JUSTICE

Éric Dupond-Moretti relaxé par la Cour de justice de la République

Éric Dupond-Moretti relaxé par la Cour de justice de la République
Publié le 29/11/2023 à 17:14

La CJR a considéré que si la situation de conflit d’intérêts est bien établie, aucun élément ne permet d'affirmer que le ministre de la Justice « est passé outre la situation de conflit d’intérêt qui n’avait pas été portée à sa connaissance ». L’avocat des syndicats de magistrats s’est quant à lui félicité que ce conflit d’intérêts « qui était nié » soit « aujourd’hui reconnu ».

Le verdict était attendu depuis la fin de son procès devant la Cour de justice de la République (CJR) pour prise illégale d’intérêts, qui se tenait au palais de justice de Paris du 6 au 17 novembre. Éric Dupond-Moretti a été relaxé de l’accusation de prise illégale d’intérêts. Le parquet général avait requis un an de prison avec sursis.

Dans les motifs de la décision, le président de la Cour de justice de la République Dominique Pauthe a précisé qu’il fallait « un élément matériel et un élément intentionnel pour considérer que les faits sont constitués ». Les conflits d’intérêts ont été reconnus, Dominique Pauthe ayant indiqué que le garde des Sceaux, « en ordonnant le 31 juillet 2020 une enquête administrative à l’encontre de Monsieur Levrault (un ancien juge de Monaco, ndlr), se trouvait en situation de conflit d’intérêt », et ayant précisé que l’élément matériel était également établi dans l’affaire de l’enquête sur les magistrats du parquet national financier (PNF).

Mais l’élément intentionnel n’a lui pas été retenu. La Cour a expliqué qu’« aucun élément ne permet de dire qu’il est passé outre à la situation de conflit d’intérêts qui n’avait pas été portée à sa connaissance ». « Il n’y a pas de volonté de vengeance, ni d’animosité envers ces magistrats », a également déterminé la CJR, estimant que le ministre n’a fait que suivre les instructions de son administration.

« C’est la consécration de la prééminence du procès judiciaire »

À sa sortie de la salle d’audience, Éric Dupond-Moretti ne s’est pas exprimé, au contraire de ses avocats. Jacqueline Laffont a exprimé « [sa] satisfaction et [son] émotion énormes », d’une décision « que le droit dictait ». Pour l’avocate, son client « avait été mis en cause injustement et désigné comme une coupable avant même d’avoir été jugé d’une prise illégale d’intérêts qui en réalité n’avait jamais existé ». Une innocence « qui était démontrée, et qui est aujourd’hui consacrée », s’est-elle réjouie. Elle a également appuyé sur « la consécration de la prééminence du procès judiciaire et l’exclusion de tous les autres procès. Pour nous, c’est la victoire du droit, de la présomption d’innocence, mais aussi de la séparation des pouvoirs ».

Rémi Lorrain, autre avocat du ministre, s’est lui aussi félicité de « cette décision qui confirme qu’Éric Dupond-Moretti n’a jamais souhaité, à aucun moment, se venger de quiconque ». Cette relaxe est par ailleurs selon lui « une surprise uniquement pour les gens qui ont mal compris ou mal appréhendé ce dossier qui était vide ». Il a également estimé que « son innocence était évidente et manifeste dès le 1er jour de son procès ».

« La reconnaissance de ces conflits d’intérêts a été judiciairement établie »

L’avocat du Syndicat de la magistrature et de l’Union syndicale des magistrats, à l’origine de la plainte ayant conduit à ce procès, a lui aussi pu trouver matière à se réjouir de la conclusion de ce procès malgré la relaxe : « Le ministre, au moment de sa nomination, niait l’existence de conflits d’intérêts dans les termes les plus absolus et les plus fermes. La décision, dans des termes dépourvus d’équivoque, a retenu l’existence de conflits d’intérêts manifestes qui devaient le conduire à se déporter dans ses actes au profit du Premier ministre. Cela a fini par être fait, à notre sens tardivement. Aujourd’hui, ce conflit d’intérêt qui était nié est reconnu. »

Christophe Clerc en a estimé qu’aucun des ministres dans une potentielle situation similaire à celle vécue par le garde des Sceaux au moment de sa nomination n’agirait désormais de la même manière : « À l’avenir, le comportement d’Éric Dupond-Moretti consistant à ne pas reconnaitre ses conflits d’intérêts ne pourra pas se reproduire, ni pour lui-même, ni pour d’autres ministres, ni pour d’autres dépositaires de l’autorité publique. C’est une avancée majeure dont on ne peut que se féliciter. » Sur le côté intentionnel non retenu par la Cour de justice de la République, l’avocat a assuré que les organisations syndicales qu’il représente prennent acte et n’ont pas à se prononcer sur cette décision. « L’essentiel est que ce qu’elles ont toujours demandé, à savoir la reconnaissance de ces conflits d’intérêts, a été judiciairement établie », a-t-il assuré.

L’avocat de l’association Anticor Jérôme Karsenti, pas étonné par la décision, a lui estimé que cette relaxe était « un désaveu pour la démocratie et pour l’esprit de justice ». « Nous savons qu’à la CJR les décisions ne sont pas rendues en droits, mais souvent pour des motifs politiques. »

Sur X/Twitter, Élisabeth Borne s’est réjouie du fait que que le ministre de la Justice « va pouvoir continuer à mener son action au sein de l’équipe gouvernementale, au service des Français », confirmant ainsi qu’il restera en place.

Une procédure initiée il y a plus de deux ans

C’est probablement la fin d’un long chemin judiciaire pour le ministre de la Justice, débuté au moment de sa mise en examen en juillet 2021 à la suite du dépôt d’une plainte de l’Union syndicale des magistrats et du Syndicat de la magistrature en décembre 2020, quelques mois après sa nomination. À l’ouverture du procès le lundi 6 novembre dernier, Éric Dupond-Moretti avait qualifié cette procédure le visant d’« infamie ». « Vingt minutes après ma nomination, on m’a déclaré la guerre », avait-il estimé le 6 novembre dernier, assurant avoir été dans la retenue durant les plus de trois ans et demi depuis sa nomination à la Chancellerie : « J’ai accepté de me faire couvrir d’opprobre », disait-il.

Dernière étape afin de clore définitivement cette affaire : le parquet peut jusqu’à mardi prochain se pourvoir en cassation. Si tel était le cas, l’audience devant la Cour de cassation aurait lieu dans les trois mois.

Alexis Duvauchelle

1 commentaire
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F. de la Vaissière avocat honoraire
- l'année dernière
A l'heure où les sondages révèlent une majorité de français ne faisant plus confiance en la justice, il est frappant d'avoir constaté à l'occasion de ce procès emblématique la persistance d'une dérive idéologique des syndicats de magistrats, qui ne se bornent pas à soutenir les intérêts collectifs de la profession, mais prétendent désavouer l'exécutif (par exemple par des contre circulaires appelant à désobéir à celles du garde des sceaux) au mépris de la séparation des pouvoirs ; ne comprendront-ils pas enfin que le respect de l'institution suppose celui d'un strict devoir de réserve, garant de l'impartialité, et que la politisation de leurs positions n'est plus acceptable si tant est qu'elle l'ait jamais été !
CJR
PNF

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