La France fait office de
mauvais élève en matière de capacité et de gestion de ses lieux de privation de
liberté. Les établissements nationaux sont surpeuplés et proposent des
conditions de vie indignes.
Dominique Simonnot,
contrôleure générale des lieux de privation de liberté, a évoqué sa mission qui
concerne les prisons, les hôpitaux psychiatriques, les centres fermés, face aux
membres du cercle des constitutionnalistes. Sa position lui donne un « outil
extraordinaire » qui permet de rencontrer beaucoup de monde dans le
milieu carcéral.
Désormais détentrice d’une
vision privilégiée de ce microcosme, la contrôleure tient à alerter la société
sur les difficultés quotidiennes des personnes privées de liberté. Elle
regrette que les gouvernements successifs n’aient pas davantage connaissance
des problèmes du milieu carcéral. Selon elle, il y aurait plusieurs solutions
pour lutter contre l’engorgement des cellules et les conditions de détention
qui en découlent.
Dominique Simonnot a été
nommée contrôleure générale des lieux de privation de liberté le 14 octobre
2020. Auparavant journaliste spécialisée dans les affaires judiciaires, elle
avait déjà l’expérience du sujet. Elle indique même s’être « intéressée
très jeune aux enfants et adolescents privés de liberté ».
Mais aujourd’hui avec ses
fonctions, son champ d’observation s’est étendu. « On va dans des lieux
où personne ne va », confie-t-elle. Ses prérogatives lui ouvrent des
portes et lui permettent de « parler avec tout le monde ». Ses
échanges directs avec les détenus et le personnel l’ont alertée sur les lacunes
du milieu pénitentiaire. Et elle tient à ce que les pouvoirs publics et la
société en soit informés. Notre système carcéral est de plus en plus mis à mal.
L’enseignement minime alloué
aux enfants enfermés
Dominique Simonnot revient
sur un fait qui l’afflige : « On constate que les enfants ont 5 fois
moins d’heures d’enseignement que leurs camarades dehors. C'est totalement
anormal quand on y pense : des enfants qui sont déjà abîmés par la vie, qui ont
déjà des parcours totalement chaotiques, pour la plupart qui relèvent de
placements à l'aide sociale à l'enfance, ils sont passés par toutes les
vicissitudes d'une vie un peu triste... Et ils ont cinq fois moins d'heures de
cours que les autres ! » Au regard de leurs histoires
dramatiques, un accompagnement redoublé semblerait pourtant recommandé.
La contrôleure des lieux de
privation se souvient : « on a fait le tour pendant un an des
ministères concernés, on a eu zéro réponse ». Elle ajoute « le
président de la République a sursauté quand on lui a parlé de ça. […], je
voudrais que ça rebondisse ». Elle ajoute que les encadrants sont, eux
aussi, inquiets à court et moyen terme pour les enfants privés de liberté. « Les
éducateurs ne savent pas ce que les enfants vont devenir ». Le plus
souvent sans parents, privés de chance et de considération, ils atterrissent en
famille d’accueil.
Dominique
Simonnot (3e en partant de la gauche) entourée des membres du cercle des constitutionnalistes
« Des conditions de vie honteuses »
Puces de lits, cafards…,
l’hygiène des locaux d’enfermement globalement vétustes et insalubres est
propice aux maladies comme la leptospirose. Lors de ses visites, les gardiens
ont conseillé à Dominique Simonnot de ne surtout pas s’assoir dans les cellules,
« et quand vous rentrez à la maison, vous vous changez et vous mettez
tous vos vêtements au congélateur pendant 72h pour éliminer les
parasites ». Sur place, elle a entendu les témoignages des détenus qui
regrettent des violences de plus en plus fréquentes en milieu fermé. En raison
de la dureté des conditions de vie dans les établissements, les surveillants ne
peuvent pas exercer leurs missions décemment. Beaucoup se découragent, leur
métier connait un taux d’absentéisme record, et les candidats au recrutement,
dans des conditions rebutantes, deviennent rares. Certains surveillants ont
commencé leur carrière dans la pénitentiaire à un pour 50 détenus, maintenant,
ils sont à un pour 150. « Il y a des violences, très peu de
surveillants, des morts, des suicides », s’insurge Dominique Simonnot.
La surpopulation carcérale est une des raisons, « les détenus sont
abandonnés ». De plus, si leur temps de détention n’était pas « un
temps mort, s’ils apprenaient quelque chose en prison, alors, il y aurait moins
de récidivistes, j’en suis persuadée ».
La contrôleure effectue aussi
de nombreuses visites de travail à l’étranger. De ses diverses observations,
elle retient que l’Allemagne serait le pays européen aux meilleures conditions
carcérales. Par exemple, 70% des Allemands en prison travaillent. Mais outre
Rhin, donner une activité à un détenu n’est pas mal vu. En France, les
entreprises qui offrent du travail en milieu carcéral préfèrent généralement
s’en cacher, pour que leurs produits ne soient pas boycottés. Elles pourraient,
au contraire, adopter une communication qui expose leur choix de proposer une
occupation, voire une formation, aux prisonniers. Elle insiste sur le fait que
la mentalité des Français doit évoluer sur ce type de questions.
Non à la vengeance
Il ne faut pas confondre
rétention et punition. Après plusieurs années de visites, la contrôleure arrive
à la dure conclusion que « la prison est un lieu que la société utilise
pour se venger ». Les conditions de vie s’y apparentent à un châtiment
corporel. La construction de nouvelles places n’est pas la solution,
précise-t-elle, « En Allemagne, ils ont 20 millions d’habitants de
plus que nous et 15 000 détenus de moins ». Il faut imaginer des
peines et surtout des fins de peines hors les murs, en placement extérieur.
Aujourd’hui, on en pratique seulement 900 par an en France. Les fermes Emmaüs,
par exemple, proposent des structures type, durant un reliquat de peine d’un
an, pour accueillir des individus, les réacclimater à la vie en société, les
former par compagnonnage.
Pour elle, une méthode
efficace existe, « on doit imaginer les peines comme l’a fait
l’Allemagne. La solution s’appelle le placement extérieur ». Dominique
Simonnot s’inquiète pour l’avenir des détenus qui ont du mal à se reconstruire
après une privation de liberté dans les conditions actuelles d’enfermement.
Les alternatives à
l’emprisonnement fournissent un moyen de lutter contre la surpopulation
carcérale. Elles sont en train de monter en proportion égale à celle de
l’incarcération. On pourrait penser que c’est un progrès, mais les chiffres
sont trompeurs. Car elles sont infligées à des personnes qui, de toute façon,
ne seraient pas allées en prison. En fait elles servent à étendre le périmètre
du filet pénal.
Le travail d’intérêt général,
pour sa part, évite la prison. Mais son prononcé est en chute de 30%. Les juges
lui donnent peu de crédit, car il demande un suivi. Le TIG prend en compte les
compétences du condamné, une logistique (lieu de travail, de logement,
transport). L’exécution de la peine de prison reste « plus
facile » à gérer, donc plus appliquée.
Mélanie
Pautrel