Le 1er janvier dernier, Maître Vincent Maurel,
succèdant au bâtonnier Pierre-Ann Laugery, a pris ses fonctions à la tête du
barreau des Hauts-de-Seine. Agé aujourd’hui de 45 ans, il a prêté serment
il y a exactement vingt ans, le 11 janvier 1999. Vincent Maurel est avocat
associé au sein du cabinet d’affaires Fidal, qu’il a rejoint en 1998. Il est
également vice-président de la caisse nationale des barreaux français (CNBF).
Il a enfin été Secrétaire de la Conférence en 2000, a siégé au Conseil de
l’Ordre du barreau des Hauts-de-Seine de 2011 à 2016 ainsi qu’au Conseil
d’administration de l’HEDAC de 2013 à 2016. Il représentera désormais les plus
de 2 200 avocats du barreau pour un mandat de deux ans. Quelles
seront les priorités de son bâtonnat ?
Pouvez-vous revenir sur
votre parcours ?
J’ai débuté mes études de droit à l’Université de
Poitiers, où j’ai obtenu ce que l’on appelait à l’époque un DESS-DJCE (avec
certificat en droit fiscal) et un DEA de droit privé.
J’ai également étudié la Common Law, en
Irlande d’abord durant six mois, à l’Université de Galway, puis en
Angleterre, à l’Université de Cambridge, au Trinity College, où j’ai
passé une année entière.
J’ai ensuite intégré l’école de formation des avocats
de Versailles, devenue depuis l’HEDAC, avant de rejoindre en 1998, après
différents stages, le Cabinet Fidal, où j’exerce toujours en qualité d’associé,
au sein du département Corporate – Banque Finance.
Pourquoi vous êtes-vous
présenté au bâtonnat ? Comment définiriez-vous la fonction de « bâtonnier » ?
Quelles sont ses principales missions ?
J’ai très vite pris goût à la vie ordinale, comme Secrétaire
de la Conférence d’abord, puis rapidement ensuite en rejoignant le Conseil de
l’Ordre du barreau des Hauts-de-Seine en 2011.
À la même date, j’ai été élu délégué de la CNBF pour les avocats du ressort de
la cour d’appel de Versailles.
Peu de temps après, j’ai également pris des fonctions
au sein du Conseil d’administration de l’HEDAC et du Conseil Régional de
Discipline.
Ces différentes fonctions et mandats m’ont permis
d’apprécier notre profession sous de très nombreuses facettes, de travailler sur
de nombreuses questions la concernant, de la formation initiale à la
liquidation des droits quand sonne l’heure de la retraite… C’est ainsi assez
naturellement que j’ai souhaité profiter et faire profiter de cette expérience
en présentant ma candidature au bâtonnat.
Les missions du bâtonnier sont d’abord celles de
représentation de l’Ordre et de porte-parole des avocats d’une part, de gardien
de la discipline et d’arbitre entre les confrères qui connaissent un différend,
d’autre part.
Le bâtonnier a aussi pour mission de gérer l’Ordre et
de présider le Conseil de l’Ordre.
Mais au-delà de ces missions traditionnelles, je
crois que le bâtonnier doit être présent pour chacun de ses confrères
lorsqu’ils rencontrent des difficultés. Il doit également « animer »
la vie de son barreau : à l’heure de la dématérialisation et alors que
l’on se croise de moins en moins, au Palais notamment, il convient de créer de
la convivialité à travers des événements qui permettent aux avocats de se
retrouver et d’échanger.
Sur quelles priorités
souhaiteriez-vous construire votre mandat ? Quelle orientation
souhaitez-vous lui donner ?
Mon objectif premier est de favoriser
l’entrepreneuriat et le développement de nos activités dans un contexte
technologique et concurrentiel de plus en plus exigeant.
Mes priorités iront ainsi vers la formation, afin de
permettre aux avocats de s’approprier les nouveaux métiers et les nouvelles
missions qui s’offrent à nous (MARD, missions de compliance, activités
accessoires…) ainsi que notre déontologie. Celle-ci ne doit en effet pas être
vue comme une contrainte mais comme une source d’opportunités, avec notamment
des règles nouvelles en matière de publicité, d’interprofessionalité, de
structures d’exercice, de financement, d’exercice voire d’intégration
d’activités non réglementées…
La réalisation de cet objectif passe également par la
maîtrise des nouvelles technologies : je vais donc poursuivre les travaux
initiés par mon prédécesseur, le bâtonnier Laugery, sur la mise en place de
conventions avec des legaltechs au profit des avocats du barreau. Je souhaite
également ouvrir la réflexion sur la création d’un incubateur. Je veux
toutefois éviter les gadgets. Nous allons donc nous nourrir de l’expérience
acquise en la matière par les différents barreaux qui ont déjà créé un
incubateur, en nous rapprochant notamment du Réseau National des Incubateurs de
Barreaux (RNIB).
