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DROIT ET IMAGE - Un peu d’histoire, et quelques procès célèbres

DROIT ET IMAGE - Un peu d’histoire, et quelques procès célèbres
Publié le 30/10/2019 à 14:17


Le photographe est un auteur dont l’œuvre peut être protégée par sa Signature : Nadar et le procès Tournachon



Le premier procès mettant en cause des photographes, en France, est celui des frères Tournachon.


Félix Tournachon, journaliste, caricaturiste, écrivain, commence à se passionner pour la photographie en 1851, à l’âge de 31 ans, et adopte un pseudo qui le rendra célèbre, Nadar. Rapidement, il encourage son jeune frère Adrien, dessinateur, à faire de même. C’est ainsi qu’Adrien Tournachon crée à Paris sa propre entreprise. Les deux frères décident ensuite de s’associer et photographient ensemble le mime franco-bohémien Jean-Gaspard Debureau réalisant une série de « Pierrot » qui est récompensée lors de l'Exposition universelle de 1855.


Adrien signe ses propres photographies en utilisant le pseudonyme « Nadar Jeune », malgré les mises en garde de son aîné Félix dit Nadar, qui lui intente un procès afin de se voir reconnaître l’exclusivité de l’usage du nom de Nadar. À l’issue d’une procédure qui dure près de trois ans, Félix, débouté dans un premier temps par le Tribunal de Paris, mais finalement reconnu dans son droit par la Cour impériale présidée par le Premier président Delangle, qui considère que le nom de Nadar, « qui a servi d’enseigne artistique et littéraire aux fruits de son travail, était incontestablement sa propriété lorsque des rapports d’intérêt et d’affaires se sont formés entre son frère et lui », obtient cette exclusivité. Les deux frères se réconcilient peu après.


 


Le photographe est un artiste, et la reproduction non autorisée de son œuvre est une contrefaçon : le procès Mayer et Pierson.



Pierre-Louis Pierson est photographe portraitiste. Louis et Ernest Mayer, photographes, sont spécialisés dans le portrait photographique colorié. Pierson et les frères Mayer s’associent en 1855 et travaillent tant pour la famille impériale française (ils accompagnent leur signature de la mention « photographes de Sa Majesté l’Empereur ») que pour le Tout-Paris artistique. En 1856, ils réalisent un portrait du Comte Camillo de Cavour, qui préside à Turin le gouvernement du royaume de Sardaigne.L’un de leurs concurrents, Pierre Betbeder, lithographe, professeur de dessin mais surtout spécialiste des daguerréotypes, qui gère l’atelier photographique parisien d’Eugène Thiébault, utilise une version retouchée du portrait de Cavour (il agrandit le portrait, change la pose des jambes, fait une retouche au pinceau, introduit une bibliothèque dans le fond du décor) et le commercialise. Mayer et Pierson estiment qu’il s’agit là d’une contrefaçon. Ils intentent un procès. Leur avocat plaide que la photographie est un art. Il s’agit en effet de démontrer, pour la première fois, qu’un cliché peut être une œuvre de l’esprit et pas seulement un moyen mécanique de reproduction d’une image. Leur adversaire plaide au contraire que la photographie ne saurait être assimilée à une œuvre de l’esprit. Il est vrai que de grands artistes se sont élevés contre l’assimilation de la photographie à l’art. Tandis que Gustave Courbet, favorable à la photo, se sert d’études photographiques de divers modèles pour peindre des nus, les peintres Jean-Auguste-Dominique Ingres, Pierre Puvis de Chabannes, Eugène Isabey, Flandrin (élève de Ingres), Troyon (surnommé le peintre des vaches) et Nanteuil, hostiles à la photo, signent en effet en 1862 une pétition contre la photographie, écrivant : « Considérant que la photographie se résume à une série d’opérations purement manuelles, qui nécessite sans doute quelque habitude des manipulations qu’elle comporte, mais que les épreuves qui en résultent ne peuvent, en aucune circonstance, être assimilées aux œuvres, fruit de l’intelligence et de l’étude de l’Art, par ces motifs, les artistes soussignés protestent contre toute assimilation qui pourrait être faite de la photographie à l’Art. »


Le tribunal correctionnel de Paris, retenant dans les motifs de sa décision que « la photographie n’invente et ne crée pas », déboute Mayer et Pierson qui font appel. Le 10 avril 1862, la chambre des appels de police correctionnelle leur donne raison. La Cour estime que le portrait de Cavour est une production artistique et qu’il doit jouir de la protection accordée par la loi aux œuvres de l’esprit car les dessins photographiques « quoique obtenus à l’aide de la chambre noire et sous l’influence de la lumière dans une certaine mesure et à un certain degré, peuvent être le produit de la pensée, de l’esprit, du goût et de l’intelligence de l’opérateur ». L’arrêt est confirmé le 28 novembre 1862 par la Cour de cassation.


