La CJR a considéré que si la
situation de conflit d’intérêts est bien établie, aucun élément
ne permet d'affirmer que le ministre de la Justice « est passé outre la situation de conflit d’intérêt qui
n’avait pas été portée à sa connaissance ». L’avocat des syndicats de
magistrats s’est quant à lui félicité que ce conflit d’intérêts « qui
était nié » soit « aujourd’hui reconnu ».
Le verdict était attendu depuis
la fin de son procès devant la Cour de justice de la République (CJR) pour
prise illégale d’intérêts, qui se tenait au palais de justice de Paris du 6 au
17 novembre. Éric Dupond-Moretti a été relaxé de l’accusation de prise illégale
d’intérêts. Le parquet général avait requis un an de prison avec sursis.
Dans les motifs de la
décision, le président de la Cour de justice de la République Dominique Pauthe
a précisé qu’il fallait « un élément matériel et un élément
intentionnel pour considérer que les faits sont constitués ». Les
conflits d’intérêts ont été reconnus, Dominique Pauthe ayant indiqué que le
garde des Sceaux, « en ordonnant le 31 juillet 2020 une enquête
administrative à l’encontre de Monsieur Levrault (un ancien juge de Monaco,
ndlr), se trouvait en situation de conflit d’intérêt », et ayant
précisé que l’élément matériel était également établi dans l’affaire de l’enquête
sur les magistrats du parquet national financier (PNF).
Mais l’élément intentionnel n’a
lui pas été retenu. La Cour a expliqué qu’« aucun élément ne permet de dire
qu’il est passé outre à la situation de conflit d’intérêts qui n’avait pas été portée
à sa connaissance ». « Il n’y a pas de volonté de vengeance,
ni d’animosité envers ces magistrats », a également déterminé la CJR,
estimant que le ministre n’a fait que suivre les instructions de son
administration.
« C’est la
consécration de la prééminence du procès judiciaire »
À sa sortie de la salle d’audience,
Éric Dupond-Moretti ne s’est pas exprimé, au contraire de ses avocats.
Jacqueline Laffont a exprimé « [sa] satisfaction et [son] émotion énormes »,
d’une décision « que le droit dictait ». Pour l’avocate, son
client « avait été mis en cause injustement et désigné comme une coupable
avant même d’avoir été jugé d’une prise illégale d’intérêts qui en réalité n’avait
jamais existé ». Une innocence « qui était démontrée, et qui
est aujourd’hui consacrée », s’est-elle réjouie. Elle a également appuyé
sur « la consécration de la prééminence du procès judiciaire et l’exclusion
de tous les autres procès. Pour nous, c’est la victoire du droit, de la
présomption d’innocence, mais aussi de la séparation des pouvoirs ».
Rémi Lorrain, autre avocat du
ministre, s’est lui aussi félicité de « cette décision qui confirme qu’Éric
Dupond-Moretti n’a jamais souhaité, à aucun moment, se venger de quiconque ».
Cette relaxe est par ailleurs selon lui « une surprise uniquement pour
les gens qui ont mal compris ou mal appréhendé ce dossier qui était vide ».
Il a également estimé que « son innocence était évidente et manifeste
dès le 1er jour de son procès ».
« La reconnaissance
de ces conflits d’intérêts a été judiciairement établie »
L’avocat du Syndicat de la
magistrature et de l’Union syndicale des magistrats, à l’origine de la plainte
ayant conduit à ce procès, a lui aussi pu trouver matière à se réjouir de la
conclusion de ce procès malgré la relaxe : « Le ministre, au moment
de sa nomination, niait l’existence de conflits d’intérêts dans les termes les
plus absolus et les plus fermes. La décision, dans des termes dépourvus d’équivoque,
a retenu l’existence de conflits d’intérêts manifestes qui devaient le conduire
à se déporter dans ses actes au profit du Premier ministre. Cela a fini par
être fait, à notre sens tardivement. Aujourd’hui, ce conflit d’intérêt qui
était nié est reconnu. »
Christophe Clerc en a estimé
qu’aucun des ministres dans une potentielle situation similaire à celle vécue
par le garde des Sceaux au moment de sa nomination n’agirait désormais de la
même manière : « À l’avenir, le comportement d’Éric Dupond-Moretti
consistant à ne pas reconnaitre ses conflits d’intérêts ne pourra pas se
reproduire, ni pour lui-même, ni pour d’autres ministres, ni pour d’autres dépositaires
de l’autorité publique. C’est une avancée majeure dont on ne peut que se
féliciter. » Sur le côté intentionnel non retenu par la Cour de
justice de la République, l’avocat a assuré que les organisations syndicales qu’il
représente prennent acte et n’ont pas à se prononcer sur cette décision. « L’essentiel
est que ce qu’elles ont toujours demandé, à savoir la reconnaissance de ces
conflits d’intérêts, a été judiciairement établie », a-t-il assuré.
L’avocat de l’association
Anticor Jérôme Karsenti, pas étonné par la décision, a lui estimé que cette
relaxe était « un désaveu pour la démocratie et pour l’esprit de
justice ». « Nous savons qu’à la CJR les décisions ne sont pas
rendues en droits, mais souvent pour des motifs politiques. »
Sur X/Twitter, Élisabeth Borne
s’est réjouie du fait que que le ministre de la Justice « va pouvoir
continuer à mener son action au sein de l’équipe gouvernementale, au service
des Français », confirmant ainsi qu’il restera en place.
Une procédure initiée il y a
plus de deux ans
C’est probablement la fin d’un
long chemin judiciaire pour le ministre de la Justice, débuté au moment de sa
mise en examen en juillet 2021 à la suite du dépôt d’une plainte de l’Union
syndicale des magistrats et du Syndicat de la magistrature en décembre 2020,
quelques mois après sa nomination. À l’ouverture du procès le lundi 6 novembre
dernier, Éric Dupond-Moretti avait qualifié cette procédure le visant d’« infamie ».
« Vingt minutes après ma nomination, on m’a déclaré la guerre »,
avait-il estimé le 6 novembre dernier, assurant avoir été dans la retenue
durant les plus de trois ans et demi depuis sa nomination à la Chancellerie :
« J’ai accepté de me faire couvrir d’opprobre », disait-il.
Dernière étape afin de clore
définitivement cette affaire : le parquet peut jusqu’à mardi prochain se
pourvoir en cassation. Si tel était le cas, l’audience devant la Cour de
cassation aurait lieu dans les trois mois.
Alexis
Duvauchelle