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Entretien avec Bruno Dondero

Entretien avec Bruno Dondero
Publié le 28/04/2020 à 10:11
« La loi doit être un moyen de permettre aux entreprises de s’en sortir »


Près d’un an après la promulgation de la loi Pacte, le 22 mai 2019, Bruno Dondero, professeur à l’École de droit de la Sorbonne, auteur et expert pour LexisNexis et avocat associé CMS Francis Lefebre Avocats, dresse un état des lieux en revenant sur les principales mesures pour les entreprises. Il en profite également pour évoquer l’impact de la crise actuelle, liée au COVID-19, sur ces dernières.


Pourriez-vous vous présenter ?

Je suis professeur de droit à l’université Paris I Panthéon Sorbonne. Je suis également avocat associé au cabinet CMS Francis Lefebvre avocats et auteur et expert pour LexisNexis. Je m’intéresse beaucoup au droit des affaires, au droit des sociétés et à l’impact des nouvelles technologies sur les activités juridiques. D’ailleurs, cela fait longtemps que je mets mes cours en ligne sur Facebook. D’une certaine manière, je n’ai pas attendu la crise du coronavirus pour adapter mon activité à l’ère du numérique.


La loi PACTE a été promulguée voilà presque un an, le 22 mai 2019. Quel bilan en tirez-vous ? 

D’abord, la loi PACTE a une particularité : il s’agit d’une loi de longue portée. En effet, celle-ci a été préparée longtemps à l’avance. Il s’est passé plus d’un an entre le moment où l’on a commencé à parler de ce projet de loi et à évoquer les premiers textes, et le moment où la loi a été votée. Cette loi a suscité beaucoup d’échanges entre les chefs d’entreprise, les juristes, les associations professionnelles, les parties. Il s’agit donc d’une loi dont la coordination a été assurée, au mieux, en termes de textes réglementaires d’application. Il s’agit également d’une loi très riche, car elle englobe beaucoup de sujets. Parmi les mesures les plus importantes à mon sens, je dirais qu’il y en a deux qui se détachent du reste. Il y a en premier lieu le triptyque intérêt social, raison d’être, société à mission, car cette mesure touche vraiment à l’essence des sociétés et a même modifié le Code civil. La seconde mesure est celle qui concerne les commissaires aux comptes dans les sociétés. Cette mesure a eu un impact très important, non seulement sur les commissaires aux comptes, mais aussi sur la vie de très nombreuses entreprises françaises.

 

Le relèvement des seuils à partir desquels une entreprise est obligée de faire appel à un commissaire aux comptes vous semble-t-il pertinent ?

Le commissaire aux comptes est un organe de contrôle de la société. Avant la loi, ce dernier était là dans de très nombreuses situations, et dans certains cas, sa présence n’était sans doute pas utile. Désormais, il n’est plus là dans de nombreuses sociétés, certaines d’entre elles vont faire des économies certes, mais dans certaines entreprises, le commissaire aux comptes avait une véritable utilité. Malgré tout, il reste des mécanismes de rattrapage avec, par exemple, la possibilité pour les associés de demander la désignation d’un commissaire aux comptes ou de le demander en justice, notamment dans les sociétés où les rapports sont très conflictuels.

 

Pouvez-vous revenir sur la mesure qui permet de redéfinir la raison d’être des entreprises ? Qu’en pensez-vous ?

Cette mesure est plutôt bien pensée. Mais ce qui est surprenant, c’est que l’on pose les choses sous l’angle juridique, en disant que c’est juste une mention à mettre dans les statuts, alors qu’en réalité, c’est bien plus que cela. Si on demande aux entreprises de réfléchir sur leur raison d’être, on leur demande de s’interroger sur leur existence même. Il s’agit d’un débat de fond. C’est présenté comme quelque chose de technique alors que c’est quelque chose de structurant. Certes, réfléchir à sa place dans la société n’est pas une obligation pour une entreprise, mais si celle-ci n’a pas de raison d’être, on peut se demander si elle doit exister.

 

En tant que professionnel du droit, que pensez-vous de la loi PACTE en général ? Répond-elle aux attentes des entreprises ?

Sur l’aspect « intérêt social » élargi, la loi PACTE donne des possibilités aux entreprises, et celles qui voudront les exploiter vont le faire. Les autres vont laisser cela de côté. Sur cet aspect-là, oui cela répond aux besoins des entreprises. Si l’on prend toutefois la question des commissaires aux comptes, pour le coup, les textes comportent des incertitudes, notamment celle de savoir si une société qui avait dépassé les seuils avant l’entrée en vigueur de la loi, et qui aurait donc dû avoir un commissaire aux comptes, devra en avoir un maintenant que les seuils sont relevés. Ce qui est regrettable, c’est que l’on n’ait pas répondu à cette question. Cela signifie que c’est les entreprises qui devront faire des choix. Dans la loi PACTE, on trouve également la notion de « petit groupe ». Un petit groupe doit avoir un commissaire aux comptes, mais cette notion renvoie à beaucoup d’incertitudes pour les entreprises. Il est donc très regrettable d’avoir un dispositif avec des sanctions très lourdes – car quand vous devez avoir un commissaire aux comptes et que vous n’en avez pas, des sanctions pénales sont prononcées, ainsi que le risque de nullité de certaines décisions – sans que les entreprises soient sûres de faire les bons choix en amont.

