« Il faut parfois savoir laisser de côté [sa] feuille de route pour mener les combats que l’actualité nous impose »
Présidente de l’Union des
Jeunes Avocats de Paris depuis juillet 2019, Marion Couffignal, avocate au sein
du cabinet Auber, vient de passer le flambeau à son confrère Simon Dubois. À
cette occasion, elle livre au JSS un bilan de son mandat, riche en combats et
marqué par la crise sanitaire.
Quel bilan dressez-vous de cette année à la présidence de
l’UJA ?
Cette expérience a été
passionnante et très enrichissante. Cela m’a appris que l’on s’engage sur des
valeurs et des convictions, avec une feuille de route qu’il faut parfois savoir
laisser de côté, pour mener les combats que l’actualité nous impose. Cela
implique d’apprendre à s’adapter, ce que la profession a fait cette année en
menant une bataille difficile contre le projet de réforme des retraites, puis
en trouvant les ressources pour réagir à la sidération imposée par l’épidémie
du coronavirus.
Quels combats avez-vous menés ?
L’année a bien entendu été
marquée par la lutte contre le projet de réforme des retraites, sujet sur
lequel notre vigilance ne faiblit pas, puis par l’attention portée au sort des
collaborateurs et à la santé économique des cabinets pendant la crise
sanitaire. Cependant, nous n’en avons pas pour autant délaissé les sujets qui
nous tiennent à cœur comme l’égalité, essentielle en ce moment où l’on doit
penser l’avenir de la profession à l’aune des bouleversements que la société
tout entière, le mode du travail, l’économie viennent de traverser.
À ce titre, notre réflexion
s’inscrit dans la durée, autour du développement des entreprises d’avocat, avec
la préoccupation d’une recherche d’équilibre entre vie professionnelle et vie
personnelle.
Nous réfléchissons actuellement
aux perspectives ouvertes par la pluralité d’exercice, à l’avenir de la
collaboration libérale, au droit à la déconnexion. Dans la perspective du
rebond économique de la profession, nous explorons toutes les pistes et venons
de voter un rapport sur l’apport d’affaires et un autre sur le pacte de quota
litis (accessibles sur notre site).
Sur l’égalité au sein de la profession, en particulier,
que reste-t-il à faire ?
Il reste beaucoup à faire, pour
arriver à plus d’égalité, qu’il s’agisse de lutter contre les discriminations
en raison de l’origine, du handicap, du genre ou de l’orientation
sexuelle !
L’UJA est extrêmement militante
pour favoriser l’égalité réelle et nous avons toujours fait des propositions
ambitieuses sur le sujet. Nous avons obtenu des avancées, mais il est
encore possible d’améliorer les choses, c’est pourquoi nous sommes favorables à
un traitement identique, s’agissant des congés alloués pour l’accueil d’un
enfant, de tous les parents (qu’il s’agisse d’adoption ou d’une naissance, dans
toutes les structures familiales, hétéro ou homoparentales, y compris les
familles recomposées), ainsi qu’à une augmentation de la durée du congé alloué
au deuxième parent. L’effet de levier lié à la présence du second parent, lors
de l’accueil de l’enfant, sur son investissement dans son éducation à terme est
important et favorise l’égalité professionnelle (les rapports sur ce sujet sont
sur notre site Internet).
Nous plaidons également pour
préserver l’égalité, notamment avec des mécanismes de solidarité comme ceux qui
existent dans notre régime de retraite, c’est le sens de la motion que nous
avons votée le 17 juin dernier.
Nous menons par ailleurs des
actions de sensibilisation et de réflexion sur l’égalité en organisant
régulièrement des évènements tels que des conférences, petits déjeuners, ou des
tables rondes comme ce fut le cas à l’occasion de la journée du 8 mars.
À quelles conditions la profession réussira-t-elle sa
transition technologique ?
La profession a toutes les clés
en main pour réussir sa transition technologique, elle l’a prouvé pendant la
crise sanitaire.
