JUSTICE

Coupes budgétaires de la justice : les syndicats de magistrats préoccupés

Coupes budgétaires de la justice : les syndicats de magistrats préoccupés
Pour l'USM, "la marche est encore longue pour que les délais de la justice se divisent par deux"
Publié le 08/04/2024 à 15:33
Réunies en CSA ministériel le 3 avril dernier, les organisations professionnelles ont obtenu des précisions sur le coup de rabot de 328 millions d’euros du budget de la Justice annoncé en février. Soulagés de ne pas subir de coupes sur le plan des recrutements ou des rémunérations, les responsables des organisations expriment néanmoins leur lassitude quant aux effets de communication du gouvernement, ainsi que leur déception face à ce retour en arrière.  

Comme un air de déjà-vu. Pour les organisations syndicales de magistrats, les annonces budgétaires se suivent et se ressemblent à l’allure d’un manège détraqué. Adoptée dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation 2023-2027, la réforme de la Justice engagée par le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti prévoyait une hausse « historique » du budget de justice (de 9,6 milliards en 2023 à près de 11 milliards d’ici 2027), comprenant entre autres une amélioration conséquente des moyens humains mis à disposition des juridictions.

Quatre mois plus tard, les espoirs des magistrats ont été douchés par le décret du 21 février actant une baisse générale des dépenses publiques. Sur les 10 milliards d’euros de coupes dans le budget de l’Etat, 328 millions d’euros ont été retirés à la Chancellerie (soit 3% du montant initial), ventilés en 129 millions d’euros pour la justice judiciaire, 118 millions pour l’administration pénitentiaire et 38 millions d’euros pour la protection judiciaire de la jeunesse. En réaction, le Syndicat de la magistrature (SM) avait dénoncé « 10 milliards de fausses promesses » et contesté la légitimité même des conditions d’adoption du décret, engagé sans « aucune consultation préalable de la représentation nationale et des organisations syndicales ».

Réunis en comité social d’administration place Vendôme le 3 avril, les organisations professionnelles ont pu faire part de leurs inquiétudes au ministère. Lequel a pu en retour rassurer les partenaires sociaux en sanctuarisant de vive voix les recrutements de 1500 magistrats et 1800 greffiers à travers la France annoncés à Annecy le 28 mars. Avec tout de même un couac : la répartition des postes est le fruit d’un nouvel algorithme dont l’approche « innovante » selon le ministère, fondée sur l’analyse de données d’activités locales, démographiques et économiques, fait tiquer les syndicats habitués à un dialogue gestionnaire avec les chefs de cours.

L’espoir des recrutements terni par des « effets de communication »

« Pour l’instant, nous sommes en train d’analyser ces chiffres, nous n’avons pas accès à cet algorithme. Ce qui est déjà surprenant, c’est que les tribunaux qui récupèrent le plus d’affectations semblent être ceux qui étaient déjà les mieux dotés, à l’exception de la Guyane », commente Thibaut Spriet, secrétaire national du Syndicat de la Magistrature. Les nouvelles embauches apportent en effet un renfort important à la Guyane (+56% de magistrats), mais augmentent aussi sensiblement les effectifs de tribunaux bien dotés comme la cour d’appel de Paris (+596 postes), Lyon (+195 postes) ou encore Montpellier (+193 postes). De quoi tempérer les discours enthousiastes du ministère qui jurent avec la situation sur le terrain, selon les organisations professionnelles.

