Envisagée comme un outil
complémentaire pour renforcer la lutte contre les violences faites sur mineurs,
cette convention, qui vise à améliorer le traitement des signalements,
s’inscrit également comme une « trousse de secours » de l’Education
nationale.
Un pas en avant dans la lutte
contre le harcèlement scolaire et les violences faites aux mineurs. Mercredi 2
octobre, le Tribunal judiciaire de Saintes, le Parquet de La Rochelle, la
direction des services départementaux du Ministère de l'éducation et la
direction Enfance et Famille du département de la Charente-Maritime se sont
réunis pour signer une convention multipartite inédite, dont le contenu entend
fluidifier le traitement des signalements émis, tout en
adressant une feuille de route tangible à l’égard du personnel éducatif.
« Nous
comptons par ailleurs, avec le procureur de La Rochelle Arnaud Laraize,
adresser des instructions aux services de police et de gendarmerie, pour les
aiguiller au mieux dans la conduite de leurs enquêtes », précise au JSS Benjamin Alla, procureur de Saintes. La signature intervient dans
un contexte particulièrement sous tension, comme l’explique le magistrat.
« Nous recevions des signalements de plus en plus nombreux au parquet
de Saintes ainsi qu’à La Rochelle, provenant de l'Éducation nationale et d'une
pluralité de ses acteurs : infirmière, instituteur, directeur
d’école… Dans ce type d’affaires, l’enjeu est d’identifier s’il y a lieu
d’enclencher immédiatement une enquête, de saisir directement la police ou la
gendarmerie ou si l’on peut prendre un peu le temps pour constater s’il s’agit
vraiment de pénal ou si cela relève plutôt de problèmes éducatifs. En
somme : nous devons pouvoir identifier rapidement le niveau de danger pour
le mineur concerné » expose-t-il.
Suggérée au cœur d’un
protocole préparé dès avant l’été, la convention s’inscrit dans la déclinaison
à l’échelle du département d’une politique publique nationale affichée comme prioritaire,
renforcée récemment par la circulaire
diffusée par le Ministère de la justice le 29 août dernier, et relative au
renforcement de la lutte contre le harcèlement scolaire.
Filtrer les signalements et
désengorger la justice
Si le département de la
Charente-Maritime et la direction académique s’étaient déjà engagés sur la
thématique du harcèlement scolaire via le programme pHARe, lancé en septembre
2023 par le gouvernement, les deux institutions cherchent à accélérer la
cadence en favorisant les collaborations avec les tribunaux, affirme Mahdi
Tamène, directeur académique des services de l'éducation nationale de
Charente-Maritime.
« C’est essentiel pour
nous de professionnaliser nos équipes sur la question des signalements, ajoute
ce dernier. En spécifiant les critère inhérents à cette infraction et en
formant nos personnels, le but est aussi désengorger la justice de cas de
harcèlements typiquement scolaire, qui ont vocation à être traité au sein de
l’école, du collège ou du lycée ».
Ladite convention engage
désormais à adresser, en premier lieu, tous les signalements en lien avec des
mineurs en danger à la CRIP, cellule de recueil des informations préoccupantes
dont chaque conseil départemental est pourvu.
Si les éléments revêtent un
caractère de gravité assez peu prononcé, le signalement est qualifié d’ « information
préoccupante ». Si les éléments sont très inquiétants, relevant de
harcèlement moral, de violences physiques ou d’abus sexuels, ils sont transmis
au procureur de la République, en application de l’article
40
du Code pénal.
Un phénomène difficilement
quantifiable
Benjamin Alla le souligne, le
harcèlement scolaire se caractérise par des situations complexes et difficilement
quantifiables à ce jour. « Y’a-t-il plus de harcèlement scolaire
qu’avant ? Ou simplement plus de signalements ? Ce dont je suis
certain, c’est qu’il y a des choses qui sont dénoncées maintenant qui ne
l’étaient pas avant. On constate qu’une certaine acceptabilité sociale a
disparu. Ce qui est heureux, évidemment, mais cela exige en parallèle
l’important travail de collaboration que nous menons », argue le procureur
de Saintes.
Soutenue à son échelle par un
pôle départemental de lutte contre le harcèlement ainsi que des référents
spécifiquement dédiés à la problématique, l’Académie de La Rochelle est
également dotée de la plateforme numérique StopH, qui lui permet depuis
un an d’analyser précisément ces faits. Durant l’année scolaire 2023-2024, 101
situations de harcèlement, tous types confondus, ont été enregistrés sur la
dite-plateforme, dont 41 qui relevait de l’école, 51 du collège et 9 du lycée.
Les statistiques indiquent en outre que sur ces 101 situations, 40 d’entre
elles faisaient état de violence physique, 45 de harcèlement morale et 10 de
cyberharcèlement.
« Parmi ces cas, une
dizaine d’entre eux ont fait l’objet d’un dépôt de plainte et 7 ont débouché
sur une demande de dérogation pour changer d’établissement » complète
Mahdi Tamène, qui ajoute : « Il est important de noter que l’année
dernière, 56 % de ces signalements concernaient des filles. C’est un motif
d’inquiétude pour notre académie, car nous savons que les violences systémiques
faites aux femmes peuvent commencer tôt ».
