POLITIQUE

Élections en Moldavie : la Russie en filigrane

Élections en Moldavie : la Russie en filigrane
Publié le 29/10/2024 à 12:00

La Géorgie vient de renouveler son gouvernement issu du parti pro-russe Rêve géorgien. La Moldavie réussira-t-elle, pour sa part, à se libérer de l’asservissement que Moscou cherche à imposer, par la manipulation ou par les armes, à ses frontaliers européens ?

Sur fond de tentatives de déstabilisation russes, la Moldavie vient de vivre deux événements électoraux majeurs : le premier tour de son élection présidentielle et le référendum sur son adhésion à l'Union européenne. Ces deux choix pourraient avoir de lourdes conséquences sur l'évolution du pays, situé entre la Roumanie et l'Ukraine, indépendant depuis l'implosion de l'URSS et candidat à l'adhésion à l'UE depuis 2022.

De l’autre côté de la mer Noire, les citoyens Géorgiens appelés aux urnes le week-end passé, on reconduit au pouvoir le parti pro-russe Rêve géorgien, déjà en place depuis douze ans. L'opposition pro-occidentale géorgienne, qui accuse le gouvernement sortant de graves régressions en matière de démocratie, lui reproche son orientation pro-russe, masquée par une attitude de façade pro-européenne (la Géorgie a en effet déposé une demande d'adhésion à l'UE en même temps que l'Ukraine et la Moldavie).

Pour mieux cerner les enjeux décisifs de ces élections, le Centre Grande Europe (CGE), dédié aux questions d’élargissement de l’Union européenne, de l’Institut Jacques Delors (IJD) et le Centre de recherches internationales de Sciences Po ont organisé une discussion sur le sujet.

Soumission cognitive ou soumission armée

L’ancien ministre moldave des Affaires étrangères, Nicu Popescu, revient sur la situation politique dans son pays. Il rappelle les résultats du référendum qui vient d’avoir lieu : 50,4% des votants se sont exprimés en faveur d’une modification de la Constitution pour y introduire l’adhésion à l’UE comme un objectif fondamental. Quant aux élections présidentielles, la présidente pro-occidentale sortante, Maia Sandu, a obtenu 42% des voix au premier tour. Néanmoins, le deuxième tour sera, selon, lui « très difficile », puisque la situation moldave « est et restera très compliquée ». Car au-delà de la guerre en Ukraine qui soulève des défis sécuritaires importants, la Moldavie fait partie des cibles d’une « propagande acerbe ». Même si le pays est parvenu à maintenir sa démocratie et la liberté de ses médias, les attaques russes et la corruption politique participent à l’érosion de ses institutions. L’investissement russe, très structuré, y prend la forme de réseaux pyramidaux pour manipuler les votes – en particulier par l’achat de voix – et fausser très sérieusement les urnes. Les autorités moldaves ont d’ores et déjà procédé à l’arrestation de plusieurs personnes, et elles estiment que ce réseau serait composé d’environ 230 000 individus. Les élections en cours démontrent qu’il s’agit d’une toile particulièrement difficile à démanteler à court terme, et d’une ampleur que Nicu Popescu juge « dangereuse et inquiétante ».

La situation apparaît d’autant plus préoccupante que le contexte économique reste « très compliqué » depuis deux ans et demi. La Moldavie est en effet très impactée par les effets économiques de la guerre en Ukraine. Elle subit l’inflation, une baisse importante du pouvoir d’achat, et manque d’investisseurs – qui craignent la dégradation du contexte sécuritaire. Ces circonstances conditionnent l’humeur de la population, que Nicu Popescu décrit comme « fatiguée ».

L’ancien ministre pour l’intégration euro-atlantique de Géorgie et chercheur associé au CGE-IJD, Thorniké Gordaze, a présenté le scrutin en Géorgie. Il précise que « l’ingérence russe » s’y révèle particulièrement « frappante » – la Moldavie, la Géorgie et l’Ukraine étant les trois pays de première ligne face à la Russie et au « poutinisme » comme modèle politique, c’est-à-dire comme alternative à la démocratie libérale. Or, en Moldavie et en Géorgie, si elle n’utilise pas les armes pour l’obtenir, la Russie tente tout de même d’atteindre le « même but » qu’en Ukraine. Selon Thorniké Gordaze, ces deux pays devraient donc constituer des lieux stratégiques pour l’Europe. Il y est concrètement moins dangereux d’empêcher la victoire russe, puisqu’il n’y a pas de guerre. Pourtant, l’Union européenne ne s’est pas saisie de la situation.