 « Il faut bien comprendre aussi que derrière ces annonces, il ne s’agit pas uniquement de créations de postes, affirme Thibaut Spriet. On est avant tout dans une logique de rattrapage. Ils tiennent compte, par exemple, des départs à la retraite ou des départs envisagés. 1500 magistrats en plus c’est bien. Mais en 2023, 400 postes étaient déjà vacants. Sur les 1100 restants, 150 sont préservés pour un aléa de gestion [leur affectation sera décidée par le ministère en fonction des priorités des politiques publiques, ndlr]. In fine, le chiffre est donc beaucoup plus faible. Il faut reconnaitre, pourtant, que ces annonces donnent l’espoir du rétablissement d'une forme de justice fonctionnelle. »

Même son de cloche du côté de l’Union syndicale des magistrats (USM). Sa vice-présidente, Cécile Mamelin, estime que les annonces d’Eric Dupond-Moretti n’ont réservé « absolument aucune surprise ». « Répare-t-on 30 ans d’abandon avec des effets de communication ?, commente-t-elle avec lassitude. La marche me semble encore longue pour que les délais de la justice se divisent par deux [promesse formulée par le ministre de la Justice début 2023, ndlr]. Ces effectifs supplémentaires ont le mérite d’exister mais ne seront pas magiques. On nous accorde de nouveaux budgets dont nous avons besoin depuis des années, puis on nous demande des effets immédiats, via une communication particulièrement insistante dans le débat public ». Elle ajoute : « Nous comptons en tout cas sur le gouvernement pour ne pas oublier, à terme, la réflexion qui est menée depuis 2011 sur le temps, la charge et les conditions de travail des magistrats, qui peuvent, d’une cour à une autre, connaître de grandes disparités ».

Coupe minime, mais coupe quand même

Soulagement, tout de même, pour les syndicats : sur les 129 millions d’euros amputés de la justice judiciaire, seuls 4 millions relèvent des ressources humaines. « Cette somme est mince, si on la compare à la masse salariale totale, et nous avons pu vérifier qu’il ne s’agissait que d’ajustements cosmétiques et d’effets de calendrier. Mais si Eric Dupond-Moretti se vante depuis six mois de l’augmentation de son budget, je me permets de rappeler - en citant les Etats généraux de la justice - qu’on parle d’un ministère en état de délabrement avancé ». L’USM partage ce sentiment : « Nous sommes rassurés que le titre 2, qui s’attache à l’ensemble des dépenses du personnel, ne soit pas impacté. Mais nous sommes évidemment déçus de cette coupe, aussi minime soit-elle : à peine nous promet-on des budgets qu’on nous les enlève déjà ! », regrette Cécile Mamelin.

Quid des 125 autres millions de coupe imposés à la justice judiciaire ? D’après les annonces réalisées en CSA ministériel, 84 millions d’euros seront pris sur sa réserve de précaution, 40 millions concernent des économies de « constatation » sur l’immobilier propriétaire, le reste étant prélevé sur la préservation des moyens délégués aux cours d’appel. « Ils font le choix de miser sur la réserve de protection et de dégeler des crédits. C’est une stratégie risquée et préoccupante car elle nous enlève une marge de manœuvre essentielle, alors que la justice est dépendante d’imprévus, s’inquiète Thibaut Spriet du SM. Quand on conteste, on nous impose l’argument d’autorité qui veut que le service de contrôle budgétaire et comptable ministériel a validé ces éléments. Ce coup de rabot est grossier. Nous ressortons de ce CSA avec une impression d’enfumage, face à des éléments parfois opaques ou incompréhensibles. »

L’administration pénitentiaire fortement touchée

Avec une annulation globale de 118 millions d’euros sur l’enveloppe budgétaire qui lui était initialement promise, l’administration pénitentiaire est le programme de la Chancellerie le plus durement touché dans ses recrutements, avec une perte de 14,6 millions aux contours encore flous. Mais selon les explications fournies, ces coupes ne devrait pourtant pas avoir d’impact ni sur le calendrier des recrutements, ni sur leur nombre, ni sur les avancées indiciaires et statuaires entrées en vigueur depuis le 1er janvier. Réduit de 43 millions d’euros, le budget du programme « Conduite et pilotage de la Justice » se voit quant à lui affaibli sur le plan immobilier (5,7 millions d’euros de projets qui pourraient être retardés), l’informatique (4,98 millions) et le service des ressources humaines (300 000 euros qui correspondraient à l’annulation, en mars dernier, d’une formation non-obligatoire pour les magistrats, dédiée à la transition écologique).

Laurène Secondé

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