Enfin, deux projets me tiennent particulièrement à
cœur :
• celui de l’ouverture de notre barreau à l’international : je
souhaite d’une part, poursuivre et renforcer notre participation aux travaux de
la CIB et de l’UIA ainsi que les jumelages qui viennent d’être mis en place
avec les barreaux de Beyrouth et de Mons, et d’autre part, créer de nouveaux
partenariats avec d’autres barreaux étrangers, africains notamment ;
• celui de la solidarité : je souhaite regrouper les bonnes volontés,
nombreuses parmi nos confrères, actifs comme honoraires, afin d’aider de
multiples façons ceux de nos confrères qui en ont besoin (par l’information,
par le tutorat, par l’orientation…).
La parité sera-telle au
centre de vos préoccupations ?
Non. Mais ne vous méprenez pas : j’y suis
favorable, bien sûr. Mais de fait, elle existe aujourd’hui, et c’est tant
mieux : le Conseil de l’Ordre du barreau des Hauts-de-Seine se compose de
13 consœurs et 11 confrères. Sur 22 Commissions, 12 sont présidées ou
animées par des consœurs.
Notez que je n’ai pas été convaincu et ne le suis
toujours pas, par les règles électorales mises en place il y a quelques années
pour assurer la parité dans les Conseils de l’Ordre avec les fameux binômes.
Ces règles restreignent ceux ou celles qui veulent candidater sur leurs seules
idées. Elles les obligent à se trouver un « co-binôme », au
détriment du message qu’elles ou qu’ils pourraient initialement souhaiter
porter. Certains mêmes renoncent, ne trouvant personne avec qui se présenter.
Il est certain que cette réforme a accéléré la mise
en place de la parité au sein des Conseils, mais je pense que celle-ci était
quoiqu’il en soit inéluctable : rappelons qu’aujourd’hui, la profession se
compose de femmes à 56 %, et que cette tendance est haussière. Il
conviendrait à présent de réfléchir à d’autres modalités électorales :
l’instauration de collèges hommes/femmes est une piste à explorer.
Dans l’immédiat, je suis toutefois bien plus
intéressé par la question de l’égalité des rémunérations et des promotions au
sein des cabinets d’avocats (les deux sujets étant d’ailleurs très souvent
liés) ainsi que par la lutte contre les discriminations et le harcèlement.

M. le bâtonnier Pierre-Ann Laugery et M. le bâtonnier
Vincent Maurel lors de la Rentrée de la Conférence du barreau des
Hauts-de-Seine, le 16 novembre 2018.
Le barreau des
Hauts-de-Seine est jeune (créé en 1972) mais « dynamique, solidaire et
un barreau d’affaires ». Comment le décririez-vous ? Quelles sont
ses spécificités ?
Vous l’avez parfaitement décrit en quelques
mots ! Le barreau des Hauts-de-Seine est en effet le premier barreau
d’affaires, deux tiers de ses membres étant associés ou collaborateurs de ce
que nous appelons les « grandes structures » : cabinets
de réseaux anglo-saxons et grands cabinets français, qui étaient à l’origine
des conseils juridiques.
La fusion des professions est maintenant ancienne, et
l’on peut dire qu’elle a particulièrement réussi dans notre barreau. Celui-ci a
su mixer les deux cultures, pour prendre le meilleur de chacune d’entre elles.
Ainsi, bien que barreau d’affaires, il n’en est pas
moins ouvert aux autres secteurs du droit, où il est également particulièrement
dynamique et vigilant. Il a été à la pointe du combat contre les cages de
verre, qu’il a initié. Il a également organisé et accueilli en décembre dernier
les 19es Assises des Avocats d’Enfants. À la Défense. Tout un
symbole.
Cette spécificité se traduit par une répartition
équilibrée entre avocats issus des deux cultures au sein du Conseil de l’Ordre,
où règne une excellente harmonie. Aucun préjugé n’y a sa place et toutes les
questions qui y sont discutées, qu’elles concernent la vie du palais ou des
préoccupations propres à l’activité de conseil, le sont dans un esprit de
concorde, avec la volonté de bien comprendre et d’y apporter les bonnes
solutions.
Bref, notre barreau illustre aujourd’hui parfaitement
la richesse et la diversité de notre profession.
