CULTURE

Dans quelle prison se trouve encore en permanence une guillotine ?

Dans quelle prison se trouve encore en permanence une guillotine ?
L'ancienne prison française indochinoise de Hanoï (Vietnam). (c) Étienne Madranges
Publié le 07/09/2025 à 07:00

EMPREINTES D'HISTOIRE. Notre chroniqueur, en visitant la prison historique de Hanoï, Hoa Lo, a été surpris par le climat très anti-français, en réalité très anticolonialiste, résultant du décor mis en place par les autorités vietnamiennes. Depuis 1997, cette prison est un musée géré par le ministère vietnamien de la culture. Il n’en reste qu’une aile destinée à conserver intacte la mémoire des luttes passées dans une atmosphère glaçante et angoissante.

Construite par les Français, la prison centrale de Hanoï, la plus grande d’Indochine, est inaugurée en 1896. On y trouve sur plus d’un hectare, entre quatre tours de guet, plusieurs divisions, un tribunal et le siège de la police, un poste de gendarmerie, des magasins d’alimentation, des ateliers et une infirmerie. Il y a une cour de promenade et un chemin de ronde permettant des patrouilles régulières.

Les lourdes portes métalliques et tous les systèmes de verrouillage proviennent de France. Dans les cachots disciplinaires de 4 m2 aux parois peintes en noir, les lits inconfortables sont en ciment. Les murs d’une hauteur de 4 mètres sont hérissés de tessons de bouteille et parcourus de fils électriques.

Le directeur est logé sur place. D’une capacité de 500 places, l’enceinte en accueille rapidement plus de 2000.On y sépare les Européens des Asiatiques, les criminels de droit commun des détenus politiques, les majeurs des mineurs.

Un bastion de la répression

Les Français incarcèrent à Hanoï essentiellement des nationalistes. Les Vietnamiens affirment que des tortures y sont pratiquées, notamment avec des générateurs électriques. Les conditions de détention y sont difficiles. Les récalcitrants sont enfermés dans des cachots. L’humidité est constante. Les privations de soins et de lumière sont courantes.

Dans les années 30, les autorités pénitentiaires signalent que la prison est devenue le « principal foyer de propagande communiste au Tonkin », que les détenus communiquent facilement entre eux et avec l’extérieur, que des complicités sont mises en œuvre par les « gardiens indigènes ».

Une fouille des cellules opérée en 1932 permet de découvrir des centaines de brochures de propagande anti-française. Une autre fouille en 1933 permet de découvrir que les documents communistes sont enroulés et cachés dans les baguettes servant à manger le riz, creusées et évidées.

La répression s’amplifie.


Reconstitution de la détention au sein de la prison Hoa Lo (Hanoï, Vietnam) et au centre barreaux sciés d’une bouche d’égout ayant permis une évasion collective célèbre. © Étienne Madranges

La première épouse du général Giap y décède pendant son incarcération, ce qui accroîtra la haine anti française du futur vainqueur de Dien Bien Phu. Plus la répression s’intensifie, plus la volonté d’indépendance s’intensifie.


A gauche la « barre de justice » dans la prison Hoa Lo d’Hanoï, des sculptures évoquant les sévices, à droite une dynamo présentée comme ayant servi à torturer les femmes détenues. © Étienne Madranges

Les archives vietnamiennes rapportent l’usage de la torture et la cruauté du pouvoir colonial envers les 300 femmes détenues et entassées dans la prison de Hanoï. Des jeunes femmes y subissent des privations répétées (eau, nourriture, hygiène). Celles qui sont suspectées d’activités politiques sont victimes de sévices telles que la pendaison par les orteils, la flagellation, l’introduction de nids de fourmis rouges dans les parties intimes.

Les surveillants ont parfois fort à faire pour maintenir l’ordre dans la prison. On trouve dans le journal « L’avenir du Tonkin » du 2 juin 1931 : « un témoignage de satisfaction est accordé à 8 fonctionnaires des services pénitentiaires pour le motif suivant : grâce à un zèle et à un dévouement de tous les instants, assurent depuis plus d’un an dans des conditions tout particulièrement difficiles et avec plein succès le service surchargé de la Maison centrale ».

Les directeurs de la Maison centrale ne restent pas longtemps en poste. Ce sont souvent des administrateurs des services civils de la Résidence supérieure du Tonkin.

La guillotine, symbole de la terreur coloniale

Au sein de la prison, deux guillotines*, importées de France, sont en permanence prêtes pour les exécutions capitales qui se déroulent à l’extérieur, la plupart du temps devant la porte centrale de l’établissement carcéral.

Les condamnés à mort n’ont pour seul environnement sonore que la rumeur sourde de la ville, le bruit des chaînes des prisonniers, les conciliabules des rebelles qui continuent à préparer la révolution en cellule, et le grincement funeste de la guillotine. La plupart sont des patriotes nationalistes du Viet Minh opérant au Tonkin, majoritairement communistes, souvent arrêtés lors d’échecs de mutineries.

Après l’exécution, les têtes décapitées sont parfois exposées en public dans une volonté d’intimidation de la population. Les archives historiques vietnamiennes documentent dans le détail certaines exécutions.