Cette expérience collective a
permis de lever un certain nombre de freins, comme par exemple vis-à-vis du
télétravail, ou certaines réticences par rapport à l’utilisation de la
technologie ou des outils numériques, nous pouvons nous en réjouir.
Par ailleurs, les avocats sont
de plus en plus nombreux à créer leurs propres outils numériques, il faut les
accompagner dans cette voie par la formation, mais aussi en réfléchissant aux
modalités de financement de l’innovation des cabinets d’avocats.
Enfin, il faudra que les outils
technologiques suivent du côté de la Chancellerie si l’on veut que la
transition technologique des avocats dont vous parlez soit complète, car, nous
l’avons vu ces derniers mois, si l’on veut que la justice fonctionne, encore
faut-il qu’à l’autre bout de la chaîne, elle en ait les moyens.
Quelles sont les autres thématiques qui devront faire
l’objet d’une attention soutenue dans les années à venir ?
L’un des enjeux majeurs des
années à venir est de restaurer la valeur de l’avocat, sa place et celle du
droit dans la société.
Nous sommes des professionnels
du droit à haute valeur ajoutée, nous devons nous adapter pour proposer des
services qui correspondent aux besoins de droit et nous sommes les mieux placés
pour cela.
Cependant, au-delà de cette
réflexion qui porte vraiment sur l’avenir de la profession, ce que nous sommes
et ce que nous voulons devenir, qui doit nous amener à repenser en permanence
nos pratiques professionnelles, à nous réinventer sans perdre notre ADN, nous
devrons rester des vigies citoyennes.
Nous devrons être extrêmement
attentifs dans les mois et les années qui viennent à ce que les règles
dérogatoires adoptées sous couvert d’état d’urgence ne glissent pas
insidieusement dans l’indifférence générale, dans le droit positif, au
préjudice des libertés fondamentales auxquelles nous sommes viscéralement
attachés.
Quelles caractéristiques revêt cette nouvelle génération
d’avocats en pleine transition ?
Certainement un vrai
attachement pour cette profession, mais dénué de naïveté. Nous avons devant
nous une génération dont la plus grande force est sa capacité d’adaptation, qui
est attachée à des valeurs, a un fort désir d’éthique, de conciliation entre
vie professionnelle et personnelle, qui souhaite faire évoluer le métier
d’avocat, le faire sortir de son carcan pour qu’il commence à lui ressembler.
Votre mandat aura été marqué par le confinement. Comment
cela l’a-t-il affecté ?
Le confinement nous a conduits
à évoluer, comme tout le monde. Nous avons donc organisé la poursuite des
réunions de la Commission permanente en visioconférence, tout simplement.
En revanche, cette situation a
généré un afflux de demandes auprès de SOS collaborateurs et SOS
élèves-avocats.
Nous avons en parallèle
travaillé et communiqué sur les bonnes pratiques à adopter pendant la période
COVID dans les contrats de collaboration ou les conventions de stage. Nous
avons aussi ouvert une adresse dédiée pour renseigner les confrères sur
l’ensemble des aides mises en place, leurs modalités, etc.
La profession n’a pas été épargnée par la crise
sanitaire. Quels sont les retours que vous avez à ce titre ?
Un certain nombre de confrères
et de cabinets sont en difficulté en raison de la mise à l’arrêt de tout ou
partie de leur activité, certains ne sont pourtant pas éligibles aux
dispositifs d’aides.
Des collaborateurs et des
stagiaires se sont également retrouvés en situation difficile en raison de
baisses de rémunération, ou bien de rupture ou suspension de leur contrat de
collaboration ou de leur convention de stage.
Maintenant que vous passez le relai à Simon Dubois,
Premier vice-président sous votre mandat, quels sont vos projets à venir ?
Je vais bien entendu poursuivre
le travail de réflexion que je mène depuis plusieurs années au sein de l’UJA,
avec un goût particulièrement prononcé pour les sujets relatifs à
l’entrepreneuriat des avocats, leur transition technologique et l’égalité.
Propos recueillis par
Bérengère Margaritelli