 


Le comte de Cavour, par Mayer et Pierson (1856)



Le propriétaire d’un immeuble a un droit exclusif sur la reproduction de l’image de son bien : le procès du facteur Cheval contre le photographe Charvat


Entre 1879 et 1912, pendant 33 ans, un facteur rural, Ferdinand Cheval, amasse des pierres avec sa brouette et réalise une œuvre architecturale monumentale, décorée d’un riche bestiaire et de personnages mythologiques, le « Palais idéal », à Hauterives (Drôme).


En 1905, un photographe professionnel, Louis Charvat, qui habite dans un village limitrophe, Le Grand Serre, prend des clichés de ce monument et commercialise, pour son propre compte, les premières cartes postales du « Palais idéal ».






Il n’a évidemment pas sollicité l’autorisation ou l’avis de Cheval. Ce dernier, indigné par le procédé, l’assigne en 1906 devant le tribunal civil de Valence. Dans son jugement du 9 juin 1906, le tribunal, au motif « qu’il n’est pas douteux, en droit, que si les clichés demeurent la propriété du photographe, celui-ci n’a pas le droit de les reproduire, de les exposer, de les mettre en vente, en un mot d’en faire usage, sans l’autorisation formelle de la personne dont ils reproduisent les traits ou la chose », dit et ordonne « que, dans la huitaine à partir du présent, Charvat sera tenu de faire cesser toute exposition, vente ou mise en vente desdites cartes postales photographiques représentant ledit monument, à peine de 50 francs par chaque contravention constatée ». Charvat fait aussitôt appel et continue tranquillement de vendre ses cartes postales.




Le 1er mars 1907, la cour d’appel de Grenoble rend son arrêt. Faute de législation spécifique sur le droit à l’image, elle doit interpréter l’article 55 du Code civil, inchangé depuis 1804 : « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous », et dire si la propriété foncière entraîne ipso facto la propriété de l’aspect visuel. Retenant « qu’il est inexact de prétendre que Charvat avait le droit de photographier le Palais Imaginaire et d’en vendre les reproductions sans le consentement de Cheval… » et constatant que « le monument est renfermé dans l’enceinte de la propriété de Cheval, de telle sorte qu’il est impossible de le photographier du dehors, et que les photographies du monument reproduit n’ont pu être prises qu’avec l’autorisation de Cheval, propriétaire exclusif de sa chose, dont on pouvait d’autant moins disposer sans son consentement, que son portrait accompagne presque toutes les vues du Palais Imaginaire », elle confirme le jugement du tribunal civil de Valence dans toutes ses dispositions.


Sorti vainqueur du prétoire, Cheval réalise ses propres cartes postales.





La carte postale illicite réalisée par Charvat montrant le Palais du facteur Cheval



La personne qui invoque une atteinte à son image doit être parfaitement reconnaissable sur l’image : Doisneau et le baiser volé


En 1950, le photographe Robert Doisneau fournit au magazine américain Life un cliché représentant un couple d’amoureux s’embrassant devant l’hôtel de ville de Paris. En 1988, Télérama publie à son tour le cliché devenu célèbre.


L’amoureuse, Françoise B., ancienne comédienne, se reconnaît et produit un tirage d’époque que lui a offert Doisneau. Elle donne le nom de son ami d’alors, lui aussi comédien. Il apparaît que le cliché a été pris lors d’une pose parfaitement orchestrée et non à la volée. Un autre couple, les L., prétend être en réalité le couple du cliché, photographié à son insu, et assigne Doisneau, lui réclamant 500 000 francs pour atteinte à leur image. Dans le même temps, Françoise B. attaque également Doisneau, car il y a eu des produits dérivés, et elle voudrait une part des recettes !


Doisneau gagne ces deux procès, avec des arguments imparables : la femme sur la photo n’est pas reconnaissable, et il ne saurait donc y avoir d’atteinte à son image. De plus, la photo n’a pas été prise à l’insu des protagonistes puisqu’il s’agissait d’une pose organisée et qu’il n’y a pas eu d’instantané.


 


L’image ne doit pas choquer la pudeur : les fesses nues de Polnareff


En 1972, le chanteur Michel Polnareff annonce son spectacle à L’Olympia par une affiche qui dévoile ses fesses.


Le parquet le poursuit pour attentat à la pudeur. Le tribunal correctionnel de Paris le condamne en 1973 à une amende de 10 francs par affiche visible : 6 000 affiches ont été posées !


 


La photo de Michel Polnareff, prise par Tony Frank, affichée 6 000 fois en 1972, entraînant la condamnation à
60 000 francs d'amende (correspondant, compte-tenu de l'érosion monétaire, à 53 900 euros)



Les mœurs évoluent : Myriam enlève le haut puis… le bas


En 1981, l’afficheur Avenir décide de lancer une campagne qualifiée d’aguicheuse pour relancer le marché des annonceurs publicitaires, et confie sa réalisation au photographe Jean-François Jonvelle qui photographie son ancienne amie, Myriam S.,
en trois épisodes : habillée, elle annonce qu’elle va enlever le haut, seins nus elle annonce qu’elle va retirer le bas, et elle apparaît finalement nue, de dos, montrant ses fesses.


Cette campagne suscite bien des polémiques, mais le sourire l’emporte et aucune poursuite n’est intentée.


Etienne Madranges,

avocat au Barreau de Versailles


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