JUSTICE

DOSSIER. Harcèlement scolaire : à Saintes, une convention pour mieux appréhender les signalements

DOSSIER. Harcèlement scolaire : à Saintes, une convention pour mieux appréhender les signalements
Cette convention multipartite entend fluidifier le traitement des signalements
Publié le 03/10/2024 à 15:30

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Envisagée comme un outil complémentaire pour renforcer la lutte contre les violences faites sur mineurs, cette convention, qui vise à améliorer le traitement des signalements, s’inscrit également comme une « trousse de secours » de l’Education nationale.

Un pas en avant dans la lutte contre le harcèlement scolaire et les violences faites aux mineurs. Mercredi 2 octobre, le Tribunal judiciaire de Saintes, le Parquet de La Rochelle, la direction des services départementaux du Ministère de l'éducation et la direction Enfance et Famille du département de la Charente-Maritime se sont réunis pour signer une convention multipartite inédite, dont le contenu entend fluidifier le traitement des signalements émis, tout en adressant une feuille de route tangible à l’égard du personnel éducatif. 

« Nous comptons par ailleurs, avec le procureur de La Rochelle Arnaud Laraize, adresser des instructions aux services de police et de gendarmerie, pour les aiguiller au mieux dans la conduite de leurs enquêtes », précise au JSS Benjamin Alla, procureur de Saintes. La signature intervient dans un contexte particulièrement sous tension, comme l’explique le magistrat. 

« Nous recevions des signalements de plus en plus nombreux au parquet de Saintes ainsi qu’à La Rochelle, provenant de l'Éducation nationale et d'une pluralité de ses acteurs : infirmière, instituteur, directeur d’école… Dans ce type d’affaires, l’enjeu est d’identifier s’il y a lieu d’enclencher immédiatement une enquête, de saisir directement la police ou la gendarmerie ou si l’on peut prendre un peu le temps pour constater s’il s’agit vraiment de pénal ou si cela relève plutôt de problèmes éducatifs. En somme : nous devons pouvoir identifier rapidement le niveau de danger pour le mineur concerné » expose-t-il.

Suggérée au cœur d’un protocole préparé dès avant l’été, la convention s’inscrit dans la déclinaison à l’échelle du département d’une politique publique nationale affichée comme prioritaire, renforcée récemment par la circulaire diffusée par le Ministère de la justice le 29 août dernier, et relative au renforcement de la lutte contre le harcèlement scolaire.

Filtrer les signalements et désengorger la justice

Si le département de la Charente-Maritime et la direction académique s’étaient déjà engagés sur la thématique du harcèlement scolaire via le programme pHARe, lancé en septembre 2023 par le gouvernement, les deux institutions cherchent à accélérer la cadence en favorisant les collaborations avec les tribunaux, affirme Mahdi Tamène, directeur académique des services de l'éducation nationale de Charente-Maritime.

« C’est essentiel pour nous de professionnaliser nos équipes sur la question des signalements, ajoute ce dernier. En spécifiant les critère inhérents à cette infraction et en formant nos personnels, le but est aussi désengorger la justice de cas de harcèlements typiquement scolaire, qui ont vocation à être traité au sein de l’école, du collège ou du lycée ».

Ladite convention engage désormais à adresser, en premier lieu, tous les signalements en lien avec des mineurs en danger à la CRIP, cellule de recueil des informations préoccupantes dont chaque conseil départemental est pourvu. 

Si les éléments revêtent un caractère de gravité assez peu prononcé, le signalement est qualifié d’ « information préoccupante ». Si les éléments sont très inquiétants, relevant de harcèlement moral, de violences physiques ou d’abus sexuels, ils sont transmis au procureur de la République, en application de l’article 40 du Code pénal.

Un phénomène difficilement quantifiable

Benjamin Alla le souligne, le harcèlement scolaire se caractérise par des situations complexes et difficilement quantifiables à ce jour. « Y’a-t-il plus de harcèlement scolaire qu’avant ? Ou simplement plus de signalements ? Ce dont je suis certain, c’est qu’il y a des choses qui sont dénoncées maintenant qui ne l’étaient pas avant. On constate qu’une certaine acceptabilité sociale a disparu. Ce qui est heureux, évidemment, mais cela exige en parallèle l’important travail de collaboration que nous menons », argue le procureur de Saintes.

Soutenue à son échelle par un pôle départemental de lutte contre le harcèlement ainsi que des référents spécifiquement dédiés à la problématique, l’Académie de La Rochelle est également dotée de la plateforme numérique StopH, qui lui permet depuis un an d’analyser précisément ces faits. Durant l’année scolaire 2023-2024, 101 situations de harcèlement, tous types confondus, ont été enregistrés sur la dite-plateforme, dont 41 qui relevait de l’école, 51 du collège et 9 du lycée. Les statistiques indiquent en outre que sur ces 101 situations, 40 d’entre elles faisaient état de violence physique, 45 de harcèlement morale et 10 de cyberharcèlement.

