Lors de l’assemblée générale extraordinaire
qui s’est tenue le 9 mars dernier au tribunal de commerce de Paris,
l’association Droit & Commerce, qui réunit les professionnels du droit, de
l’économie et du chiffre qui s’intéressent au droit des affaires, a élu son
nouveau président. Marc Ringlé, avocat au barreau de Marseille et ancien
bâtonnier de l’Ordre, a pris ses fonctions pour une durée de trois ans. Quelles
sont les priorités de son mandat ? Et quel regard porte-il sur les actions
mises en place pour les entreprises au cœur de ce contexte de crise sanitaire ?
Entretien.
Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?
Je suis issu de la faculté de droit d’Aix-en-Provence,
où j’ai suivi une formation de commercialiste. J’ai ensuite rejoint le barreau
de Marseille et je me suis consacré, au sein d’un cabinet de droit des affaires
créé avec divers confrères, à une clientèle essentiellement composée
d’entreprises, appartenant surtout au monde du bâtiment et des travaux publics.
Une large part de ma pratique est donc consacrée au conseil et au contentieux –
privé et public – de ces entreprises. Par ailleurs, j’ai eu une forte activité
représentative au sein de la profession, la présidence de la Fédération
Nationale des Unions des Jeunes Avocats, divers mandats au conseil de l’Ordre
et au Conseil national des barreaux, le bâtonnat du barreau de Marseille, et
puis la présidence des Assises des Barreaux de la Méditerranée, toutes choses
passionnantes.
En tant que nouveau président de l’association, quelles
priorités souhaitez-vous donner à votre mandat ?
Je dois tout d’abord dire que je suis très fier et
honoré d’avoir été porté à la tête de cette association qui fêtera cette année
ses 45 ans. Je n’ai pas besoin de vanter l’importance de la contribution de ses
travaux au droit des affaires, magistralement célébrée par le professeur
Jacques Mestre en 2015, à l’occasion de son quarantième anniversaire. Droit
& Commerce réunit aujourd’hui plus de 400 membres, universitaires,
magistrats professionnels ou juges consulaires, chefs d’entreprises, juristes,
ou bien encore praticiens, avocats, administrateurs et mandataires judiciaires,
experts-comptables, commissaires aux comptes, experts de justice, etc. tous
intéressés à un titre ou un autre au droit des affaires, au sens large. A ce
sujet, le prix que nous distribuons pour consacrer un premier ouvrage juridique
de langue française constituant un « travail
de recherche sur la nature et le développement des liens juridiques nouveaux…
», a cette année été attribué à deux lauréats ex aequo remarquables : Madame
Armel Le Ruyet, pour sa thèse portant sur « L’agrément en droit des sociétés :
contribution à une simplification du droit » et, Monsieur Jean-Victor Maublanc,
pour sa thèse sur « Le marché des autorisations administratives à objet
économique » ; autrement dit, un ouvrage de droit public des affaires.
Mes priorités seront, dans l’ordre, déjà de maintenir du
mieux possible le cap donné par mes prédécesseurs dans la qualité des travaux
effectués. Ensuite, d’assurer la diversité et l’actualité des sujets abordés.
Enfin, d’agir en vue du rayonnement de notre association auprès des juristes
bien entendu, mais également dans les milieux économiques. Pour cela, je
m’appuierai naturellement sur notre conseil d’administration composé de
personnalités très diverses et toutes très expérimentées, mais également en
mobilisant les énergies des jeunes adhérents de tous horizons qui nous
rejoignent régulièrement.
En quoi votre rôle d’avocat et votre ancien rôle de
bâtonnier influent-t-ils sur votre vision du droit des affaires, et
pèseront-ils sur votre mandat ?
Votre question mérite en fait une double réponse.