En cette période de
mobilisation, quel regard portez-vous sur la réforme de la Justice ?
Un regard attristé. Je regrette un terrible gâchis. Il
est certain que la Justice mérite d’être réformée. Nous avons notamment évoqué
les nouvelles technologies, et l’on peut difficilement concevoir que la Justice
ne s’adapte pas lorsque la société évolue.
Mais sans m’attarder sur le fond, à propos duquel
beaucoup a déjà été dit et écrit, et qui est inacceptable sur de nombreux
points (sur la place de la victime dans la procédure pénale, sur le transfert à
la CAF de la révision des pensions alimentaires, sur l’éloignement des citoyens
de la justice et des juges…), on ne peut que regretter la méthode.
Les avocats ont le sentiment d’avoir été trompés… Et
aujourd’hui, alors que vient de s’ouvrir le grand débat national voulu par
notre Président, il est incompréhensible que les discussions parlementaires
autour du projet de loi Justice n’aient pas été suspendues afin que la Justice
de demain fasse elle aussi l’objet de ce grand débat…
Henri Leclerc était
l’invité de la rentrée de la Conférence qui s’est tenue le 16 novembre dernier
(voir JSS n° 89 du 12/12/2018). Avez-vous un « mentor »,
ou une figure qui vous a donné envie de faire ce métier ?
J’avais déjà eu l’occasion d’entendre plaider Henri
Leclerc aux assises lorsque j’étais élève-avocat.
Mais j’ai été une fois encore impressionné, pour ne pas dire ému, par son
intervention lors de notre rentrée. Celui-ci nous a donné une grande leçon
d’éloquence. Il a su également rappeler à chacun d’entre nous ce qu’était
l’avocature, sa beauté et les valeurs humanistes qu’elle porte.
Parmi les figures qui m’ont marqué, je citerai Robert
Badinter, pour son talent oratoire et, surtout, son combat contre la peine de
mort.
Je citerai également, si l’on remonte le temps, ceux
qui ont pris la défense d’un homme à rebours d’un pouvoir vengeur, voire
sanguinaire : les défenseurs de Louis XVI, et en particulier
Malesherbes, qui le paiera de sa vie ; ceux qui ont défendu des militants
communistes poursuivis devant la section spéciale de sinistre mémoire, durant
l’Occupation, parmi lesquels Jacques Isorni, qui prendra ensuite à la
Libération, la défense de collaborateurs. Isorni qui, à la question « De
quel côté étiez-vous au moment de la guerre ? », répondit « J’étais
du côté des prisonniers. À la Libération, les prisonniers ont changé. Moi, je suis
resté du côté des prisonniers ». Traduction, dans la bouche d’un
avocat, de la pensée voltairienne selon laquelle il convient de se battre pour
que chacun puisse s’exprimer, même si l’on ne partage pas les mêmes idées.
Enfin, je citerai le bâtonnier André Damien, auprès
duquel j’ai eu la chance d’apprendre notre déontologie.
Quel regard portez-vous
sur la formation d’avocat telle qu’elle est actuellement ?
Cette formation est trop longue et parfois mal
adaptée.
La plupart des propositions de réforme de la
formation initiale adoptées en novembre dernier par le CNB semblent ainsi aller
dans le bon sens : hausse du niveau de recrutement, suppression de la
passerelle pour les docteurs en droit, diminution de la durée de formation dans
les écoles, prééminence de l’épreuve orale de déontologie, dont la note en
dessous de la moyenne deviendrait éliminatoire.
Je suis en revanche beaucoup plus sceptique sur la
proposition relative à l’accompagnement des jeunes confrères à leur sortie
d’école. Si la création d’avocat « accompagnant » en cas
d’installation immédiate à titre individuel est adoptée, nous verrons en
pratique comment lui donner corps. Mais j’avoue avoir une certaine nostalgie du
stage obligatoire de deux ans. À mon sens, nous ne rendons pas service aux
jeunes confrères qui viennent d’avoir le CAPA en leur laissant la possibilité
de poser directement leur plaque...
Sur le contenu, je crois à la multidisciplinarité et
au travail en équipe. Je salue à cet égard le travail remarquable accompli par
certaines écoles et en particulier l’HEDAC, avec la mise en place de Modules
approfondis de pratiques professionnelles (ou « MAPP ») qui
permettent aux élèves-avocats d’appréhender un cas pratique, sous différents
angles juridiques. Prenons la restructuration d’entreprise : il leur sera
demandé d’analyser celle-ci sous l’angle du droit des sociétés, du droit
fiscal, du droit social. Dans un autre secteur, la défense pénale criminelle
par exemple, il sera fait appel à des compétences diverses telles que la criminologie,
la criminalistique et la défense pénale.
