En cette année olympique 2024
avec les Jeux de Paris tant attendus, la ville de Menton comptait bien mettre
l’olympisme à l’honneur avec ses agrumes lors de sa Fête du Citron annuelle. Le
comité d’organisation Paris 2024 en a décidé autrement. Faute d’être un
partenaire officiel et une commune d’accueil des épreuves, Menton n’a pas eu le
droit d’utiliser les anneaux, les mots et les emblèmes olympiques. Notre
chroniqueur Étienne Madranges s’est rendu sur place.
Une légende, rappelée sur un
écriteau officiel dans les hauteurs de la ville de Menton, veut qu’Adam et Ève
furent chassés du Paradis après qu’Ève eut cueilli un citron. Ève promit de
l’offrir au plus beau pays de la Terre. Après des années d’errance, le couple
arriva dans un lieu tellement enchanteur qu’Ève laissa tomber le fruit d’or,
créant ainsi Menton et lui offrant la multiplication de ses fruits d’or.
La ville des citrons
Au XVIIIe siècle
et au début du XIXe siècle, Menton, bien avant son rattachement
définitif à la France et au département des Alpes-Maritimes en 1861, est une
cité exportatrice de citrons, réputés pour leur goût et leur jus. En 1800, il y
a 80 000 citronniers sur les flancs de la cité méditerranéenne. Et les
marins utilisent massivement ce fruit juteux pour la prévention du scorbut.
Dans son édition du 18 mars
1882, le quotidien « Le Courrier du Berry », qui se dit
« politique, religieux, agricole, littéraire et commercial »,
relate la visite de la reine Victoria à Menton dans les Alpes-Maritimes. On
peut y lire : « Depuis sa chambre, l’œil de la Reine plonge dans
une véritable forêt d’orangers et de citronniers ». La souveraine
britannique aime la côte d’azur, ses paysages et ses habitants, ses vergers
odoriférants. Elle s’y rend souvent, y restant parfois pendant plusieurs mois.
À Menton, où elle est arrivée par un train spécial en provenance de Cherbourg,
elle découvre en 1882 le carnaval créé quelques années auparavant par les
hôteliers de la ville. Un feu d’artifice splendide est tiré en l’honneur de
celle qui est aussi impératrice des Indes. Sa présence et ses déplacements dans
une calèche entourée de cuirassiers donnent un relief particulier à cette
manifestation qui peu à peu ressemble au carnaval de Nice solidement implanté
sur la côte. Elle s’étonne parfois du « très mauvais français »
parlé par les enfants et exprime son ravissement devant les charrettes de foin
tirées par des ânes.
De nombreux Anglais, soucieux
de trouver sur la côte mentonnaise un ensoleillement supérieur à celui de
Brighton, leur sud ultime, avaient déjà pris possession de la région.
Parmi eux, dix ans plus tôt, l’inventeur (présumé)* du rugby, William Webb
Ellis, ayant passé la fin de sa vie à Menton, avait été inhumé dans le
cimetière local du Vieux Château dominant la Méditerranée. Au XXe et
au XXIe siècles, sa sépulture allait attirer des rugbymans du monde
entier venant déposer, qui un fanion d’une fédération sportive, qui un maillot
de joueur, qui une cravate d’entraîneur sur cette tombe.
La tombe de William Webb Ellis, inventeur présumé du rugby, dans le cimetière
du Vieux Château à Menton (Alpes-Maritimes) ; en incrustation à gauche une
statue de Webb Ellis âgé de 16 ans porteur du ballon ovale (fait à l’origine
avec une vessie de porc), en haut à droite une plaque commémorative à l’entrée
du cimetière rappelant que lors de la coupe du monde de rugby en 2007 en
France, les capitaines de toutes les équipes participantes sont venus déposer
une gerbe sur la tombe. © Étienne Madranges
Une fête historique traditionnelle
Jusqu’à la Première Guerre
mondiale, le carnaval est un moment très attendu. On trouve par exemple dans le
journal « Le Petit Marseillais » du 30 janvier 1913 :
« Sa Majesté Carnaval faisait mardi soir son entrée triomphale à Menton
par un temps des plus doux. Cette année Messire Carnaval se présente à ses
sujets sous les traits d’un sultan marocain des plus joyeux, enlevant au moyen
d’un criquet la plus belle des Salomé. C’est donc sur les ailes de cet
orthoptère du désert, au milieu d’une foule avide, que Carnaval arrive au
square Victoria… les confettis parisiens et les serpentins font rage… ».