Ma vision du droit des affaires en tant qu’avocat, est
forcément celle issue de ma pratique. C’est en premier lieu qu’aujourd’hui le
droit régit tout et que la réglementation s’insère de façon particulièrement
profonde, parfois tatillonne, dans tous les moindres rouages de la vie (et tout
particulièrement de la vie des affaires). En second lieu, c’est que le droit ne
peut rien à lui seul s’il est par trop détaché des réalités économiques et de
leurs répercussions humaines. L’association Droit & Commerce a précisément
été créée en son temps à partir de l’idée selon laquelle il était impossible
d’appréhender le droit hors du prisme de l’économie et de ses mutations. Les
moments difficiles que nous traversons sont bien le constat que l’économie est
aujourd’hui le moteur de notre société. Le droit doit donc demeurer dans son
essence, être un guide, permettre d’éviter les écarts et les débordements,
parfois être un outil d’incitation, mais n’être en aucun cas un outil de
blocage ou un repoussoir. Le rôle de l’avocat, dans tout cela, consiste à
apporter aux rouages de la vie des affaires, l’huile indispensable pour éviter
les blocages juridiques. Conseiller, avec le concours des autres professionnels
– je crois dans les synergies – afin d’éviter les erreurs et les litiges,
privilégier du mieux possible la résolution amiable des litiges. Ce qui a
toujours été vrai, l’est d’autant plus en ces moments. Enfin, veiller à
préserver aux solutions juridictionnelles, s’il en est, leurs fonctions
didactiques et humaines. Les justiciables, à tout niveau, ont besoin de
comprendre les décisions qui les concernent. Je suis personnellement très
attaché à ce que représente la fonction suprême de régulation sociale des
juridictions, qui ne sont pas de simples éliminateurs de « stocks » pour
reprendre une formule en usage et que j’abhorre.
C’est donc dans cet esprit que j’aborde ce mandat.
L’influence de mes fonctions anciennes sur mon mandat,
c’est une autre question. C’est, pour reprendre ce que j’évoquais au début de
notre propos, le fruit d’une expérience que je souhaite mettre au service d’une
association qui me tient particulièrement à cœur et qui regroupe nombre de
personnalités attachantes et brillantes, techniquement et humainement parlant.
C’est aussi la raison pour laquelle je prends ces fonctions avec beaucoup
d’humilité, car j’ai parfaitement conscience de l’ampleur de la tâche face à la
qualité de l’œuvre de mes prédécesseurs.
Je les prends en même temps avec beaucoup
d’enthousiasme, car cette association et ce qu’elle représente me passionnent,
au même titre que la personnalité des femmes et des hommes, professionnels
d’horizons divers, qu’elle rassemble, des débats qu’elle permet d’organiser, et
des idées qu’elle contribue à faire avancer.
En raison de la crise sanitaire que traverse
actuellement le monde, la France a connu une situation de confinement. Dans
cette période, de nombreuses entreprises se sont arrêtées. Quel regard
portez-vous sur cet épisode et sur les actions mises en place ? Quelles sont
vos principales craintes ?
La situation affrontée est totalement inédite et
anxiogène sanitairement et économiquement parlant. Jamais la France, le monde,
ne se sont trouvés à ce point à l’arrêt. La situation que traversent toutes les
composantes du monde économique est donc particulièrement difficile mais aussi
très diversifiée. Certaines d’entre elles, dont l’activité le permet, ont pu
s’organiser, favorisant l’explosion du télétravail, des webconférences et
accessoirement des formations, des ventes et des prestations de service en
ligne. D’autres ont été totalement bloquées. Je pense à la situation de nombre
de commerçants, contraints au plan local de baisser le rideau, alors même que
leur situation antérieure n’était déjà pas flamboyante pour diverses raisons
cumulées, mais aussi, à l’autre bout de l’échelle, à toute une série
d’entreprises d’envergure du monde de l’automobile, de l’aviation, de la mode,
du prêt à porter, du tourisme, etc. La situation de crise et la sortie de crise
méritent, dans ce contexte, les meilleurs efforts de tous.
Les pouvoirs publics, c’est manifeste, réagissent comme
ils le peuvent. Parfois de façon très contradictoire. Mais je ne me considère
pas habilité à apprécier leur action. Les messages véhiculés sont parfois
difficiles à décrypter pour les entreprises, parfois mal compris ou mal reçus.
Les entreprises du BTP ont eu du mal à comprendre que les arrêts de chantier
soient fustigés par tel ministre, alors que le ministre de l’Économie
qualifiait l’arrêt des chantiers de l’État de cas de force majeure. Chacun,
dans les entreprises, doit faire au mieux, pour la sécurité de ses salariés,
objectif majeur, mais aussi pour la survie de son entité.
