professions libérales, les sociétés ou groupements, les baux
commerciaux, les mutuelles et le contentieux de la propriété intellectuelle.
S’agissant
du contentieux de la construction, qui pourrait être transféré au profit des
tribunaux judiciaires, comme l’envisage le rapport, « la Conférence a
précisé qu’elle était opposée au principe d’un transfert de cette compétence
spécifique. Les juges consulaires disposent d’expertise et de professionnalisme
en la matière » a fait valoir Sonia Arrouas. D’autre part, si le rapport
recommande la création d’une filière de certification de connaissances
économiques des magistrats ainsi que l’affectation d’assistants juridictionnels
au sein des TAE, Sonia Arrouas a indiqué que des alternatives étaient
possibles. Selon la Conférence, des « formations spécifiques en matière
économique » pourraient être dispensées par l’ENM, et les détachements
pourraient « être envisagés dans le cadre d’un contrat de mission, sur
demande d’un président de tribunal ».
Par
ailleurs, l’ex présidente de la CNJCF a bien souligné que les représentants des
juges consulaires étaient « totalement opposés » à une chambre des
sanctions présidée par un magistrat de carrière. « Nous avons précisé que
nous demeurions plus largement opposés à tout principe d’échevinage ou de
mixité », a-t-elle martelé. Elle recommande en revanche une modification
des règles de procédure au travers de la présence systématique d’un
représentant du ministère public aux audiences de sanctions.
Enfin,
« dans le prolongement du rapport sur les États généraux de la justice »,
plusieurs pistes d’amélioration sont envisagées par les représentants des juges
consulaires : instaurer des réunions une à deux fois par an entre les
présidents de tribunaux de commerce et de cours d’appel, établir un dialogue
annuel sur les performances pour renforcer la relation avec la hiérarchie
judiciaire, généraliser l’assistance de juges consulaires aux délibérés des
cours d’appel, mettre à disposition des juges consulaires auprès des chambres
commerciales des cours d’appel, bénéficier de l’expertise des juges honoraires
pour former les juges en fonction et recevoir des dirigeants lors d’entretiens
de prévention, ou encore instaurer une sensibilisation obligatoire à la gestion
d’entreprise à la création d’une entreprise.
Les
juges consulaires réclament une ligne budgétaire dédiée à la justice économique
Le
congrès était également l’occasion de revenir sur « un problème fondamental
pour les tribunaux de commerce » : le financement de la justice économique.
À
ce sujet, le rapport évoque la création d’un droit de timbre. La Conférence
estime que cela permettrait de faciliter l’accès à la justice économique au
profit des entrepreneurs aux moyens financiers modestes, et qu’une grande
partie de ce droit au timbre financerait l’aide juridictionnelle.
Sonia
Arrouas a cela dit mis l’accent sur les moyens financiers « très limités »
dont les juges consulaires disposent dans le cadre du fonctionnement des
juridictions. « Les juges des tribunaux de commerce sont des bénévoles mais
n’ont pas vocation à être des mécènes », a-t-elle insisté. Selon les
représentants des juges consulaires, le projet de loi de programmation de la
justice devrait prévoir un volet « financement » intégrant une ligne budgétaire
dédiée à la justice économique. « Chaque juridiction consulaire devrait bénéficier
d’un budget, géré sous la seule autorité du président du tribunal de commerce.
Plus largement, chacun de nos tribunaux devrait disposer d’une autonomie de
décision pour le fonctionnement et la gestion de son allocation. Le montant
forfaitaire indexé demandé par juge pourrait s’élever à 1 300 € par an. »
Les
juges consulaires seront-ils entendus ? Réponse dans les prochains jours.
Bérengère Margaritelli