EMPREINTES D'HISTOIRE. Notre chroniqueur, en
visitant la prison historique de Hanoï, Hoa Lo, a été surpris par le
climat très anti-français, en réalité très anticolonialiste, résultant du décor
mis en place par les autorités vietnamiennes. Depuis 1997, cette prison est un
musée géré par le ministère vietnamien de la culture. Il n’en reste qu’une aile
destinée à conserver intacte la mémoire des luttes passées dans une atmosphère
glaçante et angoissante.
Construite par les Français,
la prison centrale de Hanoï, la plus grande d’Indochine, est inaugurée en 1896.
On y trouve sur plus d’un hectare, entre quatre tours de guet, plusieurs
divisions, un tribunal et le siège de la police, un poste de gendarmerie, des
magasins d’alimentation, des ateliers et une infirmerie. Il y a une cour de
promenade et un chemin de ronde permettant des patrouilles régulières.
Les lourdes portes
métalliques et tous les systèmes de verrouillage proviennent de France. Dans
les cachots disciplinaires de 4 m2 aux parois peintes en noir, les
lits inconfortables sont en ciment. Les murs d’une hauteur de 4 mètres sont
hérissés de tessons de bouteille et parcourus de fils électriques.
Le directeur est logé sur
place. D’une capacité de 500 places, l’enceinte en accueille rapidement plus de
2000.On y sépare les Européens des Asiatiques, les criminels de droit commun
des détenus politiques, les majeurs des mineurs.
Un bastion de la répression
Les Français incarcèrent à
Hanoï essentiellement des nationalistes. Les Vietnamiens affirment que des
tortures y sont pratiquées, notamment avec des générateurs électriques. Les
conditions de détention y sont difficiles. Les récalcitrants sont enfermés dans
des cachots. L’humidité est constante. Les privations de soins et de lumière
sont courantes.
Dans les années 30, les
autorités pénitentiaires signalent que la prison est devenue le « principal
foyer de propagande communiste au Tonkin », que les détenus
communiquent facilement entre eux et avec l’extérieur, que des complicités sont
mises en œuvre par les « gardiens indigènes ».
Une fouille des cellules
opérée en 1932 permet de découvrir des centaines de brochures de propagande
anti-française. Une autre fouille en 1933 permet de découvrir que les documents
communistes sont enroulés et cachés dans les baguettes servant à manger le riz,
creusées et évidées.
La répression s’amplifie.

Reconstitution de la détention au sein de la prison Hoa Lo (Hanoï, Vietnam) et
au centre barreaux sciés d’une bouche d’égout ayant permis une évasion
collective célèbre. © Étienne Madranges
La première épouse du général
Giap y décède pendant son incarcération, ce qui accroîtra la haine anti
française du futur vainqueur de Dien Bien Phu. Plus la répression s’intensifie,
plus la volonté d’indépendance s’intensifie.

A gauche la « barre de justice » dans la prison Hoa Lo d’Hanoï, des
sculptures évoquant les sévices, à droite une dynamo présentée comme ayant
servi à torturer les femmes détenues. © Étienne Madranges
Les archives vietnamiennes
rapportent l’usage de la torture et la cruauté du pouvoir colonial envers les
300 femmes détenues et entassées dans la prison de Hanoï. Des jeunes femmes y
subissent des privations répétées (eau, nourriture, hygiène). Celles qui sont
suspectées d’activités politiques sont victimes de sévices telles que la
pendaison par les orteils, la flagellation, l’introduction de nids de fourmis
rouges dans les parties intimes.
Les surveillants ont parfois
fort à faire pour maintenir l’ordre dans la prison. On trouve dans le journal
« L’avenir du Tonkin » du 2 juin 1931 : « un
témoignage de satisfaction est accordé à 8 fonctionnaires des services
pénitentiaires pour le motif suivant : grâce à un zèle et à un dévouement
de tous les instants, assurent depuis plus d’un an dans des conditions tout
particulièrement difficiles et avec plein succès le service surchargé de
la Maison centrale ».
Les directeurs de la Maison
centrale ne restent pas longtemps en poste. Ce sont souvent des administrateurs
des services civils de la Résidence supérieure du Tonkin.
La guillotine, symbole de la
terreur coloniale
Au sein de la prison, deux
guillotines*, importées de France, sont en permanence prêtes pour les
exécutions capitales qui se déroulent à l’extérieur, la plupart du temps devant
la porte centrale de l’établissement carcéral.
Les condamnés à mort n’ont
pour seul environnement sonore que la rumeur sourde de la ville, le bruit des
chaînes des prisonniers, les conciliabules des rebelles qui continuent à préparer
la révolution en cellule, et le grincement funeste de la guillotine. La plupart
sont des patriotes nationalistes du Viet Minh opérant au Tonkin,
majoritairement communistes, souvent arrêtés lors d’échecs de mutineries.
Après l’exécution, les têtes
décapitées sont parfois exposées en public dans une volonté d’intimidation de
la population. Les archives historiques vietnamiennes documentent dans le
détail certaines exécutions.
En 1930, après les mutineries
de soldats vietnamiens appartenant à l’armée française, plusieurs dizaines de
condamnations à mort sont prononcées le 28 mars 1930 par la Commission
criminelle du Tonkin présidée par Jules Bride. Les décisions sont validées par
le gouverneur général de l’Indochine, Pierre Pasquier.
Ainsi, 13 nationalistes
membres du parti vietnamien, qu’on appellera les « martyrs de Yen Bai »
(du nom du soulèvement patriotique de Yen Bai) sont décapités par le
bourreau annamite le 17 juin 1930 à 5h 30 du matin. Parmi eux figure Nguyen
Thai Doc, fondateur du parti, de même que Pho Duc Chin, qui demande à être
allongé sur le dos « pour voir tomber le couperet ». Certains
ont refusé toute mesure de grâce ou d’amnistie. Les autres ont vu leur grâce
refusée par décret du 10 juin 1930. Le 17 juin, le dispositif policier et
militaire est imposant. Un détachement de la Légion, des tirailleurs et des
gardes indigènes assurent la sécurité. Les condamnés ont été amenés, ligotés, à
Yen Bai par train spécial. Des journalistes sont présents aux côtés des
représentants de l’administration coloniale. L’exécution, gardée secrète
jusqu’au dernier moment, est réalisée de façon très solennelle. Chaque
condamné, en montant à l’échafaud, reste digne et crie « Vive le
Vietnam ». Plusieurs d’entre eux avaient été baptisés dans la nuit par
l’aumônier de la prison.
Cet épisode sera considéré
comme un moment fort de la résistance héroïque du peuple vietnamien.