Sur le plan juridique, également, la situation n’est pas
simple en soi, car les notions maniées, notamment la force majeure,
l’imprévision, sont éminemment complexes. Au surplus, on assiste à une
véritable explosion de textes législatifs et réglementaires qui sortent avec
une cadence véritablement extraordinaire (à titre d’exemple, et entre autres,
outre la loi du 23 mars, 41 ordonnances majeures en une vingtaine de jours,
sans compter les décrets et arrêtés !). Il est difficile pour le juriste de se
retrouver dans cette masse complexe. Que dire pour les entreprises, même si tout
le monde se mobilise pour les aider, avec la meilleure bonne volonté, syndicats
et fédérations professionnelles, associations, professionnels du conseil, mais
également pouvoir publics ? Le travail de chacun, et parmi d’autres de la DAJ,
mérite à ce titre d’être souligné.
La crainte vient ensuite, sur un plan pratique, de la
façon dont les choses vont se régler au niveau économique immédiat. Il faut
absolument éviter que la situation sanitaire ne mute en une sorte de virus
mortel dans les milieux économiques. La place des juridictions consulaires et
leur rôle dans la prévention des difficultés est fondamentale en ce moment. Les
professionnels du secteur sont tous mobilisés. Droit & Commerce, de son
côté, fera un point d’étape sur le sujet à l’occasion des « 7es assises de la
prévention des difficultés des entreprises », que nous organiserons à Bordeaux,
le 18 septembre prochain.
En dehors de ce qui précède, les sujets des différends
commerciaux seront multiples, conséquences des arrêts d’activité, des défauts
ou retards de livraison, des arrêts de chantiers, conditions des reprises
d’activité, des annulations ou modifications contractuelles. Nul doute que la
situation ambiante constituera dans bien des cas un motif invoqué pour tenter,
de bonne ou mauvaise foi, de proroger les délais de règlement. Il faut là aussi
absolument que tout le monde joue le jeu dans un esprit de solidarité
supérieure.
Il est peu de dire que la crise et ses conséquences
économiques conduisent à une réflexion majeure sur notre société et à des
remises en cause forcées de nombre de ses modèles et concepts. Sachez en tout
cas que le conseil d’administration de notre association est tout entier
mobilisé pour traiter de ces sujets et qu’une étude de fond est d’ores et déjà
lancée qui servira à la réflexion et à l’action des professionnels et des
usagers du droit.
Quelles sont les principales réformes à attendre en droit
des affaires en 2020 ?
Le sujet est naturellement vaste. Il est cependant
quelque peu occulté (le terme est faible), voire balayé, par l’impact quasi
atomique du phénomène actuel et le tsunami des textes de circonstances
ordonnances, décret et autres.
Les pouvoirs publics et, avec eux tous les
professionnels du droit des affaires, seront mobilisés pour de longs mois par
les conséquences de la crise sanitaire.
La surchauffe textuelle en cours amène nécessairement
son pendant de refroidissement dans le cours des projets de réforme en droit
des affaires. Cela conduit à la fois à beaucoup de modestie et à une grande
dose de relativité dans l’appréciation de l’importance des sujets dont
certains, cependant, s’imposent de plus fort. Sachez à ce titre que Droit &
Commerce organisera des prochains points d’étapes sur la régulation des
pratiques commerciales (déséquilibre significatif et autres), la rémunération
des dirigeants, etc.
L’association Droit & Commerce est aussi un lieu de
rencontres et de réflexion en droit des affaires. Comment parvenez-vous à
donner la parole à tous les acteurs issus d’horizons variés ?
De façon très naturelle. La vocation première de notre
association est de permettre aux acteurs du droit des affaires de se rencontrer
et d’échanger, sur des sujets d’intérêts ou des préoccupations communes, sur
l’évolution du droit des affaires, avec l’exigence et la rigueur scientifique
nécessaires. A l’occasion des conférences que nous organisons régulièrement au
sein du tribunal de commerce de Paris, dont je remercie vivement le président
pour son accueil, de notre colloque de Deauville (moment de réflexion irremplaçable),
des conférences que nous organisons en province sur des sujets d’actualité,
comme l’année dernière à Aix-en-Provence sur les nouvelles dispositions
relatives à la protection du secret des affaires, ou cette année à Bordeaux à
l’occasion de nos Assises de la Prévention, ou encore à l’étranger dans le
cadre d’études, de coopérations et d’échanges en vue de la promotion du droit
français des affaires.