En 1930, après les mutineries de soldats vietnamiens appartenant à l’armée française, plusieurs dizaines de condamnations à mort sont prononcées le 28 mars 1930 par la Commission criminelle du Tonkin présidée par Jules Bride. Les décisions sont validées par le gouverneur général de l’Indochine, Pierre Pasquier.

Ainsi, 13 nationalistes membres du parti vietnamien, qu’on appellera les « martyrs de Yen Bai » (du nom du soulèvement patriotique de Yen Bai) sont décapités par le bourreau annamite le 17 juin 1930 à 5h 30 du matin. Parmi eux figure Nguyen Thai Doc, fondateur du parti, de même que Pho Duc Chin, qui demande à être allongé sur le dos « pour voir tomber le couperet ». Certains ont refusé toute mesure de grâce ou d’amnistie. Les autres ont vu leur grâce refusée par décret du 10 juin 1930. Le 17 juin, le dispositif policier et militaire est imposant. Un détachement de la Légion, des tirailleurs et des gardes indigènes assurent la sécurité. Les condamnés ont été amenés, ligotés, à Yen Bai par train spécial. Des journalistes sont présents aux côtés des représentants de l’administration coloniale. L’exécution, gardée secrète jusqu’au dernier moment, est réalisée de façon très solennelle. Chaque condamné, en montant à l’échafaud, reste digne et crie « Vive le Vietnam ». Plusieurs d’entre eux avaient été baptisés dans la nuit par l’aumônier de la prison.

Cet épisode sera considéré comme un moment fort de la résistance héroïque du peuple vietnamien.


La guillotine d’origine et la malle en osier destinée aux corps décapités dans la prison de Hoa Lo. © Étienne Madranges

La « Hanoï Hilton »

Après le départ des Français en 1954, la prison reçoit des criminels de droit commun.

A partir de 1964, certains prisonniers américains sont incarcérés dans la prison de Hanoï. En particulier, les pilotes américains capturés y sont regroupés, ce qui permet aux autorités vietnamiennes d’affirmer que les conventions de Genève sont parfaitement respectées. Très vite, les pilotes prisonniers l’intitulent la « Hanoï Hilton ».

Le 26 octobre 1967, John MacCain, pilote de la Navy, s’éjecte de son avion abattu au-dessus de Hanoï. La foule tente de le lyncher mais, gravement blessé aux bras et aux jambes, il est immédiatement incarcéré à Hoa Lo. Placé à l’isolement, il est l’objet de tortures qu’il décrira dans ses Mémoires mais qui seront niées (en vain, les sévices sont parfaitement établis et MacCain en conservera des séquelles) par son geôlier, Trang Trong Duyet. Ligoté, suspendu pendant des heures à des cordes, mal ou peu soigné, il refusera d’être libéré à des fins de propagande, expliquant plus tard après cinq ans de détention : « Tous les hommes ont un point de rupture. J’avais atteint le mien », faisant allusion à la confession anti-américaine qu’il avait fini par signer sous la contrainte.

Il deviendra par la suite un sénateur respecté des États-Unis, le premier ambassadeur des États-Unis au Vietnam, et sera candidat républicain à la Maison Blanche… soutenu… par son ancien geôlier vietnamien !

En 1987, un film de Lionel Chetwynd, « The Hanoï Hilton », retracera le calvaire subi par les prisonniers américains à Hoa Lo et leur résistance face aux sévices endurés.


A gauche la tenue de pilote de John MacCain exposée dans la prison Hoa Lo et à droite le héros national vietnamien qui l’a abattu, et qui avait en 1954 fait sauter la piste d’atterrissage de Dien Bien Phu**. © Étienne Madranges

La maison centrale de Hanoï, désormais connue sous le seul nom de Hoa Lo (« la fournaise »), n’est pas seulement un monument de pierre ni le témoignage d’un passé colonial. Elle est la matrice d’une mémoire nationale, le miroir d’un siècle de luttes, de douleurs et d’espérance. Elle renforce la fierté de l’indépendance et incarne la capacité d’un peuple à transformer en victoire ce qu’il considère comme un asservissement.

La guillotine silencieuse, témoin d’un lourd passé, qui est l’un des éléments majeurs de ce pénitencier, semble pour longtemps accompagner les battements de cœur d’un Vietnam qui se veut indomptable.

Étienne Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 267

* Au sujet de l’intervention de Louis XVI sur la forme du couperet de la guillotine, voir notre chronique n°79 dans le JSS n°18 du 6 mars 2019

** Nous avons cherché à rencontrer le héros vietnamien ayant d’une part fait sauter la piste d’atterrissage de Dien Bien Phu alors qu’il avait 14 ans et s’était glissé avec des explosifs dans un étroit boyau sous la piste, et ayant d’autre part par la suite abattu plusieurs avions américains dont celui de MacCain. Nous l’avons retrouvé dans un village du Nord du Vietnam où il tient un gîte et une table d’hôtes. Il a été multi décoré par Ho Chi Minh. Lors d’un déjeuner, il nous a dit n’avoir aucune rancœur et être pour la paix et l’amitié entre son pays et la France ainsi qu’avec les États-Unis.

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