Ainsi, nos futurs confrères vont travailler ensemble
de manière transverse, guidés par plusieurs avocats spécialisés.
Je crois également que les écoles d’avocat doivent
s’ouvrir aux partenariats. Je citerai à titre d’illustration la convention qui
vient d’être signée par l’HEDAC avec HEC Paris, et à travers elle son Mastère
Droit et Management International (ou « DMI ») et sa Majeure
Stratégie Fiscale et Juridique Internationale.
Numérisations, algorithmes,
legaltechs… Comment envisagez-vous l’avocat de demain ? Comment
souhaitez-vous accompagner la profession vers cette mutation ?
Face aux évolutions technologiques, nous n’avons plus
le choix. Il nous faut être agiles et nous approprier celles-ci. Nous devons en
être les acteurs et non pas de simples utilisateurs, voire pire, les produits…
La multiplication des plateformes de mise en relation crée ce dernier risque.
Il ne faut pas avoir peur du changement, mais il ne
faut pas non plus être naïf : notre profession va subir de profondes
modifications et beaucoup de nos activités traditionnelles sont appelées à être
très sérieusement modifiées, voire à disparaître.
Je prendrai pour seul exemple le droit des sociétés. Depuis quelques années
déjà, des missions que je qualifierai de « simples », comme la
rédaction de statuts ou l’accompagnement dans le cadre d’actes courants de la
vie sociale (approbation des comptes par exemple), sont de plus en plus
compliquées à proposer, sauf à accepter des honoraires très bas. Cela
s’expliquait principalement par la concurrence d’autres professions
réglementées ; cela va terriblement s’accentuer avec la numérisation.
Cela est vrai pour bien d’autres secteurs du droit.
Alors, pour accompagner cette mutation, je l’ai
dit : il faut multiplier les formations, faire de notre déontologie un
« argument de vente », créer nos propres legaltechs, jouer la
carte de l’interprofessionalité.
Quel autre métier
auriez-vous pu exercer et pourquoi ?
Au lycée, j’avais trois passions. Je les ai toujours
d’ailleurs : l’histoire, la politique et le théâtre… Alors peut-être
aurais-je pu embrasser un métier en lien avec l’une de ces trois passions. Mais
très franchement, je n’ai pas vraiment hésité à la fin de mes études
secondaires. Je ne vais pas vous dire que je suis entré en faculté de droit
comme on entre en religion, mais je ne me suis pas posé beaucoup de questions.
J’ai très vite voulu devenir avocat.
Quelle est la loi qui
devrait être reformée selon vous, et pourquoi ? Ou quelle est la loi/réforme
qui vous a particulièrement marqué ?
Parlons d’une loi très récente : la loi du
23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude fiscale.
Ce n’est pas qu’elle soit marquante en tant que telle, mais disons plutôt
qu’elle m’inquiète en ce qu’elle instaure une amende administrative à
l’encontre notamment des avocats, qui fourniraient une prestation facilitant
une fraude fiscale ou sociale grave.
Avec cette disposition, cette loi, qui pour le reste
est parfaitement justifiée par la lutte nécessaire contre la fraude, s’inscrit
dans un mouvement général de suspicion à l’égard des avocats qui me déplaît
terriblement.
Elle est en outre de nature à remettre en cause notre secret
professionnel, à l’instar d’ailleurs d’autres textes qui se profilent. Voyez la
Directive Intermédiaire, « DAC 6 », qui met à la charge des
intermédiaires, l’obligation de révéler les schémas d’optimisation fiscale
transfrontières dits « potentiellement agressifs », et dont
nous attendons les textes de transposition. Voyez également le projet de
création d’un Examen de Conformité Fiscale, sur lequel travaille
Monsieur Gérald Darmanin, dans le cadre de la « Nouvelle Relation
de Confiance » qu’il souhaite entre les entreprises et
l’administration…
Enfin, pour conclure, je ne mentionnerai pas un texte passé, mais une
réforme annoncée, celle des retraites avec la création d’un régime universel,
qui impliquerait la disparition de notre Caisse de retraite, la CNBF. Je suis
farouchement opposé à une telle disparition. Notre Caisse est équilibrée,
pérenne et particulièrement solidaire : solidaire vis-à-vis des caisses
déficitaires (auxquelles elle verse chaque année 85 millions d’euros) et
solidaire vis-à-vis de ceux d’entre nous qui ont les revenus les plus modestes.
Propos recueillis par Constance Périn