Droit & Commerce constitue un espace unique
d’échanges d’idées et de réflexions reliant le monde de l’entreprise à celui du
droit, né de l’idée selon laquelle la pratique du droit est indissociable de la
vie économique. Elle vise selon son objet même à réunir les professionnels du
droit des affaires, afin, « … de
faciliter l’étude des lois, des règlements et de la jurisprudence concernant
l’entreprise, le commerce et l’industrie… et de permettre aux professionnels en
favorisant leur spécialisation, de rendre un meilleur service aux utilisateurs
de ce droit… ».
Quelles actions menées par votre prédécesseur, Gachucha
Courrégé, retenez-vous en priorité ?
Gachucha Courrégé a été en tous points, d’un avis
unanime, une présidente exemplaire pour notre association. S’il ne fallait
citer qu’une chose parmi ses réussites, ce serait la qualité des sujets qu’elle
a su proposer pour nos différentes conférences et journées d’étude, pour la
qualité remarquable du programme qui a rythmé la vie de notre association au
fil de ces trois années. Par ailleurs, la fin de sa présidence s’est insérée
dans un contexte international et immédiat, d’une difficulté inédite, qu’elle a
maîtrisé avec beaucoup de sang-froid et de clairvoyance. Nous devons tous l’en
remercier et je tiens à lui en rendre publiquement hommage.
Les 27 et 28 mars derniers devait se tenir à Deauville le
45e colloque de Droit & Commerce, lequel devait porter sur « La concurrence dans tous ses états ».
Pourquoi ce thème ? Une nouvelle date a-t-elle d’ores et déjà été choisie ?
Nous avons effectivement été contraints, pour les
raisons impérieuses que vous connaissez, confinement oblige, de déplacer la
date de notre colloque de Deauville aux 23 et 24 octobre prochains.
Pourquoi avoir choisi d’aborder le thème que vous citez
? Parce que véritablement, la concurrence est aujourd’hui, c’est le cas de le
dire, « dans tous ses états ». Si le
phénomène de la concurrence imprègne de façon traditionnelle la vie des
affaires, ses règles baignent celle des praticiens du droit des affaires. Tous
les acteurs économiques, dans tous les domaines y sont confrontés. La
concurrence et son encadrement juridique sont d’une importance vitale, au plan
international, européen, ou interne.
Aujourd’hui, des exemples récents sont là pour démontrer
que le droit de la concurrence a peut-être atteint certaines limites, face au
tout numérique qui transcende le phénomène de la mondialisation et en
démultiplie les effets parfois dévastateurs.
Le droit français de la concurrence, sous l’influence
européenne, s’est ouvert à l’analyse économique, et témoigne aujourd’hui d’un
changement des mentalités. La place de « l’entreprise
», n’est plus simplement celle du contrevenant sanctionné. Elle est voulue
proactive, celle de « l’entreprise
actrice (…) force de proposition devant l’autorité de la concurrence et
gendarme en son propre sein ». Cela conduit par conséquent à une véritable
réflexion stratégique, de l’entreprise et de ses conseils.
Les défis sont donc nombreux, marqués par le besoin
d’une parfaite adaptation du droit aux questions posées par le gigantisme de
l’économie numérique, de ses algorithmes, et d’une adaptation corolaire des
entreprises, soumises à des règles complexes et à des contraintes matérielles
qui ne le sont pas moins : défis des GAFA, préoccupations des PME, marché du
travail, secteur de la santé, besoins de la commande publique. Le tout en ne
pénalisant pas les entreprises françaises lorsqu’elles cherchent à s’organiser
pour faire face aux contraintes de la mondialisation.
C’est en tout cas un très beau colloque qui s’annonce,
et réunit, sous la direction scientifique de Madame Emmanuelle Claudel,
professeur à Paris II, des spécialistes de tous horizons, chercheurs,
praticiens, universitaires, ou hauts magistrats, pour ce qui constituera un
véritable point d’étape sur une concurrence « dans tous ses états ».
Propos recueillis
par Constance Périn