C’est après la Première Guerre mondiale que les agrumes sont associés aux festivités carnavalesques.
La Fête du Citron naît ainsi
en 1934 afin de mettre en valeur ce fruit cultivé à Menton depuis le XIVe
siècle. Les jardins de la ville sont aménagés afin de permettre la promotion du
célèbre fruit local.
Les gelées et le froid
intense du très rigoureux hiver 1956 provoqués par une advection d’air
arctique, qui provoquent des milliers de morts, auraient pu entraîner la perte
des citronniers. A Cannes et à Nice, plusieurs milliers d’arbres doivent être
abattus. En Provence, 5 millions d’oliviers doivent être coupés. Mais les
arbres de Menton échappent pour nombre d’entre eux miraculeusement à ce
désastre climatique. Certains agrumiculteurs peuvent sauver leurs récoltes. La
production est néanmoins sérieusement compromise. L’arrivée du citron espagnol,
et le Mal Secco provoqué par un champignon participent ensuite à la réduction
de cette production.
Mais la Fête peut continuer.
Chaque année, elle se renouvelle avec un thème particulier : Tintin,
Pinocchio, le cinéma, le Tour du Monde en 80 jours, les tribulations d’un
citron en Chine, Bollywood, Opéras et danses… pour ne citer que quelques
exemples.
En 2023, les organisateurs
mentonnais de la Fête du Citron décident de retenir pour 2024 un thème qui
colle à l’actualité sportive tant nationale que mondiale : les Jeux de la
XXXIIIe Olympiade qui vont se dérouler en France, dans la capitale,
dans des villes de banlieue et outremer.
Dès la préparation de la
manifestation, des contacts sont pris avec le Comité d’Organisation des Jeux. Mais
la commune de Menton n’est ni ville d’accueil d’une épreuve olympique, ni
partenaire officiel.
Les célèbres cinq anneaux
olympiques ne peuvent donc être reproduits… ni avec des citrons, ni avec des
oranges… pas même avec quelques zestes… La ville se voit refuser d’utiliser les
emblèmes olympiques.
Seul le titre finalement
retenu pour la manifestation, « d’Olympie à Menton », permet,
dans le respect des règles de protection des insignes et des mots protégés par
le CIO, le CNOSF et Paris 2024, d’évoquer une légère connotation
olympique.
Les organisateurs sont
confrontés à une autre difficulté. La production totale annuelle de citrons de
Menton IGP étant d’environ 70 tonnes, il est impossible de les utiliser pour la
Fête du Citron qui nécessite d’importantes quantités d’agrumes. Il faut en
effet en moyenne chaque année 140 tonnes d’oranges et de citrons. Les fruits
sont donc importés des vergers ibériques et arrivent par 4 semi-remorques. Ce
sont en définitive des agrumes d’Espagne, fixés au moyen d’un million
d’élastiques jaunes et orangés, qui permettent d’orner les jardins de la ville
et les corsos. En revanche, au cœur de la cité, ce sont bien des citrons de Menton
IGP qui sont proposés à la vente, sous toutes les formes : fruits frais,
fruits confits, liqueurs, poudres, conserves.
Et à la fin de la fête, tous
les fruits ont été vendus à un coût très réduit afin qu’il n’y ait pas de
perte.
En 2024, près de 100 000
personnes sont venues à Menton, dans les jardins et sur la Promenade du Soleil
bordée de yuccas reliant la vieille ville au quartier de la Madone, assister
aux défilés des corsos et admirer les compositions gigantesques d’agrumes. Le
maire a pu constater que cette année était « Une année record dans
de nombreux domaines y compris celui de la joie et de la bonne humeur ».