En Géorgie, la stratégie russe, « très efficace », pour influencer les votes, consistait à sous-traiter au gouvernement. Les messages et les narratifs russes sont ainsi distillés en géorgien par la force politique qui se prétend patriotique et pro-européenne, ce qui mène à un « impressionnant brouillage » du message. Le gouvernement « avance masqué » : il critique par exemple l’Occident « du matin au soir », tout en sachant que 80% de la population géorgienne se montre en réalité pro-européenne.

Depuis 2012, il ne fait aucun doute que le gouvernement géorgien reconduit ce week-end entretient des liens spécifiques avec la Russie et que la trajectoire européenne ne représente qu’un instrument. Thorniké Gordaze déplore que l’Union européenne ait pourtant « applaudi » ce gouvernement, au lieu de s’en inquiéter, allant jusqu’à dire, en 2015, qu’il devait servir de modèle à l’Ukraine. Le revirement n’a émergé en Europe qu’au moment de l’invasion russe en Ukraine, en février 2022. À cette époque, le gouvernement géorgien a commencé à critiquer l’Union européenne, l’accusant de se trouver à l’origine de la guerre, défendant l’idée que la tentative de l’Ukraine d’intégrer l’UE pouvait être l’origine du conflit.

Concernant sa propre intégration à l’UE, la Géorgie n’a obtenu la reconnaissance de sa vocation européenne qu’en décembre 2023, bien après la Moldavie et l’Ukraine. Son statut de candidate s’est accompagné de neuf conditions à remplir par le gouvernement géorgien. Ce dernier a provoqué un « sabotage » de la candidature du pays, en particulier en adoptant une loi contre la propagande LGBT – véritable copie de la loi russe en la matière. Bruxelles avait en effet explicitement fait la demande que cette loi, étant contraire au processus d’intégration, ne soit pas adoptée.

La campagne électorale géorgienne s’est déroulée sur fond d’intimidation (le chef du principal parti de l’opposition a par exemple été passé à tabac en mai dernier), de propagande (qui représente les leaders de l’opposition en chiens enragés), de sondages « délirants » et de distribution d’argent – par le biais d’emplois fictifs en particulier. Les quatre forces de l’opposition avaient signé une charte annonçant qu’en cas de victoire, elles formeraient un gouvernement de coalition pour mettre en œuvre les neuf conditions nécessaires à l’intégration européenne. De son côté, la propagande diffusait l’idée que choisir l’opposition condamnait le pays à la guerre avec la Russie…

Marie Mendras, autrice de La guerre permanente. L’ultime stratégie du Kremlin (Calmann-Lévy 2024), dépeint le « tableau très sombre » dans lequel s’inscrivent ces élections. Pour elle, l’intimidation et l’ingérence russes en Moldavie et surtout en Géorgie peuvent être analysées comme une revanche de la Russie sur ce qu’elle n’a pas réussi à obtenir en Ukraine, et qui l’a menée à la guerre. Elle souligne que l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie subissent depuis toujours l’« incroyable intimidation » de la Russie. C’est précisément cette influence, ainsi que la manipulation des sondages, qui font que les élections moldaves et géorgiennes n’en sont plus en réalité. Ce constat doit, selon elle, inviter l’UE à une « extrême vigilance ». La prudence dont l’Europe fait preuve devient en effet dangereuse, voire « insupportable ».

Ainsi, l’UE va se trouver, dans les semaines à venir, face au défi majeur de faire un choix stratégique de long terme. Et pour Marie Mendras, l’implication européenne, ainsi que celle de l’OTAN, doivent absolument être amplifiées – jusqu’à ouvrir un plan d’accession de l’Ukraine à l’OTAN.

Sophie Benard

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