« Parmi ces cas, une dizaine d’entre eux ont fait l’objet d’un dépôt de plainte et 7 ont débouché sur une demande de dérogation pour changer d’établissement » complète Mahdi Tamène, qui ajoute : « Il est important de noter que l’année dernière, 56 % de ces signalements concernaient des filles. C’est un motif d’inquiétude pour notre académie, car nous savons que les violences systémiques faites aux femmes peuvent commencer tôt ».

« Rien n’est simple »

Une autre préoccupation réside dans la difficulté à qualifier le harcèlement. Selon le Code pénal [1], l’infraction est définie comme « le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale de la victime » : le harcèlement dit scolaire se caractérise donc à partir du moment où il se réalise dans le milieu scolaire, que ce soit entre élèves ou commis par un adulte.

Mais il induit aussi une notion de répétition, comme l’explique le procureur de Saintes. « Si l’établissement nous signale qu’un enfant se dit harcelé, j’ai besoin de plus d’informations. Combien de fois est-il passé à l’infirmerie ces dernières semaines ? A-t-on remarqué un effondrement des notes dans son bulletin scolaire ? Les surveillants ont-ils constaté un repli sur soi ? ». 

Au-delà, les actions déjà entamées par l’établissement interviennent comme des marqueurs de l’urgence, ou non, de la réaction du tribunal. « Si l’on m’apprend que le fauteur de trouble est déjà exclu du collège, cela me donne un peu plus de temps pour traiter l’enquête que si le lendemain matin, les deux se retrouvent dans la même classe ».

Au titre des obstacles rencontrés, le nombre d’élèves impliqués et la manière dont ces derniers participent aux faits de harcèlement ajoutent de la complexité à l’affaire, précise également Benjamin Alla. « S’agit-il d’une seule personne qui incite les autres à harceler la victime, ou plusieurs élèves qui harcèlent une fois, mais qui savent que toute la classe poursuit cette même logique ? Rien n’est simple ».

La convention entend notamment remettre un peu de fluidité entre les parties concernées et réduire les « signalements du vendredi soir », dont l’imprécision, parfois, fait barrage à une identification rapide de la gravité des faits. 

Elle s’inscrit par ailleurs comme une « trousse de secours » érigée à l’égard de l’éducation nationale, dont les acteurs peuvent se sentir bien souvent désemparés face à des scénarios délicats, comme le confirme le directeur académique Madhi Tamène : « Dans les moments sensibles et dans l’acte de signalement en lui-même, celui qui s’apprête à faire la saisine éprouve toujours une difficulté à trouver les bons mots. Ces nouveaux patterns prédéfinis vont permettre de le guider, et in fine, de faire gagner un temps de réaction à la justice, en lui transmettant un degré de précision plus important. »

Le document met désormais à disposition une trame détaillant les critères à remplir et les items permettant, ou non, de caractériser le harcèlement scolaire. Une sorte de « check-list », illustre Benjamin Alla, « dont la forme pourra peut-être être jugée aride mais qui nous évitera, plus tard, de perdre du temps ».

De l’importance d’un travail de sensibilisation collectif

Au-delà de l’aspect « théorique » et réglementaire du harcèlement scolaire, dont les répercussions sur la victime demeurent le curseur principal, assure le procureur de Saintes, Benjamin Alla pointe la responsabilité qui incombe aux juges en « lançant la machine judiciaire », dont les procédures peuvent impacter avec force les jeunes mis en cause. 

« Il faut garder en tête que la convocation d’un mineur peut causer des dégâts, rappelle le procureur. La convocation à la gendarmerie pour être entendu ou l’enquête menée peuvent parfois se révéler plus traumatisantes que nécessaire. Dans le cas d’un risque réel de danger, celui où il faut mettre un enfant à l’abri, on ne tergiverse pas. Mais tout ne justifie pas le déploiement de moyens d’enquêtes immédiats ».

Outre la gravité des faits, l’âge du fauteur de troubles rentre également en jeu, puisque la présomption d’absence de discernement joue en dessous de 13 ans. Dans ce type de cas, les réponses éducatives demeurent privilégiées. « Les parents sont entendus, en leur exposant ce qui a été démontré par l’enquête et les preuves du comportement problématique de leur enfant. S’ils sont coopératifs et prêts à agir, l’affaire s’arrête là. S’ils sont dans le déni, il deviendra alors envisageable de demander une assistance éducative » expose Benjamin Alla.

Le magistrat souligne toutefois l’importance du travail de sensibilisation à réaliser en amont à l’égard du personnel enseignant et des parents, nécessaire pour distinguer ce qui relève du harcèlement ou non : « Bousculer dans la cour d’école n’est pas nécessairement du harcèlement scolaire. Un élève qui insulte ou qui est grossier… C’est peut-être le début de quelque chose, mais si c’est pris à temps, si l’élève est repris au premier mot désobligeant, les actions de bienveillance mises en place par le personnel enseignant et les surveillants permettront bien souvent d’éviter l’escalade, et dans le pire des cas, un drame. »

Laurène Secondé



[1] Article 222-33-2-2


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