« Rien n’est simple »
Une autre préoccupation réside
dans la difficulté à qualifier le harcèlement. Selon le Code pénal , l’infraction est définie comme
« le fait de harceler une personne par des propos ou comportements
répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie
se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale de la victime » :
le harcèlement dit scolaire se caractérise donc à partir du moment où il se
réalise dans le milieu scolaire, que ce soit entre élèves ou commis par un
adulte.
Mais il induit aussi une
notion de répétition, comme l’explique le procureur de Saintes. « Si l’établissement
nous signale qu’un enfant se dit harcelé, j’ai besoin de plus d’informations.
Combien de fois est-il passé à l’infirmerie ces dernières semaines ?
A-t-on remarqué un effondrement des notes dans son bulletin scolaire ? Les
surveillants ont-ils constaté un repli sur soi ? ».
Au-delà, les
actions déjà entamées par l’établissement interviennent comme des marqueurs de
l’urgence, ou non, de la réaction du tribunal. « Si l’on m’apprend que
le fauteur de trouble est déjà exclu du collège, cela me donne un peu plus de
temps pour traiter l’enquête que si le lendemain matin, les deux se retrouvent
dans la même classe ».
Au titre des obstacles
rencontrés, le nombre d’élèves impliqués et la manière dont ces derniers
participent aux faits de harcèlement ajoutent de la complexité à l’affaire, précise
également Benjamin Alla. « S’agit-il d’une seule personne qui incite
les autres à harceler la victime, ou plusieurs élèves qui harcèlent une fois,
mais qui savent que toute la classe poursuit cette même logique ? Rien
n’est simple ».
La convention entend notamment
remettre un peu de fluidité entre les parties concernées et réduire les
« signalements du vendredi soir », dont l’imprécision, parfois, fait
barrage à une identification rapide de la gravité des faits.
Elle s’inscrit par
ailleurs comme une « trousse de secours » érigée à l’égard de l’éducation
nationale, dont les acteurs peuvent se sentir bien souvent désemparés face à
des scénarios délicats, comme le confirme le directeur académique Madhi Tamène :
« Dans les moments sensibles et dans l’acte de signalement en lui-même,
celui qui s’apprête à faire la saisine éprouve toujours une difficulté à
trouver les bons mots. Ces nouveaux patterns prédéfinis vont permettre de le
guider, et in fine, de faire gagner un temps de réaction à la justice, en lui
transmettant un degré de précision plus important. »
Le document met désormais à
disposition une trame détaillant les critères à remplir et les items permettant,
ou non, de caractériser le harcèlement scolaire. Une sorte de « check-list »,
illustre Benjamin Alla, « dont la forme pourra peut-être être jugée
aride mais qui nous évitera, plus tard, de perdre du temps ».
De l’importance d’un travail
de sensibilisation collectif
Au-delà de l’aspect
« théorique » et réglementaire du harcèlement scolaire, dont les
répercussions sur la victime demeurent le curseur principal, assure le
procureur de Saintes, Benjamin Alla pointe la
responsabilité qui incombe aux juges en « lançant la machine judiciaire »,
dont les procédures peuvent impacter avec force les jeunes mis en cause.
« Il faut garder en tête que la convocation d’un mineur peut causer des
dégâts, rappelle le procureur. La convocation à la gendarmerie pour être entendu ou l’enquête
menée peuvent parfois se révéler plus traumatisantes que nécessaire. Dans le
cas d’un risque réel de danger, celui où il faut mettre un enfant à l’abri, on
ne tergiverse pas. Mais tout ne justifie pas le déploiement de moyens
d’enquêtes immédiats ».
Outre la gravité des faits,
l’âge du fauteur de troubles rentre également en jeu, puisque la présomption
d’absence de discernement joue en dessous de 13 ans. Dans ce type de cas, les
réponses éducatives demeurent privilégiées. « Les parents sont entendus,
en leur exposant ce qui a été démontré par l’enquête et les preuves du
comportement problématique de leur enfant. S’ils sont coopératifs et prêts à
agir, l’affaire s’arrête là. S’ils sont dans le déni, il deviendra alors
envisageable de demander une assistance éducative » expose Benjamin
Alla.
Le magistrat souligne toutefois
l’importance du travail de sensibilisation à réaliser en amont à l’égard du
personnel enseignant et des parents, nécessaire pour distinguer ce qui relève du harcèlement ou non : « Bousculer dans la cour
d’école n’est pas nécessairement du harcèlement scolaire. Un élève qui insulte
ou qui est grossier… C’est peut-être le début de quelque chose, mais si c’est
pris à temps, si l’élève est repris au premier mot désobligeant, les actions de
bienveillance mises en place par le personnel enseignant et les surveillants
permettront bien souvent d’éviter l’escalade, et dans le pire des cas, un drame. »
Laurène
Secondé