SÉRIE « RESTRUCTURING » (7). Dans cet article, la maître de conférences Adeline Cerati passe au crible un arrêt du 20 novembre 2024 dans lequel la Cour de cassation affirme que, lorsque le délai de quarante-cinq jours expire au cours de la procédure conciliation, le débiteur est dispensé d'exécuter son obligation de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire.
Cass. Com. 20 novembre 2024, n° 23-12.297
Parce que, depuis 2005, une procédure de conciliation peut être ouverte alors que l’entreprise en difficulté est en cessation des paiements (art. L. 611-4 C. com.), elle est dispensée de l’obligation de déclarer cet état au plus tard dans les 45 jours qui suivent, si elle n'a pas, « dans ce délai, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation » (art. L. 631-4 C. com.). Ce sont ces dispositions qui ont été violées par les juges poitevins et ont justifié la censure de l’arrêt ayant condamné le dirigeant d’une société débitrice en liquidation judiciaire à combler une partie de son insuffisance d’actif.
Les faits méritent d’être rappelés avec une attention particulière pour leur chronologie. A la demande de la société, une procédure de conciliation est ouverte le 7 septembre 2015, soit quelques jours à peine avant la cessation des paiements fixée ultérieurement au 16 septembre 2015. Alors que le dirigeant ne déclare cet état que le 3 février 2017, la société fait l’objet d’un redressement judiciaire le 16 mars 2017 puis d’une liquidation le 10 avril de la même année. Le liquidateur judiciaire désigné obtient de la cour d’appel de Poitiers, dans un arrêt du 15 novembre 2022, la condamnation du dirigeant à payer la somme de 150 000 euros en lui reprochant de ne pas avoir déclaré la cessation des paiements dans les délais.
D’après les juges d’appel, « la mise en place d'une procédure de conciliation n'exonère en rien le dirigeant social des responsabilités qui sont les siennes », en ce qu'il « conserve toutes ses attributions et sa totale indépendance quant à la gestion de sa société ». Si ces affirmations ne sont pas contestables, le débiteur restant maître de son entreprise en dépit de l’ouverture de la conciliation, les conclusions qu’en tirent les juges de fond le sont. Selon eux, l’ouverture de la conciliation n’exonèrerait pas le dirigeant de son obligation de déclaration et le non-respect de cette obligation justifierait sa condamnation à combler l’insuffisance d’actif.
Il s’agirait effectivement d’une faute de gestion susceptible d’entrainer sa condamnation (v. not. Cass. Com. 4 nov. 2014, no 13-23.070, D. 2014. Actu. 2238, obs. A. Lienhard; Rev. sociétés 2014. 751, obs. L.-C. Henry; LEDEN 12/2014. 6, obs. P. Rubellin; Gaz. Pal. 18-20 janv. 2015, p. 15, obs. Reille; ibid., p. 34, obs. T. Montéran; RLDA janv. 2015. 16, obs. Ch. Lebel) si la cessation des paiements n’était pas en l’espèce apparue en cours de conciliation. C’est en substance la solution de l’arrêt rendu par la Cour le 20 novembre 2024 quand elle affirme que, lorsque le délai prévu de quarante-cinq jours par l’article L. 631-4 expire au cours de la procédure conciliation, le débiteur est dispensé d'exécuter son obligation de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire.
À y regarder de plus près, l’article L. 631-4 du Code de commerce ne dispense le débiteur de son obligation que lorsque, en état de cessation des paiements, il demande l’ouverture d’une procédure de conciliation. En l’espèce, la procédure de conciliation avait été ouverte avant la cessation des paiements et elle est apparue quelques jours après (V. pour des éléments de réponse : F. Patrizio et C. Phalippou, Cessation des paiements survenue en cours de conciliation : quelle bonne pratique pour le dirigeant ? PA 2 juin 2017, p. 8). La dispense joue donc aussi dans cette dernière hypothèse et c’est heureux pour le débiteur diligent qui a anticipé la cessation des paiements en sollicitant la désignation d’un conciliateur (V. contra pour un dirigeant jugé fautif pour n’avoir pas déclaré la cessation des paiements en cours de mission d’un mandataire ad hoc : Cass. Com. 17 juin 2020, n° 19-10.341, Rev. sociétés 2020. 508, obs. Ph. Roussel Galle ; RTD com. 2021. 421, obs. F. Macorig-Venier ; BJED nov. 2020. 46, note T. Favario).
Le lecteur impatient s’interrogera sur la durée de cette dispense. La Cour lui donne rapidement satisfaction puisqu’elle poursuit en affirmant qu’il appartenait à la cour d'appel, pour caractériser une éventuelle faute du dirigeant susceptible d'engager sa responsabilité pour insuffisance d'actif, d'apprécier l'exécution de cette obligation à l'expiration de la procédure de conciliation.
Plusieurs précisions s’imposent. La dispense cesse dès lors que le débiteur est toujours en cessation des paiements. Une cessation des paiements apparue en début de procédure peut disparaitre en raison d’un délai accordé par le ou les créanciers ou par le juge ou par l’effet d’un accord de conciliation constaté ou homologué. C’est donc dans l’hypothèse où le conciliateur n’est pas parvenu à ses fins et que l’entreprise est toujours en cessation des paiements que son dirigeant doit déclarer cet état. Mais dans quel délai ? 45 jours à compter de la fin de la clôture de la procédure de conciliation ?
Pour reprendre les conclusions du professeur Cagnoli, il ne s’agit « ni d’un cas de suspension du délai de quarante-cinq jours ni d’un cas d’interruption de ce même délai » (D. actu 5 déc. 2024). Dès lors, et c’est la proposition de la Cour dans l’arrêt sous examen, « à l'expiration de la procédure de conciliation, le débiteur est tenu d'exécuter cette obligation sans délai ». La fin de la procédure n’ouvre pas un nouveau délai de 45 jours. La solution est opportune pour espérer éviter la liquidation judiciaire faute d’avoir réagi suffisamment tôt après la cessation des paiements. Quid de l’hypothèse où la date de cessation des paiements est antérieure à moins de 45 jours de la fin de la procédure de conciliation ? La solution nous semble difficilement transposable. Tant que le délai de 45 jours n’est pas expiré, le défaut de déclaration n’est pas fautif (V. not. Com. 17 juin 2020, no 18-11.737, D. 2020. Rev. sociétés 2020. 632, note F. Reille; BJED 9-10/2020. 39, note T. Favario; RPC 2020, no 162, obs. A. Martin-Serf; Dr. sociétés 2020, no 133, note J.-P. Legros).
Adeline Cerati