La guillotine d’origine et la malle en osier destinée aux corps décapités dans
la prison de Hoa Lo. © Étienne Madranges
La « Hanoï Hilton »
Après le départ des Français
en 1954, la prison reçoit des criminels de droit commun.
A partir de 1964, certains
prisonniers américains sont incarcérés dans la prison de Hanoï. En particulier,
les pilotes américains capturés y sont regroupés, ce qui permet aux autorités
vietnamiennes d’affirmer que les conventions de Genève sont parfaitement
respectées. Très vite, les pilotes prisonniers l’intitulent la « Hanoï
Hilton ».
Le 26 octobre 1967, John
MacCain, pilote de la Navy, s’éjecte de son avion abattu au-dessus de Hanoï. La
foule tente de le lyncher mais, gravement blessé aux bras et aux jambes, il est
immédiatement incarcéré à Hoa Lo. Placé à l’isolement, il est l’objet de
tortures qu’il décrira dans ses Mémoires mais qui seront niées (en vain, les
sévices sont parfaitement établis et MacCain en conservera des séquelles) par
son geôlier, Trang Trong Duyet. Ligoté, suspendu pendant des heures à des
cordes, mal ou peu soigné, il refusera d’être libéré à des fins de propagande,
expliquant plus tard après cinq ans de détention : « Tous les
hommes ont un point de rupture. J’avais atteint le mien », faisant allusion
à la confession anti-américaine qu’il avait fini par signer sous la contrainte.
Il deviendra par la suite un
sénateur respecté des États-Unis, le premier ambassadeur des États-Unis au
Vietnam, et sera candidat républicain à la Maison Blanche… soutenu… par son
ancien geôlier vietnamien !
En 1987, un film de Lionel
Chetwynd, « The Hanoï Hilton », retracera le calvaire subi par
les prisonniers américains à Hoa Lo et leur résistance face aux sévices
endurés.

A gauche la tenue de pilote de John MacCain exposée dans la prison Hoa Lo et à
droite le héros national vietnamien qui l’a abattu, et qui avait en 1954 fait
sauter la piste d’atterrissage de Dien Bien Phu**. © Étienne Madranges
La maison centrale de Hanoï,
désormais connue sous le seul nom de Hoa Lo (« la fournaise »),
n’est pas seulement un monument de pierre ni le témoignage d’un passé colonial.
Elle est la matrice d’une mémoire nationale, le miroir d’un siècle de luttes,
de douleurs et d’espérance. Elle renforce la fierté de l’indépendance et
incarne la capacité d’un peuple à transformer en victoire ce qu’il considère
comme un asservissement.
La guillotine silencieuse,
témoin d’un lourd passé, qui est l’un des éléments majeurs de ce pénitencier, semble
pour longtemps accompagner les battements de cœur d’un Vietnam qui se veut
indomptable.
Étienne
Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 267
* Au sujet de
l’intervention de Louis XVI sur la forme du couperet de la guillotine, voir
notre chronique n°79 dans le JSS n°18 du 6 mars 2019
** Nous avons cherché à
rencontrer le héros vietnamien ayant d’une part fait sauter la piste
d’atterrissage de Dien Bien Phu alors qu’il avait 14 ans et s’était glissé avec
des explosifs dans un étroit boyau sous la piste, et ayant d’autre part par la
suite abattu plusieurs avions américains dont celui de MacCain. Nous l’avons
retrouvé dans un village du Nord du Vietnam où il tient un gîte et une table
d’hôtes. Il a été multi décoré par Ho Chi Minh. Lors d’un déjeuner, il nous a
dit n’avoir aucune rancœur et être pour la paix et l’amitié entre son pays et
la France ainsi qu’avec les États-Unis.