 

Quel est l’impact de la loi PACTE sur le travail du juriste ?

Quand advient un texte aussi important et aussi riche que la loi PACTE, les juristes sont beaucoup sollicités. Par exemple, avec les assemblées générales qui arrivent, la question de l’administrateur représentant des salariés va se poser. Avant la loi en effet, quand vous aviez plus de 12 administrateurs dans une société, il fallait deux administrateurs représentant des salariés, et maintenant c’est quand vous avez plus de huit administrateurs qu’il vous en faudra deux. Cela signifie que beaucoup d’entreprises qui n’avaient qu’un seul administrateur devront en avoir un deuxième. Pour cela, elles devront modifier leur statut. Toute leur organisation sera à modifier. Les juristes sont donc vraiment à la manœuvre, sur certains aspects de la loi. Cependant, ce n’est pas une révolution, car les juristes étaient déjà très présents dans la vie des entreprises. Ce type de texte les sollicite encore plus.

 

Avec la crise du coronavirus et auparavant avec les crises sociales, certaines entreprises connaissent aujourd’hui de grandes difficultés. Que peut faire la loi face à cela ?

Aujourd’hui nous avons besoin de lois de réaction pour réagir aux différentes situations que rencontrent les entreprises, car nous sommes dans une société qui reste malgré tout vulnérable. En effet, si on ne peut plus se déplacer à cause d’une grève des transports, ou à cause du confinement lié à la crise sanitaire, cela affecte énormément l’activité. Pour cela, la loi doit être un moyen de permettre aux entreprises de s’en sortir.

Ces dernières connaissent toute une série de problématiques aujourd’hui. Concernant les contrats qu’elles ont conclus et qu’elles doivent exécuter, dans quelle mesure ces derniers sont-ils affectés ? Dans quelle mesure doivent-elles continuer à payer ? Et s’il y a des pénalités prévues, dans quelle mesure ces dernières vont-elles s’appliquer étant donné la situation ? Certes, les contrats peuvent prévoir eux-mêmes des clauses particulières, avec des notions comme « la force majeure » qui doivent s’appliquer pour tenter de régler ces questions, mais il reste ensuite des situations que l’on n’avait pas imaginées. Cela fait quelques semaines par exemple que l’on s’interroge sur les assemblées des sociétés qui doivent normalement se tenir dans les jours et semaines à venir. Une loi d’habilitation a été votée fin mars par le Parlement qui permet d’autoriser par ordonnance la tenue des AG à huis clos, ce qui était déjà possible auparavant dans plusieurs sociétés, mais pas dans les sociétés cotées, et souvent les statuts le prévoyaient. Bref, à cause de la crise, il faut qu’on adapte très rapidement notre droit des sociétés pour éviter que les entreprises se trouvent dans l’impossibilité de tenir leur assemblée générale.

 

Les mesures prises par le gouvernement en faveur des entreprises depuis le début du confinement vont coûter très cher à l’État. Sont-elles suffisantes selon vous ?

Il s’agit en fait d’une question de solidarité au sens le plus large. Gérald Darmanin a d’ailleurs eu cette formule très juste : « quand la maison brûle on ne compte pas les seaux d’eau pour éteindre l’incendie ». Là il faut effectivement que toutes les mesures juridiques et économiques soient déployées. Il faut que l’État joue son rôle dans la mesure de ses moyens. Il faut également que les grandes entreprises jouent leur rôle. En tant que professeur d’université, je ne peux plus assurer mes cours, j’ai donc mis en place un cours de droit des contrats en 20 leçons en ligne, avec vidéos et contenus. Malheureusement, certaines entreprises sont davantage touchées que d’autres, ceux qui ont un restaurant, un café, un salon de coiffure, par exemple, d’autant plus que ces mesures ont été déclenchées sans aucun avertissement. Si ces entrepreneurs viennent de prendre un crédit, la situation sera très compliquée pour eux, et certains d’entre eux ont déjà fait faillite même s’ils ne l’ont pas encore déclaré.

Quant à la mise en place du chômage partiel, c’est très cher, mais nous n’avons pas vraiment le choix. Nous avons une situation tellement inédite et tellement imprévisible que la seule chose que nous pouvons faire c’est de permettre à tout le monde de s’en sortir. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas seulement l’État qui peut aider. Une grande entreprise qui a, par exemple, plus de trésoreries que ses sous-traitants, c’est important qu’elle accompagne ces derniers durant cette période, en évitant notamment de fermer tous ses chantiers, en les faisant travailler d’une autre manière, sur d’autres activités… La solidarité, ce n’est pas seulement attendre que l’État nous verse quelque chose, c’est aussi que ceux qui ont les moyens d’aider à l’activité aident. Chacun à son niveau peut essayer de faire quelque chose. Il faut s’adapter. Ce qui est paradoxal dans cette crise, c’est qu’il faut à la fois être souple et discipliné. Je reste positif, car à mon avis, nous allons progresser sur énormément de choses durant cette crise. Ne dit-on pas d’ailleurs que la technologie n’avance jamais aussi vite que pendant les guerres ? Là c’est un peu pareil. Votre inventivité ne va jamais avancer aussi vite que durant cette période où l’on va vous obliger à trouver d’autres solutions.

 

Propos recueillis par Maria-Angélica Bailly


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