La 90eFête du Citron en 2024 dans les jardins Biovès de Menton
(Alpes-Maritimes) sur le thème des Olympiades… sans référence directe aux
emblèmes olympiques ; il faut plus d’un million d’élastiques pour attacher
les agrumes sur les structures métalliques et les montants grillagés de soutien. © Étienne Madranges
La protection juridique rigoureuse
des insignes olympiques
Les insignes et emblèmes
olympiques sont notamment le drapeau avec les cinq anneaux, la devise, l’hymne,
la flamme, les torches. Propriétés du Comité International Olympique (CIO situé
à Lausanne en Suisse), ils sont protégés par la loi. Les anneaux olympiques,
conçus en 1913 par le baron Pierre de Coubertin, sont la pièce maîtresse de
l’ensemble. Les mots « Jeux olympiques, Jeux paralympiques » et
« Olympiade » sont également protégés dans les mêmes conditions.
Ces emblèmes et mots ne peuvent en conséquence être utilisés qu’avec le
consentement écrit du CIO, lequel a un représentant officiel dans chaque pays. En
France, ce délégataire, dépositaire officiel des propriétés olympiques, est le
Comité National Olympique et Sportif (CNOSF), qui doit veiller à l’interdiction
de leur utilisation à des fins lucratives, commerciales et publicitaires sauf
autorisation, d’autant que toutes les recettes issues des Jeux et de leur
préparation (droits télé et partenaires) permettent le financement des
fédérations sportives.
L’article L 141-5 du Code du sport énonce : « Le Comité national olympique et sportif français
est propriétaire des emblèmes olympiques nationaux et dépositaire de la devise,
de l'hymne, du symbole olympique et des termes " jeux Olympiques " et
" Olympiade ".
Le fait de
déposer à titre de marque, de reproduire, d'imiter, d'apposer, de supprimer ou
de modifier les emblèmes, devise, hymne, symbole et termes mentionnés au
premier alinéa, sans l'autorisation du Comité national olympique et sportif
français, est puni des peines prévues aux articles L. 716-9 et suivants du code de la propriété intellectuelle ».
Ces peines sont de de 4 années d’emprisonnement et 400 000 euros d’amende.
Représentant
en France le CIO, le CNOSF est titulaire des droits et veille au respect sur le
territoire national de la charte olympique. En prévision des Jeux de 2024, il
a, dès 2019, délégué ces droits au Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et
Paralympiques (COJO) intitulé « Paris 2024 », seul habilité
jusqu’aux Jeux à en autoriser l’utilisation et l’exploitation.
Insignes, symboles et mots olympiques protégés par la
loi
Les Mentonnais, faisant communier la tradition, le sport et l’esprit
festif, ont célébré à leur façon l’année olympique de la plus belle des
manières, avec des couleurs, des animations et de la joie, en continuant à
promouvoir leur citron chargé en sucre et en huiles essentielles, aux arômes
intenses et à l’acidité modérée.
Il ne reste plus qu’à espérer que l’avalanche de fruits d’or si
spectaculairement mise en scène à Menton avec fanfares, défilés et confettis, ayant
illustré Olympie en février-mars 2024 dans le cadre de la grande manifestation
hivernale inscrite à l’inventaire du patrimoine immatériel, préfigure une
avalanche de médailles d’or françaises pendant la période estivale aux jeux de
Paris !
Étienne Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 225
* la légende veut que Webb Ellis (né en 1806, ordonné prêtre et
décédé en 1872 à Menton), excellent élève du collège de Rugby (Angleterre) ait
lors d’un match de folk football en 1823 pris le ballon à la main pour aller
marquer dans l’en-but, établissant ainsi l’acte fondateur du rugby. Les
historiens du sport ont par la suite contesté le bien-fondé de cette légende
colportée par les camarades de collège de Webb Ellis.